Climat : le bassin méditerranéen en proie à un réchau ement accéléré
19 août 2022
19 août 2022
Le changement climatique est en moyenne plus rapide sur les rives de la Méditerranée que dans le reste du monde. Avec de multiples conséquences à venir : élévation du niveau de la mer, condamnation de terres agricoles, menace des écosystèmes.
Il faisait plus de 48 °C, jeudi 18 août, à El Tarf, Guelma et Souk Ahras, trois villes d’Algérie en proie à des incendies au bilan provisoire déjà lourd. Ils ont causé la mort de trente-huit personnes, fait plus de 200 blessés, entraîné l’évacuation de centaines de familles et d’un hôpital. Quelque 1 700 pompiers y sont mobilisés pour tenter de venir à bout de vingt-quatre feux de forêts.
Pendant ce temps-là, un peu plus au nord, la Corse essuyait de violents orages qui ont tué au moins cinq personnes et en ont blessé une vingtaine d’autres, dont quatre très grièvement. La majorité d’entre elles ont été victimes des rafales de vent exceptionnelles – jusqu’à 224 km/h sur la côte ouest de l’île –, qui ont arraché arbres et toitures, provoqué des coupures d’électricité chez 35 000 habitants, jonché les routes de branches d’arbres, rompu les amarres de bateaux.
Tempête extrême d’un côté, sécheresse de l’autre : les rives de la Méditerranée connaissent les deux facettes du même éau : le changement climatique. Or celui-ci y est, en moyenne, plus rapide encore que dans le reste du monde. Dans le bassin méditerranéen, la température moyenne a augmenté de 0,036 °C par an entre 1993 et 2020, soit près de 1 °C au total, selon les données de Copernicus, le programme européen d’observation de la Terre.
Les e ets de cette évolution se manifestent rudement cet été. A l’Ouest, l’Espagne et le Portugal sont en proie à des feux de forêts. Le Maroc est confronté sans doute à sa pire sécheresse depuis quarante ans ; ses barrages sont aux trois quarts vides : ensemble, leur taux de remplissage ne dépasse pas 27 %. A l’Est, le désert avance en Irak, où le débit cumulé de l’Euphrate et du Tigre a chuté de moitié en deux décennies.
Certes, le changement climatique n’explique pas l’intégralité de ces phénomènes, mais il est bien le responsable des vagues de chaleur qui se multiplient jusque dans la mer. Entre les côtes françaises, espagnoles et italiennes, des températures de 6,5 °C supérieures aux normales saisonnières ont été mesurées, et des anomalies de température très importantes ont duré au moins soixante-dix jours d’a lée cet été. Dans les vingt premiers mètres sous la surface, l’eau a atteint 28 °C au large de Marseille, 30 °C à Bastia et aux Baléares. Ces canicules marines ont des e ets dévastateurs pour la faune et leurs habitats : coraux, prairies de posidonie…
En 2020 a été publiée une importante somme des connaissances sur le changement climatique et environnemental en Méditerranée, une zone géographique généralement divisée entre les trois continents qui la bordent. Elle est le fruit du travail de plusieurs années de recherche de 190 scienti ques, provenant de vingt-cinq pays, soutenu par l’Union pour la Méditerranée (UPM), une organisation qui réunit quarante-deux Etats, et le Programme des Nations unies pour l’environnement.
Ses constats mettent à mal la légendaire douceur méditerranéenne. Le « petit lac autour duquel nous sommes 500 millions à vivre », selon l’expression du secrétaire général de l’UPM, Nasser Kamel, est l’un des points chauds de la planète : il se réchau e 20 % plus rapidement que la moyenne mondiale. Les conséquences en sont multiples
Si les stratégies politiques et économiques se poursuivent sur les modèles actuels, les vagues de chaleur vont se faire plus intenses et plus durables. Les mois des étés les plus frais demain seront plus chauds que les plus caniculaires d’aujourd’hui, selon ce rapport. Le climat va devenir de plus en plus di cile à supporter dans la plupart des grandes villes de cet espace géographique. D’autant que l’élévation du niveau de la mer, qui risque fort de dépasser un mètre d’ici à 2100, ne menace pas seulement quelques petites îles sans relief de Tunisie, de Grèce ou d’Italie. Elle pourrait frapper de plein fouet les agglomérations côtières, déjà exposées aux fortes tempêtes. Un tiers de la population de ces littoraux serait alors concerné ; au moins 37 millions de personnes verraient leurs moyens de subsistance menacés, selon le réseau d’experts.
Des terres agricoles vont être condamnées par la montée de la Méditerranée. Elles vont disparaître, subir l’érosion et des baisses de rendements à cause de la salinisation, comme peut le mesurer la Camargue actuellement. Pour le blé, le déclin pourrait être d’environ 7,5 % à chaque degré de
réchau ement. La sécurité alimentaire, et plus globalement la santé, sont menacées, avec notamment la multiplication de pathogènes et des maladies hydriques. Car plus l’eau est rare, plus les contaminants y sont concentrés.
Les territoires risquent, en outre, d’être confrontés aux inondations et aux glissements de terrain dus aux pluies diluviennes – les épisodes méditerranéens, entre autres.
La salinisation constitue une menace majeure pour l’eau potable : en s’introduisant dans les nappes souterraines, elle les rend saumâtres. Les fortes chaleurs accélèrent l’évapotranspiration des sols et des plans d’eau. Plus de 250 millions de personnes seront considérées comme « pauvres en eau » dans vingt ans, ce qui devrait générer « des sources de con its accrus entre les peuples et une migration de masse accrue ».
Accepter
Le bassin méditerranéen est un haut lieu de la biodiversité mondiale, rappellent encore les
scienti ques. Forêts brûlées, zones humides gommées : le changement du climat va bouleverser les écosystèmes dans toute la région, y compris en mer. L’arrivée de 700 espèces de plantes et d’animaux exogènes montre que les conditions environnementales ont déjà bien changé. En provenance de la mer Rouge, le poisson-lion, qui dévore les larves de beaucoup d’autres espèces, s’est répandu dans tout le bassin. Les proliférations de méduses se sont intensi ées. Des pathogènes, des microalgues toxiques notamment, se multiplient.
En n, comme l’ensemble de l’océan mondial, la Méditerranée est victime de l’acidi cation de l’eau. Conjugué à l’augmentation des températures, ce phénomène contribue à la dégradation du milieu. Le rapport souligne la perte de 41 % des principaux prédateurs marins, y compris des mammi ères. Parce qu’elles ne trouvent plus assez de plancton pour s’alimenter, les sardines voient leur taille se réduire depuis plusieurs années.
Par ailleurs, après avoir organisé une exploration des volcans sous-marins proches des îles éoliennes, l’Unesco a alerté en juin sur les risques, aujourd’hui sous-estimés, d’un tsunami en Méditerranée. Il ferait déferler des vagues de plus d’un mètre de haut sur des littoraux extrêmement peuplés. La probabilité de sa survenue dans les trente prochaines années serait de 100 %.