Climat : la jacinthe d’eau, ou quand une plante invasive devient une richesse
11 avril 2025
11 avril 2025
Cette plante est classée parmi les 100 espèces les plus envahissantes au monde. Face à une telle menace pour la biodiversité des lacs africains, certains tentent d’endiguer sa prolifération tout en l’exploitant contre d’autres formes de pollution.
Toutes les semaines, les pêcheurs du lac Naivasha, au Kenya, se mettent à l’ouvrage. Et ils ne pêchent pas seulement les poissons. Leur rocher de Sisyphe, c’est une guerre qu’ils mènent contre une plante qui détruit autant qu’elle fleurit : la jacinthe d’eau. Il ne faut pas se laisser tromper par la beauté de ses fleurs mauves. Cette plante aquatique flottante est en réalité l’une des 100 espèces les plus envahissantes au monde. Eichhornia crassipes – de son appellation latine –, originaire d’Amérique du Sud, a conquis en l’espace de quelques décennies les milieux lacustres africains.
Son essor, renforcé par les conséquences du changement climatique, pourrait également s’expliquer par d’autres formes de pollution. En effet, le rejet d’engrais chimiques liés à la production horticole colossale du Kenya coïncide avec le développement anarchique de la jacinthe d’eau. Véritable menace pour les poissons et, par ricochet, pour la pérennité de l’activité halieutique, les stolons de la plante tapissent les lacs, saturent les eaux jusqu’à en chasser l’oxygène (on parle d’eutrophisation) et freinent la circulation des pêcheurs. Leur prolifération favorise la pullulation de parasites porteurs de maladies, tandis que leur décomposition entraîne des émissions de gaz à effet de serre. Plus d’une vingtaine de pays africains sont concernés par cette invasion dévastatrice, du lac Naivasha, en passant par le lac Nokoué, au Bénin, ou le lac Tana, en Éthiopie.
La jacinthe d’eau envahit les lacs africains. © Infographie : Maÿlis DUDOUET
Chaque semaine, les pêcheurs kényans ramassent l’équivalent de trois tonnes de jacinthe. Au bout de la chaîne, l’entreprise HyaPak leur achète la plante séchée pour en faire des sachets biodégradables. « Nous essayons d’utiliser la jacinthe d’eau comme matière première pour lutter contre la pollution provoquée par les déchets plastiques à usage unique. Il s’agit d’utiliser un problème pour en résoudre un autre », explique Joseph Nguthiru, fondateur de HyaPak.
Ses emballages biodégradables brevetés servent à produire des sachets de graines à destination des pépinières kényanes de replantation à grande échelle, ainsi que des emballages alimentaires. Le pays entend lutter contre les effets délétères de la déforestation avec pour objectif de planter 15 milliards d’arbres d’ici à 2032. Dans le même temps, « les sacs plastiques ont été interdits au Kenya, rappelle Joseph Nguthiru. Cette loi est utile contre la pollution plastique. Mais elle a laissé un vide, et nous tentons d’y répondre avec une solution durable. »
Face à cette espèce invasive, certaines sociétés et associations ont tenté de valoriser la jacinthe d’eau. © Infographie : Maÿlis DUDOUET
Dans ce domaine, l’entreprise kényane n’a pas le monopole de l’ingéniosité. Au Bénin, la jacinthe est transformée en une fibre absorbant les polluants liquides. Ces sachets antipolluants baptisés GKsorb sont également recyclés par la même entreprise qui les produit, Green Keeper Africa. La plante est capable d’absorber jusqu’à dix fois son poids en hydrocarbures. D’autres usages sont possibles : toujours au Bénin, l’ONG Jevev fédère les habitants de la vallée de l’Ouémé autour de la transformation de jacinthes en un compost naturel.
En RDC, les habitants des rives du lac Tanganyika n’ont pas attendu l’arrivée de start-up pour employer le vert et le sec. La jacinthe d’eau y est utilisée dans la confection artisanale de paniers, chapeaux et colliers. Une utilisation décorative également développée par l’entreprise Hyacinth Art House de l’autre côté du lac, au Burundi. Dans une étude consacrée aux solutions contre les espèces envahissantes, le Réseau pour la biodiversité et les services écosystémiques note les nombreuses « opportunités économiques liées à la transformation d’espèces envahissantes en produits de valeur ». Tout en alertant contre les dérives : « Un soutien scientifique et une formation des communautés locales sont nécessaires pour garantir que la récolte et la transformation de la plante se fassent de manière durable, afin de ne pas exacerber les problèmes environnementaux causés par sa prolifération. »
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