« Chaos climatique » : la planète bat des records de température pour le douzième mois d’affilée
7 juin 2024
7 juin 2024
Il est désormais probable à 80 % que la température moyenne annuelle du globe franchisse temporairement le seuil de 1,5 °C de réchauffement pendant au moins l’une des cinq prochaines années. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, appelle au sursaut.
« Nous avons besoin de trouver une sortie sur l’autoroute qui mène à l’enfer climatique. La bonne nouvelle, c’est que c’est nous qui conduisons. » Dans un discours majeur, ponctué des phrases-chocs dont il est coutumier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, a martelé la gravité de la crise climatique et l’urgence à agir de manière plus ambitieuse, mercredi 5 juin, lors de la Journée mondiale de l’environnement. « Nous jouons à la roulette russe avec notre planète. Non seulement nous sommes en danger, mais nous sommes le danger », a-t-il insisté devant un parterre de personnels politiques, de chefs d’entreprise et de représentants de la société civile réunis au Muséum d’histoire naturelle de New York, estimant que « c’est l’heure de vérité ».
Quels que soient les chiffres ou les courbes que l’on regarde, les indicateurs sont tous au rouge. Mai 2024 est le mois de mai le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale depuis le début des relevés, a annoncé, mercredi, le Service Copernicus concernant le changement climatique (C3S). Mai poursuit ainsi une série de douze mois consécutifs qui battent leur propre record de chaleur, depuis juin 2023.
Sur les douze derniers mois, la température mondiale a ainsi atteint un niveau inédit, avec 0,75 °C au-dessus des normales (1991-2020) et 1,63 °C au-dessus de l’ère préindustrielle. Cette séquence est la deuxième plus longue dans les enregistrements, après seize mois record consécutifs en 2015-2016.
Un résultat « choquant » mais « pas surprenant », pour Carlo Buontempo, le directeur du C3S. « Même si cette série de mois record finira par s’interrompre, la signature générale du changement climatique demeure et aucun signe de changement de cette tendance n’est en vue. Nous vivons une époque sans précédent », réagit-il. Mercredi, une étude internationale montrait également que le rythme du réchauffement est plus rapide que jamais. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Le rythme du réchauffement climatique est plus rapide que jamais Le dérèglement climatique est causé par la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et la déforestation. A cette tendance de long terme s’est ajouté ces derniers mois le phénomène naturel El Niño, qui a dopé les températures mondiales. Il s’achève actuellement, après avoir débuté en juin 2023 et connu son acmé en décembre. Ce cocktail explosif a provoqué de nombreux événements extrêmes dans le monde, qu’il s’agisse des canicules meurtrières en Inde, au Pakistan ou au Mexique, des inondations au Brésil, des sécheresses en Afrique australe ou encore d’un blanchissement massif des coraux du monde.
La fin des températures extrêmes n’est pas encore en vue. « L’année 2024 est en voie d’être la plus chaude jamais enregistrée, dépassant le record de 2023 », prévient Zeke Hausfather, climatologue à l’institut Berkeley Earth. « Elle sera sans doute la première année à dépasser un réchauffement de 1,5 °C », ajoute-t-il, en référence à l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris de 2015. Cette surchauffe pourrait être quelque peu limitée en 2025, avec l’arrivée probable, au second semestre de 2024, d’un épisode La Niña qui devrait abaisser le thermomètre mondial. Dommages « considérables » pour l’environnement Mais la tendance générale restera au réchauffement, comme le confirment les prévisions publiées mercredi par l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Il est désormais probable (à 80 %) que la température moyenne annuelle du globe franchisse temporairement le seuil de 1,5 °C de réchauffement pendant au moins l’une des cinq prochaines années. Cette probabilité n’a cessé d’augmenter depuis 2015, année où elle était proche de zéro.
D’après ce rapport, entre 2024 et 2028, la température de surface devrait dépasser chaque année de 1,1 °C à 1,9 °C la période de référence 1850-1900. Par ailleurs, il est probable (à 86 %) qu’au moins l’une de ces années devienne la plus chaude jamais enregistrée, détrônant ainsi l’année 2023 − qui s’était établie à + 1,45 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Désormais, il y a même une chance sur deux (47 %) que la température moyenne sur la totalité de la période 2024-2028 dépasse de plus de 1,5 °C les valeurs préindustrielles. Une infirmière soigne un patient de 76 ans souffrant d’épuisement par la chaleur, dans un hôpital d’Ahmedabad (Inde), pendant un épisode caniculaire, le 25 mai 2024. AMIT DAVE / REUTERS « Derrière ces statistiques se cache une sombre réalité, nous sommes loin d’atteindre les objectifs fixés dans l’accord de Paris », a déclaré Ko Barrett, secrétaire générale adjointe de l’OMM. La planète se dirige vers un réchauffement de 2,5 °C à 2,9 °C à la fin du siècle. « Nous devons d’urgence consentir davantage d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, faute de quoi nous paierons un tribut de plus en plus lourd », ajoute-t-elle, citant les millions de victimes des extrêmes climatiques, les dommages « considérables » à l’environnement et à la biodiversité et les coûts économiques colossaux. Une nouvelle étude publiée récemment a fortement revu à la hausse le coût de l’inaction, estimant qu’un réchauffement de 2 °C à l’horizon 2100 entraînerait une baisse du produit intérieur brut mondial de l’ordre de 50 %. « Fixer un prix réel du carbone » Les scientifiques ne cessent de le marteler : un réchauffement de plus de 1,5 °C risque d’aggraver bien davantage les conséquences du changement climatique et les phénomènes extrêmes, et chaque fraction de degré compte.
« La différence entre 1,5 °C et 2 °C, c’est la différence entre minimiser le chaos climatique et franchir des points de bascule dangereux », rappelle Antonio Guterres. Dépasser temporairement 1,5 °C ne signifie toutefois pas que « l’objectif est définitivement inatteignable », ce dernier se rapportant à un réchauffement à long terme sur plusieurs décennies. Cette bataille « sera gagnée ou perdue dans les années 2020, sous le regard des dirigeants actuels », avertit Antonio Guterres. Tout dépendra des décisions qui seront prises, ou non, « dans les dix-huit mois à venir », jusqu’à la conférence climat (COP30) de Bélem (Brésil), en novembre 2025, qui marquera le dixième anniversaire de l’accord de Paris et doit voir tous les pays soumettre de nouveaux plans climatiques bien plus ambitieux. Les Etats, actuellement réunis à Bonn (Allemagne), pour préparer la COP29 de Bakou (Azerbaïdjan) en novembre, sont censés commencer à y travailler. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les négociations climatiques sous pression pour venir en aide aux pays du Sud Le secrétaire général de l’ONU a appelé tous les pays à réduire « considérablement » leurs émissions, à commencer par ceux du G20, responsables de 80 % des rejets carbonés mondiaux. Antonio Guterres exhorte les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à mettre fin à l’utilisation du charbon d’ici à 2030 et à réduire de 60 % l’offre et la demande de pétrole et de gaz d’ici à 2035, tout en poursuivant le développement des énergies renouvelables.
Quant aux autres Etats, ils devraient mettre fin « dès maintenant » aux nouveaux projets d’exploitation du charbon, en particulier en Asie, pour en sortir d’ici à 2040. M. Guterres a en outre rappelé l’importance d’augmenter massivement les financements publics et privés pour aider les pays les plus pauvres, souvent fortement endettés, à s’adapter au dérèglement climatique et à effectuer leur transition écologique. Mais jugeant que ces efforts ne suffiront pas, il souhaite également « fixer un prix réel du carbone » et taxer les bénéfices record des entreprises du secteur des combustibles fossiles, qualifiées de « parrains du chaos climatique ». Enfin, il demande aux agences de publicité et aux médias de refuser les campagnes de ces entreprises, qui pratiquent « un écoblanchiment décomplexé », comme ce fut le cas pour celles de l’industrie du tabac il y a quelques décennies.