Cette épave d’un navire de corsaires révèle les secrets des « grandes horreurs maritimes » en Méditerranée

 
L’identification récente d’une épave de navire corsaire barbare, submergée depuis des siècles dans les profondeurs de la Méditerranée, entre le Maroc et l’Espagne, a attiré l’attention sur une époque de terreur maritime longtemps méconnue. Elle éclaire une période où les corsaires barbares représentaient une menace constante pour le commerce maritime européen.

Les eaux internationales entre le Maroc et l’Espagne ont récemment livré une découverte archéologique majeure : l’épave d’un navire corsaire barbare du XVIIIe siècle. Mise au jour par la société américaine Odyssey Marine Exploration, cette épave éclaire l’histoire tumultueuse de la piraterie en Méditerranée. Ces corsaires, opérant principalement depuis Alger, ont terrorisé les routes maritimes européennes pendant plus de deux siècles, capturant des navires et réduisant leurs équipages en esclavage.

La découverte de ce navire, qui transportait des armes lourdes et des marchandises issues de prises, illustre la menace constante que représentaient ces pirates pour le commerce maritime de l’époque. Sean Kingsley, rédacteur en chef de Wreckwatch, détaillant cette trouvaille, et Greg Stemm, directeur de Seascape Artifact Exhibits Inc., offrent un éclairage précieux sur cet épisode historique, démontrant l’impact durable de la piraterie barbaresque sur l’Europe et ses relations commerciales.

 

Le rôle des corsaires barbares

 

Les corsaires barbares représentaient des pirates et des mercenaires opérant depuis les côtes nord-africaines sous l’égide de l’Empire ottoman. Ces corsaires, basés principalement à Alger, mais aussi à Tripoli et Tunis, attaquaient les navires européens. Ils s’attaquaient également aux colonies côtières, perpétrant des actes de piraterie qui ont marqué l’histoire maritime du XVe au XIXe siècle. Alger, alors une ville florissante sous le contrôle ottoman, constituait un centre stratégique de la piraterie en Méditerranée.

Selon Sean Kingsley, rédacteur en chef de Wreckwatch, cette ville, bien que moins célèbre que les repaires des pirates des Caraïbes, a été au cœur de la piraterie bien avant eux. Entre 1525 et 1830, Alger, véritable bastion de corsaires, attirait une population de 60 000 personnes. On les décrit souvent comme des « voyous et renégats » vivant de pillages et de captures. Ces pirates n’opéraient pas seulement pour le butin. Ils travaillaient également pour le compte des pouvoirs locaux, les employant comme une extension de leur politique maritime.

Les corsaires barbares menaient des raids audacieux s’étendant jusqu’au sud de l’Angleterre. Ils capturaient des navires et réduisaient leurs équipages en esclavage. Les otages se voyaient ensuite vendus ou échangés contre de lourdes rançons. Ce commerce d’otages a contribué à établir un climat de peur constant parmi les marchands européens. Les attaques incessantes ont incité les nations européennes à renforcer leurs navires et à former des coalitions pour combattre cette menace. Ces pratiques de piraterie barbaresque ont donc eu un impact profond sur le commerce maritime européen. Elles forcèrent les puissances de l’époque à réévaluer leurs routes commerciales et à investir dans la protection de leurs flottes.

 

Les caractéristiques de l’épave de corsaires

 

La découverte de l’épave du navire corsaire a apporté des révélations précieuses sur les pratiques des pirates barbaresques du XVIIIe siècle. Repérée à une profondeur de 823 mètres dans le détroit de Gibraltar, l’épave se distingue par sa taille modeste. Il mesure environ 14 mètres de longueur.

Le navire se voyait lourdement armé, équipé de quatre grands canons et de dix canons pivotants. On les nomme également canons de sabord. Ils servaient à tirer des projectiles sur les équipages adverses lors des abordages. Cette artillerie suggère une capacité offensive considérable, adaptée aux embuscades rapides en mer.

Cette bouteille de vin ou d’alcool en verre dans l’épave du corsaire a été fabriquée en Belgique ou en Allemagne. © Seascape Artifact Exhibits Inc.

À bord, les archéologues ont trouvé une collection d’artefacts comprenant des poteries et des verreries originaires d’Alger. Ils mettent en évidence les relations commerciales entre les corsaires et la région. Ces artefacts datent du milieu du XVIIIe siècle et incluent des bouteilles en verre soufflées entre 1740 et 1760. Cela suggère que le navire a probablement sombré autour de l’année 1760. Ces objets ont été retrouvés en excellent état, corroborant leur similitude avec des trouvailles archéologiques faites dans la place des Martyrs d’Alger. Tous ces éléments renforcent l’identification du navire comme un corsaire algérien.

Une préservation importante

Greg Stemm, ancien président d’Odyssey Marine Exploration et directeur de Seascape Artifact Exhibits Inc., a qualifié l’épave de « précieux écho de l’une des grandes horreurs maritimes du sud-ouest de la Méditerranée ». La préservation de l’épave demeure exceptionnelle, en grande partie grâce à sa localisation dans des eaux profondes, loin des interventions humaines comme la plongée et la pêche au chalut qui auraient pu la détériorer. Cependant, seules les parties inférieures de la coque ont survécu.

Les éléments en bois au-dessus du niveau de la mer constituèrent le festin des teredos navalis, aussi connus sous le nom de « vers de navire ». Ces mollusques, proliférant dans les eaux méditerranéennes, consomment le bois immergé. L’épave n’a pas encore été entièrement fouillée, mais il est probable que la coque du navire, jusqu’à sa quille, soit préservée sous le sable. La découverte de cette épave constitue une étape majeure dans la compréhension de l’armement et des tactiques des corsaires barbares.

Le déclin de la piraterie barbare en Méditerranée

La piraterie barbare, symbolisée par la ville d’Alger, a représenté une menace considérable pour les puissances maritimes européennes pendant plusieurs siècles. Les corsaires, protégés par l’Empire ottoman, opéraient en toute impunité. Ils s’attaquaient aux navires marchands et aux côtes de l’Europe. Ils semaient la terreur parmi les marins et les populations côtières. Malgré de nombreuses tentatives pour éradiquer ce fléau, y compris des expéditions militaires par les Espagnols, les Britanniques et les Hollandais, la piraterie barbare a continué de prospérer grâce à des fortifications robustes et un soutien économique de la part des autorités locales.

Canons pivotants en fer de l’épave. © Seascape Artifact Exhibits Inc.

Les Européens avaient souvent recours à des tributs pour garantir la sécurité de leurs navires. Mais cette stratégie ne suffisait pas à réduire l’activité corsaire de manière significative. Ce n’est qu’avec le début des guerres barbares au début du XIXe siècle, où les États-Unis et certaines nations européennes ont commencé à prendre des mesures plus agressives contre les pirates, que la situation a commencé à changer.

Les corsaires barbares réduits à l’inactivité et la colonisation de l’Afrique du Nord

La véritable fin de la piraterie barbare survient en 1830, avec la conquête d’Alger par la France. Cet événement marqua un tournant décisif, mettant un terme à des siècles de prédation maritime dans la région. La prise d’Alger par les forces françaises a démantelé l’infrastructure pirate. Elles supprimèrent les soutiens politiques et économiques locaux. Elles instaurèrent une administration imposant le contrôle européen sur la Méditerranée occidentale. Les corsaires, privés de leurs bases et de leurs marchés d’esclaves, ne pouvaient plus opérer avec l’efficacité et l’impunité qu’ils avaient jadis.

Cette conquête a aussi marqué le début de la colonisation française en Afrique du Nord. Elle transforma non seulement le paysage politique, mais aussi économique de la région. La découverte récente de l’épave d’un navire corsaire offre ainsi un témoignage tangible de cette ère de piraterie qui a tant influencé les relations entre l’Europe et l’Afrique du Nord, rappelant une époque où la mer Méditerranée était un champ de bataille de rivalités maritimes et de luttes pour le pouvoir.