Ce corail vieux de plus de 600 ans nous alerte sur les changements dans le Pacifique

Le corail est essentiel pour la biodiversité marine. Malgré leur faible couverture des océans, les récifs coralliens, aussi surnommés les forêts tropicales de la mer, abritent en effet environ 25 % des espèces marines à qui ils fournissent un habitat crucial et une source de nourriture. Ils protègent aussi les côtes contre l’érosion et les tempêtes. Une nouvelle étude publiée le 14 août 2024 dans Science Advances nous apprend une autre fonction essentielle des coraux. Depuis 1370, un corail dans le Pacifique enregistre en effet l’histoire mouvementée de cet océan et nous livre ainsi une fenêtre dans des détails sans précédent sur ses variations de température que des chercheurs australiens et britanniques se sont employés à analyser.

Les scientifiques savent que l’océan Pacifique connaît un réchauffement global au fil des siècles avec des vagues de chaleur marine et un blanchissement généralisé des coraux ces dernières années en raison du changement climatique anthropique. Cependant, il a surtout connu beaucoup de variabilité avec des années, voire des décennies, plus froides ou plus chaudes en cours de route. Or, il existe très peu d’enregistrements continus remontant à plusieurs centaines d’années qui permettent de rendre compte de ces changements sur une période plus longue et ancienne, d’où ces recherches.

Un corail vieux de plus de 600 ans pour en apprendre plus sur les variations des températures océaniques

Pour répertorier un maximum de données, une équipe internationale de scientifiques spécialisés en sciences de la Terre et du climat co-dirigée par l’Université de Leicester a prélevé un échantillon en forant jusqu’à deux mètres de profondeur un énorme corail Diploastrea heliopora, parfois appelé corail en nid d’abeille. Ce spécimen exceptionnellement vieux (627 ans) découvert en 1998 fournit ainsi des données claires sur la température de la mer autour des Fidji entre les années 1370 et 1997. Il constitue de ce fait l’enregistrement continu de température le plus ancien et exhaustif dans tout l’océan tropical tout en livrant des informations clés sur les changements climatiques et environnementaux à long terme qui ont façonné ce récif à croissance lente (3-6 mm par an).

À ces archives naturelles précieuses s’ajoutent en outre 26 ans de données instrumentales collectées dans cette région qui joue un rôle crucial dans la régulation des modèles climatiques mondiaux grâce à son association avec les oscillations climatiques à long terme du Pacifique, notamment avec le passage bien connu d’un état El Niño à un état La Niña toutes les quelques années. L’étude des gradients de température océaniques mis en avant par la présente étude est surtout essentielle, car cela peut impliquer de grands changements dans les précipitations et le développement des cyclones. L’obtention d’un contexte complet comme celui-ci est enfin cruciale pour comprendre les tendances climatiques actuelles et prédire les futurs changements climatiques à l’œuvre.

 
forage du corail Diploastrea heliopora

Une fenêtre sur un passé océanique lointain

Comme l’explique Jens Zinke, co-directeur de l’étude, professeur de paléobiologie à l’École de géographie, de géologie et de l’environnement de l’Université de Leicester et membre de la Royal Society Wolfson, « à mesure que les coraux grandissent, ils enregistrent dans leur squelette la composition chimique de l’océan qui les entoure, jour après jour, pendant des siècles. Ces coraux agissent comme un capteur de température vivant en modifiant le rapport de strontium sur calcium dans leur squelette, les rapports plus faibles étant liés à des températures plus élevées. » Les coraux massifs peuvent ainsi contenir des histoires centenaires dans leurs antécédents de croissance ou la composition chimique de leurs squelettes.

Des résultats inquiétants découverts grâce à ce corail

Le corail indique ainsi qu’il y a eu une période chaude notable entre 1370 et 1553, lorsque la mer autour des Fidji était presque aussi chaude qu’aujourd’hui. Cela souligne que le système climatique du Pacifique varie naturellement. Néanmoins, en combinant les prélèvements sur le corail avec d’autres enregistrements paléo-océanographiques à travers le Pacifique pour obtenir une vue d’ensemble, les chercheurs ont constaté que le réchauffement à l’échelle du Pacifique au cours du siècle dernier, largement attribué au réchauffement climatique d’origine humaine, marque un écart significatif par rapport à la variabilité naturelle enregistrée dans les siècles précédents.

« En comparant notre reconstitution avec des données instrumentales, nous découvrons un réchauffement sans précédent ces dernières années et mettons en lumière les impacts du réchauffement climatique en cours sur la dynamique climatique décennale du Pacifique. L’étude montre que la chaleur océanique actuelle dans l’archipel fidjien est la plus élevée depuis 653 ans », s’inquiète Jens Zinke. Alors que certaines parties du Pacifique étaient autrefois plus chaudes tandis que d’autres avaient une décennie ou deux plus fraîches, et vice versa, cette relation est ainsi en train de changer profondément. Le réchauffement est devenu de plus en plus synchronisé à travers l’océan Pacifique tropical et subtropical.

Cela signifie donc notamment que de grands bouleversements sont à prévoir dans les cycles des précipitations, mais aussi au niveau des sécheresses et inondations, car la pluie est souvent générée par la vapeur d’eau s’évaporant au-dessus des mers plus chaudes. Les sécheresses risquent donc de se prolonger et les cyclones tropicaux de s’intensifier avec des conséquences importantes pour des millions de personnes. « Des taux de réchauffement synchronisés persistants dans le Pacifique occidental et central pourraient nuire aux écosystèmes et aux nations des îles du Pacifique », conclut le scientifique.

Source: sciencepost