Biodiversité : le risque de voir des espèces disparaître à cause du réchauffement augmente considérablement au-delà de 1,5 °C

 

A Yalimapo, dans l’ouest de la Guyane, seuls 39 nids de tortue luth ont été recensés au cours de la dernière saison de ponte. Un chiffre historiquement bas « qui laisse craindre une extinction de cette population », selon le communiqué du Réseau tortues marines Guyane, publié mercredi 4 décembre. Parmi les menaces pesant sur le plus grand reptile marin figurent les captures accidentelles liées à la pêche, la pollution lumineuse et le braconnage, mais aussi le changement climatique. Plus la température du sable augmente, plus ce sont des femelles qui naissent, ce qui déséquilibre l’ensemble de la population. Cette année, « des effets de l’élévation de la température sur le développement des œufs, engendrant un faible taux de survie », ont aussi été observés.

Comme pour la tortue luth, l’impact de la crise climatique sur la biodiversité a été clairement établi. Des travaux, publiés jeudi 5 décembre dans la revue américaine Science, précisent le risque de voir des espèces disparaître à mesure que la planète se réchauffe : Mark Urban, chercheur au département d’écologie et de biologie évolutive de l’université du Connecticut (Etats-Unis), a synthétisé 485 études parues depuis une trentaine d’années et incluant la plupart des espèces de plantes et d’animaux connues. A partir de cette méta-analyse, il confirme que les extinctions devraient s’accélérer au-dessus du seuil de 1,5 °C.

Au niveau de réchauffement actuel (environ + 1,3 °C par rapport à l’ère préindustrielle), 1,6 % des espèces pourraient disparaître du fait de la crise climatique. Avec une hausse de 1,5 °C, le seuil le plus ambitieux de l’accord de Paris sur le climat, 1,8 % des espèces sont menacées. Ce chiffre passe à 2,7 % à 2 °C, puis grimpe à 5 %, soit une espèce sur vingt, à 2,7 °C, c’est-à-dire le niveau de réchauffement globalement attendu si la trajectoire actuelle se poursuit. Le risque d’extinction bondit ensuite à 14,9 % à 4,3 °C, pour atteindre 29,7 % à 5,4 °C.

« Ces résultats sont importants dans un contexte où l’on doit décider quelle trajectoire suivre en matière d’émissions de gaz à effet de serre, explique M. Urban. Avec la hausse de la température, le risque d’extinction non seulement augmente, mais il s’accélère. Si l’on peut maintenir le réchauffement sous le seuil de 1,5 °C, on contient le risque d’extinction sous les 2 %. Cela fait déjà beaucoup d’espèces à protéger, mais si l’on passe à 5 % ou à 10 %, alors la tâche devient impossible. »

 

La vulnérabilité des amphibiens

 

L’écologue américaine Camille Parmesan, spécialiste des conséquences du réchauffement sur la biodiversité et autrice au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), confirme la solidité de l’étude. « Ces résultats sont cohérents avec ce que l’on a écrit dans le rapport du GIEC de 2022 [en s’appuyant sur 178 études], mais, à l’époque, le message était passé totalement inaperçu, observe la directrice de la station d’écologie théorique et expérimentale du CNRS à Moulis (Ariège). Les gens ne réalisent pas encore à quel point le réchauffement peut avoir un impact sur la biodiversité, alors que chaque dixième de degré compte. »

Dans le détail, cette analyse démontre que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Amérique du Sud sont les régions du monde où le risque d’extinctions liées au réchauffement est le plus élevé. Sur les îles, la dispersion des espèces terrestres ne peut se faire que jusqu’à ce qu’elles rencontrent la mer. L’Amérique du Sud, de son côté, compte un grand nombre d’espèces ayant une petite aire de répartition et des niches écologiques spécialisées, déjà fragilisées par la perte d’habitats.

En matière d’espèces, les amphibiens, qui constituent le groupe de vertébrés le plus menacé de la planète, sont aussi les plus affectés par le réchauffement. Cette vulnérabilité s’explique notamment par leurs faibles capacités de dispersion, leur sensibilité aux conditions météorologiques, leur dépendance aux écosystèmes d’eau douce et l’accumulation d’autres menaces. Les oiseaux, qui ont une capacité de dispersion plus importante, apparaissent moins touchés. Les espèces vivant dans des écosystèmes d’eau douce, sur des îles mais aussi en montagne, sont également décrites comme particulièrement à risque.

 

Espèces exposées à l’élévation du niveau de la mer

 

Selon cette étude, la crise climatique a contribué, de manière directe ou indirecte, à la disparition de dix-neuf espèces depuis les années 1960. Le Trigonoscuta rossi, un coléoptère endémique des Etats-Unis, et le Melomys rubicola de Bramble Cay, un petit rongeur vivant sur une île entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ont, par exemple, souffert de l’élévation du niveau de la mer. Les disparitions sont l’une des conséquences irréversibles du réchauffement, mais celui-ci affecte de manière bien plus large la biodiversité.

« Aujourd’hui, la surexploitation directe des espèces par l’homme, les changements d’utilisation des terres et les pollutions demeurent les principales menaces pour la biodiversité et les principales causes d’extinction, avant le réchauffement », rappelle aussi Wilfried Thuiller, chercheur au Laboratoire d’écologie alpine du CNRS à Grenoble.

Source: Le Monde