Au large de Cannes, la posidonie, «le poumon vert de la Méditerranée» sous oxygène

 

Cet été, tour d’horizon des solutions mises en place pour préserver le patrimoine naturel menacé. Autour des îles de Lérins, la mairie de Cannes a lancé plusieurs actions pour protéger cet herbier capteur de carbone, souvent abîmé par les ancres des navires de plaisance.

C’est seulement une nuance de bleu. A peine un contraste qui se révèle sous les rayons du soleil. Debout sur le bateau de la sécurité maritime de Cannes, au large des îles de Lérins, Georges Montanella se repère à la seule couleur de l’eau. Turquoise, c’est du sable. Bleu foncé, «on est sur de la posidonie», indique le directeur général adjoint des services de la municipalité, chargé de la mer et du littoral, en pointant les vaguelettes. Surnommé tantôt «poumon vert de la Méditerranée», tantôt «capteur à carbone», cet herbier est en danger. La ville de Cannes prend les devants pour protéger la posidonie, patrimoine naturel de cette baie classée Natura 2000 et candidate au patrimoine mondial de l’Unesco.

Naviguer autour des îles de Lérins, c’est oublier le fracas de la Croisette. L’archipel, havre de paix avec son monastère et ses criques, est entouré d’eaux cristallines. Un cadre qui attire plaisanciers et touristes. Au plus fort de l’été, jusqu’à 1 200 embarcations mouillent entre les îles. Un «bateau-pizza» propose même de livrer ses quatre fromages directement à bord. «De tout temps, la posidonie a été malmenée. Avec le tourisme qui augmente et le nombre de bateaux, l’impact est important, expose Heike Molenaar, docteure en biologie marine à l’université de Nice. Les ancres abîment les fonds. Au moment de repartir, un petit coup de marche arrière, l’ancre remonte et arrache en deux minutes une grosse touffe de posidonie qui a mis cinquante ans à pousser. Dans les herbiers, ça peut être fatal. J’ai vu des tranchées d’1m50 qui quadrillent le sol, des traînées qui s’entrecroisent. C’est imputable aux bateaux.»

«Première zone de mouillage écologique»

Un trou dans un herbier met un temps conséquent à se combler : ses rhizomes horizontaux poussent de 6 centimètres par an, ses tiges verticales d’un centimètre. Et uniquement où la lumière perce l’eau. Or, la posidonie est précieuse. «Elle produit de l’oxygène au même titre que les grandes forêts amazoniennes, poursuit Heike Molenaar. La posidonie n’est pas juste une plante, c’est un écosystème. Près de 2 000 espèces vivent dans les herbiers : des poissons s’en servent de frayère et de cachette, des algues se fixent dessus.»

Dans le bureau de la sécurité maritime de Cannes, avec vue sur le port, Georges Montanella ne se repère plus au bleu de l’eau, mais au trait rouge de la carte. Longeant la côte cannoise et entourant l’archipel, le tracé délimite la zone interdite au mouillage pour les navires de plus de 24 mètres (excepté le bateau-pizza), d’après un arrêté pris en 2019 par le préfet maritime pour «la sauvegarde des herbiers de posidonie». En 2021, la ville de Cannes est allée plus loin. Elle a sanctuarisé 43 hectares au nord des îles. «Ici, il n’y a plus de mouillage. Aucun bateau, note le directeur. Et on a créé la première zone de mouillage écologique avec 28 bouées où les bateaux peuvent s’amarrer. Ce sont des ancrages à vis avec une bouée en surface.» S’ajoutent quatre bouées pour les clubs de plongée et une zone de baignade étendue. Budget total : 225 000 euros. En parallèle, la préfecture a installé des amarrages pour les grands yachts. Fini les mouillages forains destructeurs de fonds marins, fini les chaînes qui raclent la posidonie.

«Ça coûte une blinde»

Retour sur le bateau municipal. Les contrôleurs du littoral surveillent la baie. Bientôt, des caméras seront fixées sur les îles pour guetter le mouillage. «On fait beaucoup de rappels de réglementation. Soit les gens ne sont pas au courant, soit ce sont de mauvaises habitudes, pointe Anthony Rousseau, directeur adjoint du service maritime et littoral de Cannes. On sensibilise. Et on leur demande de repartir par l’avant, pour que l’ancre ne traîne pas.» En cas de réticence, il faut appeler la gendarmerie. «Je fais les démarches pour que les maires aient un pouvoir de police en mer, en complément de l’Etat. On a zéro pouvoir et c’est insupportable», s’offusque le maire LR de Cannes David Lisnard, qui, dans la foulée, rassure : «Les conflits d’usage sur la baie, on les gère de mieux en mieux parce que la prise de conscience [écologique, ndlr] est générale.»

Les ancres ne sont pas les seules à menacer la posidonie. L’aménagement de territoires gagnés sur la mer et la pollution de l’eau sont aussi à l’origine de leur régression. La ville de Cannes s’est équipée de robots nettoyeurs de plan d’eau, de filets à l’embouchure des eaux fluviales, de pompes gratuites pour la vidange des eaux usées des bateaux, d’un service de nettoyage après chaque feu d’artifice. «On est la première ville à récupérer les posidonies mortes et à les réinjecter dans le milieu marin. Ça coûte une blinde : presque 300 000 euros par an, note David Lisnard. Mais c’est très profitable à l’écosystème car la posidonie est un vrai capteur de carbone. C’est certainement l’opération la plus productive immédiatement.» Il faudra tout de même attendre de longues années avant de voir poindre les premiers résultats. Pour que le bleu foncé reprenne le dessus sur le turquoise cristallin.

Source: Liberation