Arrestation de Paul Watson au Groenland : quels pays pratiquent encore la chasse à la baleine, pourtant interdite depuis 1986 ?
26 juillet 2024
26 juillet 2024
D’un côté, les chasseurs de baleine. De l’autre, les chasseurs de baleiniers. L’arrestation, dimanche 21 juillet au Groenland de l’activiste canadien Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd et de la fondation qui porte son nom, a mis un coup de projecteur sur une pratique controversée : la chasse à la baleine. Autrefois l’huile issue de l’animal alimentait les lampes à huile, tandis que la viande nourrissait les populations isolées des terres peu hospitalières du grand nord ou les habitants affamés d’un Japon anéanti par la guerre.
La mise à l’eau, en mai, d’un tout nouveau navire japonais dédié à cette chasse, le Kangei Maru, pose la question de la reprise d’une pratique décriée par le grand public, de plus en plus sensible à la souffrance animale et à la protection des écosystèmes marins. Et de plus en plus enclin à soutenir Paul Watson, qui risque l’extradition vers le Japon. Mais que dit le droit international sur ce sujet ?
Pour réguler la chasse à la baleine, la Commission baleinière internationale (CBI) a vu le jour en 1946. Face à des populations alors décimées par la pêche, mais aussi par les collisions avec des navires, l’organisation qui rassemble 88 pays « s’efforce de promouvoir le rétablissement des populations de baleines épuisées (…) ». D’un point de vue légal, la CBI s’appuie sur la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, qui encadre trois types de chasse : la chasse à des fins commerciales, la chasse aborigène pratiquée par des communautés autochtones, notamment en Alaska ou en Sibérie, et la chasse à des fins scientifiques. Au fil des années, la CBI a limité le nombre d’espèces pouvant être chassées pour être vendues sur les étals, avant d’instaurer de fait, en 1986, un moratoire sur la chasse commerciale en fixant à zéro le quota de baleines pouvant être tuées à cette fin.
Or, le Japon, la Norvège et l’Islande continuent à pratiquer une chasse commerciale. « Pour le petit nombre de nations baleinières qui subsistent, la chasse à la baleine, bien qu’elle doive aujourd’hui être contrôlée et durable, reste une activité légitime au même titre que d’autres formes d’exploitation durable des ressources marines », expliquait en 2020 la juriste britannique Malgosia Fitzmaurice, professeure en droit public à l’université Queen Mary de Londres, dans un article traitant de la possibilité de faire avancer la réglementation de la chasse à la baleine (PDF).
La CBI reconnaît par ailleurs l’existence de deux sanctuaires (l’un dans l’océan Indien, l’autre dans l’océan Austral), mais a échoué à faire adopter la création d’un sanctuaire dans l’Atlantique Sud, face à l’opposition de 25 pays, dont le Japon, la Russie, l’Islande et la Norvège.
Avant de se faire arrêter au Groenland, Paul Watson se dirigeait à bord du bateau de sa fondation vers le passage du Nord-Ouest, reliant l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. La mission : intercepter le Kangei Maru, un navire-usine récemment construit par le Japon, dans le Pacifique Nord et utilisé par la compagnie Kyodo Senpaku. Avec ses mensurations impressionnantes, ce géant des mers tout neuf incarne les ambitions du pays en matière de chasse à la baleine : 113 mètres de long, 21 mètres de large pour un poids total de 9 200 tonnes. Le pays, principal marché pour la viande de baleine, a quitté la CBI en 2019, avec l’intention de reprendre la chasse commerciale à proximité de ses côtes. Dès lors, « dans le périmètre de ses eaux, le Japon a autorité absolue sur la gestion des espèces vivantes, baleines incluses« , a expliqué en juin le professeur de droit international australien Donald Rothwell, cité par CNN.
Membre de la Commission baleinière internationale (CBI) dès ses débuts, Tokyo a longtemps utilisé le fait que la CBI autorise la chasse aux cétacés à des fins scientifiques pour contourner le moratoire. Deux ans après son entrée en vigueur, en 1988, Tokyo obtient ainsi des dérogations dans le cadre de « missions de recherches » en Antarctique et dans le nord-est du Pacifique.
Saisie par l’Australie, la Cour internationale de Justice (CIJ) a finalement condamné le Japon en 2014 à rappeler ses baleiniers en activité dans l’Antarctique. Le pays viole « les moratoires sur la chasse commerciale et les usines flottantes, ainsi que l’interdiction de la chasse commerciale dans le sanctuaire de l’océan Austral », a estimé la CIJ.
Dans les années qui ont suivi, Tokyo a continué de plaider en faveur d’exceptions au moratoire de la CBI, arguant une question de « sécurité alimentaire ». Pourtant, la consommation de la viande du cétacé s’est effondrée au fil des ans (elle s’établit désormais à environ 2 000 tonnes par an, alors qu’elle était 200 fois supérieure dans les années 1960).
Bien que les deux pays soient membres de la CBI, l’Islande et la Norvège pratiquent la chasse à la baleine à des fins commerciales. Opposée au moratoire, l’Islande a repris la chasse commerciale dès 2003 pour le rorqual commun et la baleine de Minke (aussi appelé « petit rorqual »). Seule la chasse à la baleine bleue, totalement proscrite par la commission, y est aussi interdite.
En 2020, faute de rentabilité pour cette activité de plus en plus controversée, l’une des deux compagnies de chasse islandaise a définitivement raccroché les harpons. Et si la société de chasse restante, Hvalur, a reçu en juin de la part des autorités une licence pour tuer 128 rorquals communs, ces dernières années, les baleiniers islandais sont rarement parvenus à atteindre leurs quotas. En 2023, 24 rorquals communs ont été chassés sur un quota de 209 possibles. Cette année-là, la chasse avait été interrompue pendant deux mois (sur les trois que compte la saison) à la suite d’une enquête gouvernementale révélant que les harpons explosifs utilisés contrevenaient aux lois du pays sur le bien-être animal.
Ainsi, au cours des deux dernières décennies, l’industrie touristique islandaise, en particulier les excursions d’observation des cétacés géants, a connu un tel essor que la nécessité de protéger les cétacés apparaît bien plus rentable que de les chasser.
En Norvège aussi, les chasseurs de baleines peinent à remplir les quotas accordés par Oslo et le nombre de bateaux engagés dans cette activité ne cesse de diminuer. En 2021, 575 cétacés ont été pêchés, moins de la moitié des quotas autorisés, par les 14 navires encore en activité dans les eaux norvégiennes.