Ariane 6 : Un cargo à voiles sur mesure donne des ailes au nouveau lanceur européen

 

Il embaume encore la peinture. Canopée, un navire flambant neuf de 121 mètres de long pour 22 mètres de large et bientôt équipé de voiles, d’ici cet été, a été conçu pour transporter l’ensemble d’un lanceur Ariane 6 en un seul voyage. Il est au cœur de la nouvelle stratégie d’ArianeGroup pour réduire drastiquement les coûts de son nouveau lanceur.

Encore en campagne d’essais, avec une escale, ce jeudi, au terminal Grattequina de Bordeaux, la première rotation est annoncée pour la fin de l’année, en lien avec le lancement du premier lanceur Ariane 6.

 

Seulement 28 jours de Brême à Kourou

 

Pour gagner du temps, économiser du carburant et monter en efficacité, ArianeGroup a repensé toute sa chaîne logistique autour de ce nouvel outil, conçu et développé par la coentreprise Alizés, sous contrat d’exploitation avec ArianeGroup. « Avec Ariane 6, on veut diviser par deux le coût du lanceur Ariane 5, explique Gilles Fonblanc, secrétaire général d’ArianeGroup et président de la filiale française ArianeGroup SAS. Pour cela, nous avons repensé l’organisation industrielle avec les douze pays associés jusqu’à toute la logistique qui accompagne le transfert des sous-ensembles, et des équipements fabriqués en Europe et transportés vers la Guyane »,

Auparavant, différents bateaux partaient des ports les plus proches des usines du groupe et acheminaient leurs précieuses cargaisons jusqu’en Guyane. Canopée centralisera les différentes pièces au fur et à mesure. « A Brême, seront chargés les étages supérieurs du lanceur, à Rotterdam, les demi-coiffes qui protègent les satellites, au Havre, l’étage principal du lanceur, en Aquitaine, les quatre propulseurs et également de la matière première venue de Toulouse, qui sera transformée en Kourou », détaille Cédric Boulay, responsable logistique et transport à ArianeGroup. La durée du trajet de Brême à Kourou sera de 28 jours contre presque le double auparavant.

Après une montée en puissance progressive, dix trajets de ce type seront effectués chaque année contre quatre à cinq pour Ariane 5. Cela laisse très peu de temps de latence pour l’entretien du cargo. « C’est un peu une écurie de Formule 1, l’idée c’est d’être extrêmement dynamique notamment grâce à un outil de gestion de maintenance assistée par ordinateur, réagit Jean-Michel Berud, président de Jifmar Offshore Services (lire encadré). On a des moteurs connectés qui permettent de repérer des dysfonctionnements avant que ne surviennent des défaillances ». Le bateau, qui peut embarquer jusqu’à 1.500 tonnes, est aussi un condensé de technologies pour surveiller la stabilité de la précieuse cargaison.

 

Un cargo peu consommateur en carburant

 

« Le navire n’est pas au fioul lourd mais au diesel, ce qui amène notre bilan CO2 vers le bas, pointe Jean-Michel Berud. Et donc, on a choisi une propulsion hybride : diesel et vélique [issue des voiles d’un navire]. » Ces ailes mesurent 37 mètres de haut et ont chacune 363 m2 de portance. Articulées, elles peuvent être orientées grâce à la technologie de la société nantaise D-Ice Engineering.

« Un logiciel de routage qui étudie les poches de vent au niveau météorologique et en proche distance, permet de bénéficier de la meilleure portance au meilleur moment, complète Jean-Michel Berud. On mise sur 30 à 35 % d’économies en moyenne, sur une année. »

Mais au-delà du seul cargo, c’est bien toute la chaîne qui a été révisée. « Toutes les usines Ariane 6 ont été conçues dans cet état d’esprit d’améliorer la logistique et les transferts entre les sites, insiste Gilles Fonblanc. Améliorer l’empreinte environnementale ce n’est pas seulement le transport par bateau mais tout ce qui concoure à amener les éléments sur le bateau. »

 

Hub important à Bordeaux

 

Près de 40 % des effectifs du groupe travaillent en Gironde. Les tuyères (propulseurs) sont fabriquées au Haillan et les jupes, immenses pièces métalliques en forme de cylindre qui vont sur la partie basse du lanceur, à Saint-Médard-en-Jalles. « Tout ce qui est fabriqué à Bordeaux sera transporté sur ce bateau et rejoindra la Guyane, se félicite Gilles Fonblanc. Bordeaux va prendre une autre dimension et occuper une place significative dans ce programme Ariane 6 ».

Eric Le Nechet, responsable des transports France et de la chaîne logistique Kourou explique qu’une escale de deux jours est prévue à Bordeaux, lorsque la cadence sera à dix rotations, d’ici quelques années. Le terminal de Grattequina apparaît comme le plus adéquat pour cette escale mais cela reste encore à affiner, en lien avec le grand port maritime de Bordeaux.

Si le bateau est indisponible, par exemple pour une raison de maintenance, des cargos, moins vertueux, sont mobilisables dans le cadre d’une veille en lien avec des partenaires européens d’ArianeGroup. « La compétition accrue sur les lanceurs fait que l’on part sur de longs cycles. Il y aura des évolutions et il faudra poursuivre le transport en l’adaptant », commente Gilles Fonblanc.

Depuis la réception de ce nouveau cargo le 23 décembre dernier, une première rotation a déjà eu lieu et sera un voyage de référence, sans les voiles. Le prochain permettra de mesurer le gain obtenu grâce à ces « ailes ». D’ici là, des essais en mer de trois semaines sont prévus pour qualifier les voiles, comme chaque élément avant son intégration.

Le voyage inaugural avec l’intégralité des pièces, dont le rangement est optimisé façon tethris dans l’immense cale, aura lieu d’ici la fin 2023.

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