Les quatre coins du monde menacés

Californie, États-Unis

La sécheresse s’étend maintenant sur près de 50 % des États-Unis, relève le Système national d’information intégrée sur la sécheresse, qui recense les données sur la sécheresse à la grandeur du pays. En date du 31 mai, l’agence gouvernementale signalait 90 millions de personnes touchées et plus de 170 millions d’acres de terres agricoles perturbées.

Un robinet fuit près des quais pour bateaux situés aux abords du lac Folsom, en Californie, État frappé de plein fouet par la sécheresse.

Les réserves d’eau de la Californie deviennent de plus en plus une denrée rare. En effet, 30 % de la population du sud de la Californie est menacée de manquer d’eau alors que le State Water Project, un système de distribution d’eau publique, dit être incapable de répondre à la demande dans les prochains mois. Au printemps, des millions de résidants ont été appelés à réduire leur consommation d’eau de 20 à 30 %.

France

En France, l’assèchement des sols s’accentue alors que Météo France enregistre un déficit de précipitations de 45 % ce printemps. En 2021, 23 départements français étaient soumis à des restrictions de consommation d’eau par le ministère de la Transition écologique. Déjà deux fois plus de départements sont touchés par la sécheresse cette année.

À l’été 2020, le Doubs, en France, était à son niveau le plus bas en plus de 100 ans.

Il y a quatre niveaux de restrictions d’eau en France : vigilance, alerte, alerte renforcée et crise. Huit départements sont déjà sujets à des restrictions de crise qui autorisent le prélèvement d’eau seulement à des fins de sécurité civile, de santé, d’eau potable et de salubrité. La consommation d’eau pour l’agriculture y est donc sévèrement restreinte, ce qui bouleverse les récoltes. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a augmenté les dépenses permises aux agences d’eau de 100 millions d’euros (environ 135 millions de dollars canadiens) pour optimiser la résilience du secteur agricole envers les changements climatiques.

La France n’est pas le seul pays d’Europe frappé par la sécheresse. Au début du mois du juin, le Portugal enregistrait son mois de mai le plus chaud depuis 1931. L’État confirmait aussi que 97 % du territoire était maintenant en situation de « sécheresse grave ».

Inde

Selon les Nations unies, le produit intérieur brut (PIB) de l’Inde aurait baissé de 2 à 5 % en raison de la sécheresse qui ravage le pays à la suite de vagues de chaleur extrême allant jusqu’à 45,7 °C dans le Rajasthan en avril, affirme le Service météorologique indien. L’État annonçait le 13 mai la suspension de l’exportation du blé pour protéger sa population contre l’insécurité alimentaire.

Le sol de l’État de l’Uttar Pradesh, en Inde, est si sec qu’il ne peut produire suffisamment de denrées pour la population.

Depuis 2010, plus de 6500 personnes sont mortes en raison des chaleurs extrêmes, souligne l’Agence France-Presse.

Il est 30 fois plus probable que l’Inde subisse des chaleurs extrêmes en raison des changements climatiques, explique l’association de scientifiques World Weather Attribution. Les températures du mois de mai ont atteint un record dans le nord du pays, du jamais-vu depuis 1966, a déclaré le Service national britannique de météorologie, le Met Office.

Santiago, Chili

La capitale du Chili, Santiago, imposera pour la toute première fois de son histoire un plan de rationnement de l’eau en raison des faibles précipitations cette année.

La rivière Mapocho, qui traverse Santiago, au Chili, est presque à sec.

Le débit de la rivière Mapocho, qui traverse Santiago, a baissé de 57 % l’an dernier, selon les rapports officiels. Le Centre de recherche pour le climat et la résilience du Chili a enregistré une baisse de 30 % des précipitations à l’échelle du pays dans la dernière décennie.

Corne de l’Afrique

La sécheresse ne cesse de menacer la sécurité alimentaire dans l’est de l’Afrique. Le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire a bondi de 30 % entre les mois de mai et d’avril, passant de 29 millions à 40 millions, observe l’Autorité intergouvernementale pour le développement.

Deux filles tirent des barils remplis d’eau. Le nord du Kenya est actuellement touché par une sécheresse.

Jamais on n’a vu aussi peu de précipitations dans la Corne de l’Afrique au cours des 70 dernières années entre les mois de mars et mai, relève le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine.

Maroc

L’Afrique du Nord est tout aussi ébranlée par la sécheresse. Le ministère de l’Agriculture du Maroc enregistre une baisse de 35 % des précipitations depuis le mois d’avril par rapport à l’année dernière. On estime que la production de céréales diminuera de 69 % en 2022. Le Maroc prévoit des conditions favorables à la récolte de fruits et de légumes, mais anticipe toute de même une baisse de 14 % du PIB agricole.

L’eau est basse dans le bassin du barrage Abdelmoumen, à environ 60 km d’Agadir, au Maroc.

« La situation est grave »

Les changements climatiques et la hausse constante de la population exercent de la pression sur les réserves d’eau mondiales. Les pays cherchent maintenant à s’adapter à cette nouvelle réalité.

Pourquoi les sécheresses sont-elles plus fréquentes ?

La réponse courte, c’est : en raison des changements climatiques. « C’est vraiment important de percevoir les changements climatiques comme une série d’évènements extrêmes », affirme Chris Funk, directeur du Centre d’aléas climatiques à l’Université de Californie à Santa Barbara. Les modèles climatiques globaux restent les mêmes, mais les évènements extrêmes sont plus importants.

En Californie, par exemple, les précipitations dans les montagnes du Nevada tombent de plus en plus en pluie, affirme Ellen Bruno, professeure au département d’agriculture et de gestion des ressources à l’Université de Californie. Le manteau de neige qui s’accumulait normalement durant l’hiver assurait une réserve d’eau pour l’été. Le réchauffement planétaire réduit les réservoirs naturels d’eau, et force la région à épuiser les nappes phréatiques, explique-t-elle.

Des embarcations dans les eaux abaissées par la sécheresse du lac Oroville, en Californie

Qu’en est-il de notre consommation d’eau ?

La population grandissante augmente la pression sur l’eau partout dans le monde, explique Hossein Bonakdari, professeur adjoint au département des sols et de génie alimentaire de l’Université Laval. Les changements climatiques forcent la société à revoir sa consommation d’eau, alors que la quantité d’eau accessible s’avère inférieure à la demande durant les périodes de sécheresse.

Encore en Californie, les régions rurales sont très vulnérables au réchauffement climatique. Elles ne sont pas toutes soutenues par un service d’eau urbain et dépendent de réservoirs naturels d’eau qui s’assèchent chaque année, explique Ellen Bruno. L’État doit alors faire parvenir par camion de l’eau potable à ces communautés.

Avons-nous atteint un point de non-retour ?

« La situation est grave, il faut faire attention », affirme Hossein Bonakdari.

Seulement au Canada, la température a atteint un nouveau record en juin 2021, soit 49,6 °C en Colombie-Britannique. En 2018, l’équivalent en volume d’eau de 1,2 million de piscines olympiques a été nécessaire pour irriguer les terres agricoles au pays, une augmentation de 74 % de la consommation d’eau par rapport à 2012, relève Statistique Canada. À l’heure actuelle, déjà une partie importante du sud des Prairies canadiennes est en situation de « sécheresse grave » et de « sécheresse extrême », révèle l’Outil de surveillance des sécheresses au Canada (OSSC).

« Les projections des modèles pour les changements climatiques montrent que ça va augmenter dans l’avenir et surtout dans le sud des Prairies canadiennes », confirme Hossein Bonakdari.

En Afrique, la situation est alarmante, alors que la pauvreté rend les communautés beaucoup plus vulnérables aux changements climatiques, explique Linda Ogallo, experte en adaptation aux changements climatiques de l’Autorité intergouvernementale sur le développement, au Djibouti. Alors que certains pays se préparent au pire, d’autres en subissent déjà les conséquences. Il doit y avoir une vision commune pour contrer les sécheresses, dit-elle.

Le manque d’eau risque-t-il de créer plus de conflits ?

Oui. Dans les zones arides où l’eau se fait déjà rare, la sécheresse accroît la concurrence et les conflits entre ces régions, explique Hossein Bonakdari.

Et les exemples ne manquent pas. Un conflit entre l’Égypte et l’Éthiopie progresse à l’heure actuelle, alors qu’un barrage éthiopien réduit le débit d’eau dans le Nil, affirme-t-il. Au Moyen-Orient, l’Euphrate, qui traverse la Syrie et l’Irak, s’assèche en raison du barrage Atatürk, en Turquie. Les pays en amont bénéficient du contrôle de l’eau, relève Hossein Bonakdari. « Il faut considérer l’ensemble des gens en aval pour optimiser la gestion de la ressource. »

Comment s’adapter à cette nouvelle réalité ?

La technologie de prévision des modèles climatiques est un moyen indispensable pour s’adapter à la sécheresse, selon les experts. Déjà, certains systèmes prédisent de six à huit mois d’avance la température des océans, affirme Chris Funk. Ces systèmes permettent d’agir en amont, de répondre aux besoins des communautés et de mieux gérer les risques liés aux périodes de sécheresse.

« Prenons par exemple la quantité d’énergie pour chauffer une casserole d’eau. Ça prend beaucoup d’énergie pour la chauffer. L’énergie requise pour réchauffer l’océan est donc massive. Ça ne change pas rapidement. On peut alors prédire les évènements avec beaucoup de précision », explique-t-il.

Selon Chris Funk, la possibilité d’avertir des fermiers de chaleurs extrêmes à venir dans les régions isolées de l’Afrique serait un grand exploit. Les modèles de prévision se développent essentiellement dans les milieux occidentaux, alors qu’une utilisation des données pour des milieux arides défavorisés est tout aussi nécessaire, souligne-t-il.

Est-ce que les modèles de prévision sont adéquats ?

Bien que les modèles de prévision soient prometteurs, ils ne répondent pas à l’urgence climatique des pays en développement, relève Linda Ogallo. Déjà, des communautés en Afrique souffrent d’insécurité alimentaire et de pauvreté en raison des sécheresses. La technologie de prévision climatique est insuffisante pour assurer aux communautés vulnérables une résilience par rapport aux changements climatiques, explique-t-elle. « [La sécheresse] n’est pas un problème de demain, mais un enjeu d’aujourd’hui. »

« On doit arrêter de percevoir les Africains comme un peuple de mendiants vulnérables, mais plutôt comme un peuple qui a le potentiel de faire une différence dans le monde. »