afrimaqua : vers une aquaculture marine durable en afrique

 

Maria Darias est directrice de recherche à l’IRD, au sein de l’UMR MARBEC. Elle coordonne AfriMAQUA, un réseau de recherche en aquaculture marine qui rassemble des équipes d’Afrique de l’Ouest, australe, de l’Est, ainsi que de France, afin de répondre aux défis liés aux systèmes alimentaires aquatiques en Afrique.

 

Maria, pouvez-vous vous présenter ?

 

Je suis directrice de recherche à l’IRD au sein de l’unité MARBEC, en affectation à Cape Town au Ministère sud-africain des forêts, de la pêche et de l’environnement. Mes travaux portent sur le développement d’une aquaculture marine durable et sensible à la nutrition, avec un intérêt particulier pour la physiologie, la nutrition et la valeur nutritionnelle des espèces aquacoles. Je coordonne l’IRN AfriMAQUA, qui est également un programme de la Décennie des océans des Nations Unies, et je co‑dirige le LMI LIMAQUA, en partenariat avec l’Afrique du Sud. Ces deux initiatives visent à renforcer la durabilité et l’impact nutritionnel de l’aquaculture marine en Afrique.

 

Comment évolue la situation de la sécurité alimentaire sur le continent africain ?

 

Selon le rapport SOFI 2024 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un Africain sur cinq a souffert de la faim en 2023, faisant de l’Afrique la seule région où la sous‑alimentation continue d’augmenter. Près de 58 % de sa population vit en insécurité alimentaire modérée ou grave, soit presque le double de la moyenne mondiale, et d’ici 2030 plus de la moitié des personnes sous‑alimentées dans le monde s’y trouveront. Par ailleurs, la prévalence des carences en micronutriments, notamment chez les jeunes enfants et les femmes en âge de procréer, y est également la plus élevée. Ces éléments soulignent l’urgence de transformer nos systèmes alimentaires pour que chacun ait accès à une alimentation saine et abordable.
 

Les aliments d’origine aquatique occupent une place importante dans l’alimentation africaine, en quoi sont-ils essentiels d’un point de vue nutritionnel ? 

 

Dans de nombreux pays africains, les aliments d’origine aquatique assurent plus de 20 % de l’apport moyen en protéines animales, atteignant 50 % dans certains pays. Ils constituent également la source principale d’acides gras oméga‑3 à longue chaîne, essentiels au développement fœtal ainsi qu’au bon fonctionnement des systèmes immunitaire et cardiovasculaire, et fournissent des micronutriments clés comme le fer, le zinc, le calcium, l’iode et les vitamines A, D et B12, qui sont nécessaires à la croissance, au bon développement cérébral et au renforcement du système immunitaire. 

 

Quels défis sous-tendent l’aquaculture en Afrique ?

 

Bien que l’aquaculture africaine ait enregistré le taux de croissance annuel moyen le plus élevé au monde ces vingt dernières années, elle ne représente que 2 % de la production mondiale, essentiellement en eau douce, la filière marine (hors algues) étant la plus basse au monde. Les principaux défis sont la disponibilité limitée d’alevins de qualité et de souches améliorées, le manque d’aliments aquacoles abordables et performants, ainsi que des lacunes en savoir‑faire technique, en formation et en services de vulgarisation. Les infrastructures et l’accès aux marchés insuffisants s’ajoutent à des pertes post‑récolte élevées dues à des chaînes du froid inadaptées. Enfin, le manque de politiques incitatives, de capacités de recherche et de ressources humaines et financières freine le développement du secteur, à l’exception de quelques cas comme l’Égypte et le Nigeria.
 

Vous coordonnez le réseau AfriMAQUA, quel est son objectif ?

 

L’objectif de ce réseau international est de rassembler des équipes de recherche en aquaculture marine d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire), d’Afrique australe (Namibie, Afrique du Sud) et d’Afrique de l’Est (Mozambique, Tanzanie, Kenya, Maurice), ainsi que de France. Il favorise l’échange de connaissances, la mutualisation d’efforts de recherche et le renforcement des capacités pour contribuer au développement d’une aquaculture marine durable et sensible à la nutrition en Afrique. Nous mettons un accent particulier sur les collaborations Sud–Sud, y compris entre pays africains francophones et anglophones. AfriMAQUA s’appuie sur le LMI LIMAQUA (Laboratoire Interdisciplinaire africain d’aquaculture marine durable et sensible à la nutrition), basé en Afrique du Sud, qui constitue sa plateforme principale pour structurer les collaborations scientifiques et les actions de formation. Parallèlement, les connaissances développées au sein de LIMAQUA sont transférées vers d’autres pays africains à travers AfriMAQUA.

Oursin bonnet de prêtre (Tripneustes gratilla)

Oursin bonnet de prêtre (Tripneustes gratilla) nourri avec l’algue Ulva dans un système d’aquaculture multitrophique intégrée, Afrique du Sud.

© IRD – Maria Darias

Comment les populations locales sont-elles impliquées ?

Même si les populations locales ne sont pas directement impliquées dans le réseau lui-même, plusieurs projets collaboratifs menés dans le cadre d’AfriMAQUA les associent de manière concrète. Par exemple, au Kenya, nous menons des recherches sur des étangs aquacoles communautaires pour développer des pratiques plus durables. Au Mozambique, nous explorons l’intégration de l’aquaculture d’artémia dans les salines artisanales, comme source de revenu complémentaire pour les producteurs de sel. Par ailleurs, AfriMAQUA organise des ateliers participatifs réunissant des acteurs issus de la recherche, du gouvernement, du secteur privé et de la société civile. L’un d’eux, tenu au Cap en 2024, visait à coconstruire des recommandations pour des systèmes alimentaires aquatiques plus durables, inclusifs et équitables. Une formation à ces approches participatives est également prévue cette année, afin que des collègues de chaque pays partenaire puissent ensuite initier des dialogues multi–acteurs à l’échelle locale.
 

À quel stade en est actuellement le projet ? 

Nous sommes actuellement dans la deuxième phase du réseau AfriMAQUA, renouvelé en 2024. Après une première étape centrée sur la constitution d’une communauté scientifique solide et engagée dédiée à la durabilité de l’aquaculture marine en Afrique, nous élargissons désormais notre démarche en intégrant une approche sensible à la nutrition, afin de promouvoir des systèmes alimentaires aquatiques plus durables, résilients et favorisant des régimes alimentaires plus sains. Cette nouvelle phase s’appuie sur les acquis du LMI LIMAQUA pour intégrer des dimensions interdisciplinaires (aquaculture, nutrition humaine, socioéconomie) et renforcer les échanges multi–acteurs. La prochaine étape consiste à consolider cette approche au sein du réseau et à l’étendre éventuellement à d’autres régions ou pays du continent, comme l’Afrique centrale, sous réserve de financements complémentaires.

Source : IRD