À la fois victime et solution, l’Océan pourrait devenir notre arme clé contre le réchauffement climatique… un dernier rempart écologique qui s’élève, mais à quel prix ?

 

De nouvelles techniques ambitionnent d’amplifier le rôle de puits de carbone des océans, mais leur déploiement pose des défis majeurs de traçabilité, de gouvernance et de sécurité environnementale, selon un rapport européen de référence.

L’accélération du réchauffement mondial force les scientifiques et les décideurs à envisager des options longtemps jugées extrêmes. Parmi elles, la possibilité de déployer massivement des technologies capables d’extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Et si la mer, qui stocke déjà naturellement un quart du CO₂ que nous produisons, devenait un outil déterminant pour inverser la tendance ?

 

L’océan, un géant sous-exploité dans la lutte climatique

 

Depuis des millénaires, les mers jouent un rôle tampon dans le cycle du carbone. Chaque année, elles absorbent près de 10,5 milliards de tonnes de CO₂, stockées dans leurs couches profondes ou sous forme de matière organique. Ce puits naturel, fondamental pour la stabilité du climat, inspire aujourd’hui une nouvelle génération de techniques.

Certaines méthodes s’appuient sur la biologie. Elles visent à stimuler le phytoplancton en ajoutant des oligo-éléments dans l’eau. Cela renforcerait la photosynthèse, et donc l’absorption du CO₂, avant que les organismes morts ne tombent vers le fond marin. D’autres stratégies, cette fois chimiques, cherchent à augmenter l’alcalinité de l’océan. Ainsi, celui-ci pourrait dissoudre plus de dioxyde de carbone. On évoque aussi la culture d’algues en grande quantité, puis leur immersion en profondeur. Enfin, des pompes à nutriments pourraient aussi relancer la productivité biologique

Selon l’analyse du Global Carbon Project, présentée par le centre CICERO, les émissions fossiles mondiales poursuivent leur hausse en 2025 (+1,1%), ce qui rend indispensable de nouvelles solutions de capture en plus des réductions à la source.

 

Ce que le captage du carbone océanique change dans les équilibres naturels

 

Malgré l’intérêt croissant qu’elles suscitent, ces méthodes sont encore très peu matures. La plupart n’ont été testées qu’à petite échelle, et les conséquences de leur généralisation restent largement inconnues. Modifier chimiquement la mer, y injecter des substances alcalines ou la fertiliser massivement n’est pas sans risque pour les écosystèmes.

L’étude Monitoring, Reporting and Verification for Marine Carbon Dioxide Removal, réalisée par le European Marine Board, rappelle que certaines techniques peuvent produire des gaz à effet de serre secondaires comme le méthane ou le protoxyde d’azote. D’autres perturberaient les cycles nutritifs ou la stratification océanique. Sans une compréhension fine des impacts à long terme, ces interventions pourraient aggraver les problèmes qu’elles cherchent à résoudre.

La variabilité spatiale et temporelle de l’océan complexifie en outre toute tentative de prouver que le carbone est bien stocké durablement. Si une partie remonte rapidement à la surface ou est recyclée par les organismes marins, l’effet de séquestration devient illusoire. Pour être crédible, tout projet de captage devra donc faire la preuve de son efficacité réelle, de la durée du stockage et de son innocuité environnementale.

 

Quand faut-il dire non à une solution technologique ?

 

Le débat ne se limite pas à des questions techniques. Il touche à des choix de société. Qui pourra déployer ces technologies en mer ? Quelles institutions seront habilitées à vérifier les résultats ? Que se passera-t-il si une entreprise privée revendique des crédits carbone pour une activité dont l’efficacité n’est pas prouvée ?

Le rapport, relayé par Eurekalert, souligne la nécessité de mettre en place des standards de contrôle, de vérification indépendante et de partage des données. Il alerte aussi sur le risque d’un déploiement prématuré. Les promesses d’une technologie ne doivent pas justifier son utilisation avant qu’elle ait fait ses preuves. À l’heure où certains pays et acteurs économiques voient déjà dans les océans un outil pour compenser des émissions qu’ils ne souhaitent pas réduire, la tentation d’en faire un alibi vert est réelle.

L’avenir du captage du carbone océanique dépendra donc moins de sa faisabilité technique que de la rigueur éthique, scientifique et politique avec laquelle il sera encadré. Car sous les apparences d’une solution, c’est tout un nouvel équilibre climatique, écologique et géopolitique qui pourrait basculer.

Source : SV