21,1 °C : les océans surchauffent et battent un nouveau record de chaleur
14 avril 2023
14 avril 2023
Année après année, les océans battent de nouveaux records de chaleur. Début avril, les eaux de surface des mers du monde ont enregistré une température moyenne de 21,1 °C, relève l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). Un record depuis le début des relevés, en 1981. Dès mars, la température moyenne des océans atteignait 21 °C, un niveau atteint en 2016, année la plus chaude jamais enregistrée sur Terre.
L’année 2016, qui a battu des records de chaleur atmosphérique et océanique, coïncidait avec El Niño, un phénomène climatique qui participe à réchauffer les eaux de surface du Pacifique, au large des côtes d’Amérique du Sud. A l’inverse, les périodes La Niña, caractérisées par un refroidissement dans le centre et l’est du Pacifique tropical et des vents alizés plus forts, refroidissent les températures des océans. Pour Jean-Pierre Gattuso, chercheur du CNRS au Laboratoire d’océanographie de Villefranche (Rhône), le nouveau record de ce début avril ne représente «aucune surprise».
«Les scénarios du Giec, notamment dans le rapport spécial sur l’océan, prévoient une augmentation des canicules marines, en fréquence, en intensité et en superficie», relève-t-il. Malgré tout, ces 21,1 °C degrés restent particulièrement préoccupants. «Etre d’ores et déjà dans un record de température élevée alors qu’El Niño n’a pas encore commencé, c’est très inquiétant», précise Jean-Pierre Gattuso. En effet, même si le dernier cycle de La Niña vient de se terminer, El Niño ne s’est pas encore manifesté. Et son retour prévu en 2023 fait craindre des conditions météorologiques extrêmes et de nouveaux records de chaleur mondiaux.
Un autre indicateur s’affole aussi ces dernières décennies : le contenu thermique des océans, soit l’énergie absorbée par les océans. Selon ce marqueur, en 2022, les océans étaient les plus chauds jamais enregistrés, battant le record précédent de… 2021. Ainsi, la chaleur totale contenue dans les océans entre la surface et 2 000 mètres de profondeur a atteint un niveau record l’année passée, avec l’addition de l’équivalent de dix zettajoules. Soit environ 100 fois la production d’électricité dans le monde en 2021. «Ce marqueur thermique est un très bon indicateur car il montre qu’au-delà de la surface, les eaux intermédiaires aussi se réchauffent, c’est-à-dire les eaux situées entre 3 000 à 5 000 mètres», explique Jean-Pierre Gattuso.
Cette chaleur océanique occasionne des répercussions dévastatrices pour le climat mondial et la biodiversité marine. «L’augmentation continue des températures bouleverse les communautés marines et force les espèces à se déplacer», détaille l’océanographe. Certaines espèces invasives fuient des eaux devenues trop chaudes, entrent en compétition avec les espèces endémiques et désorganisent les équilibres marins. Ces températures influencent également la météo. «L’eau chaude est le moteur des tempêtes en Méditerranée et des cyclones dans les Caraïbes par exemple», souligne Jean-Pierre Gattuso. «L’eau chaude en surface s’évapore, cet air très humide remonte au-dessus de la mer et rencontre de l’air froid en altitude. L’eau se condense et crée des précipitations qui peuvent être dantesques. C’est ce que l’on a eu lors de la tempête Alex en 2020, dans les vallées de la Roya et de la Vésubie.»
«L’excédent de chaleur océanique contribue à l’élévation du niveau de la mer par le biais de l’expansion thermique (l’eau se dilate en même temps qu’elle se réchauffe), à la fonte des glaces de mer, au déclenchement de vagues de chaleur marines, au blanchiment des coraux et à la création de zones océaniques sans oxygène», déroule aussi l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
Si les océans surchauffent, c’est parce qu’ils absorbent les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, plus de 90 % de la chaleur excédentaire emprisonnée sur Terre, liée aux émissions de carbone des activités humaines, est stockée dans l’océan. Sauf qu’une grande partie de cette chaleur se retrouvera inexorablement dans l’atmosphère au cours des prochains siècles, prévient l’OMM. Ainsi, si l’atmosphère a jusqu’ici été épargnée de toute l’ampleur du réchauffement climatique, cette chaleur libérée engagera la Terre dans un réchauffement supplémentaire.
Si le réchauffement futur des océans dépend des différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2100, les projections indiquent que le réchauffement des 2 000 mètres supérieurs des eaux sera 2 à 6 fois supérieurs à celui observé jusqu’à présent. Malgré tout, le réchauffement historique des océans est irréversible au cours de ce siècle, affirme une récente étude de Nature. «On pourrait stabiliser la température si on suivait rigoureusement les scénarios d’émissions de gaz à effets de serre compatibles avec l’Accord de Paris, précise Jean-Pierre Gattuso. Mais c’est loin d’être le cas aujourd’hui. On ne pourra pas revenir avant plusieurs siècles à la température qui prévalait dans les océans avant la révolution industrielle».