14 000 puits de pétrole et de gaz non rebouchés polluent cette région

Le golfe du Mexique, et particulièrement les côtes américaines, concentre une multitude de potentielles fuites d’hydrocarbures laissées par les compagnies, incluant Total.

POLLUTION – C’est un chiffre qui laisse pantois, mais qui n’étonnera pas les spécialistes du secteur. Une étude parue ce lundi 8 mai dans la revue Nature Energy a comptabilisé que 14 000 puits de gaz et de pétrole « inactifs », c’est-à-dire abandonné après utilisation, n’étaient pas rebouchés dans le golfe du Mexique.

Cette mer qui baigne la côte est du Mexique et de cinq États américains est déjà célèbre pour des catastrophes environnementales qui ont défrayé la chronique. En 2010, la plate-forme pétrolière utilisée par BP pour réaliser le forage pétrolier le plus profond de l’histoire, baptisée Deepwater Horizon, explose. L’accident fait 11 morts, et laisse un trou béant tout au fond du Golfe, d’où s’échappe l’équivalent de près de 5 millions de barils avant que l’on arrive à le reboucher.

Ici, il ne s’agit pas d’une catastrophe en cours, mais d’un danger latent et suintant : l’exploitant d’un puits doit normalement le reboucher après utilisation, mais aux États-Unis les contrôles sont souvent inexistants. La loi est rarement respectée. Consciente du problème, l’administration Biden a entamé un virage à plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour reboucher les puits, non seulement dans la mer mais aussi sur tout le territoire américain.

L’ampleur de la tâche est immense. Rien que dans l’État de Louisiane, l’on dénombre 4 500 puits dits « orphelins », c’est-à-dire abandonnés et sans propriétaire légal. Et l’on ne parle ici que des puits connus… Et qui ne se trouvent pas sous la surface de la mer.

13 000 puits dans des eaux peu profondes

Un puits abandonné peut en effet fuir indéfiniment s’il n’est pas rebouché, laissant s’échapper du méthane et du CO2, des gaz responsables du réchauffement climatique, mais aussi de l’oxyde d’azote ou du benzène, des composés hautement toxique pour le milieu naturel. « Il y a deux types de dégâts », indique ainsi Jacek Tronczynski, chercheur à l’Ifremer. « Le pétrole peut souiller, empêcher la respiration de la flore » en raison de sa viscosité, cela nous renvoie à la fameuse image du goéland empêtré dans une marée noire. Mais il y a une pollution plus invisible : « Les composantes toxiques du pétrole peuvent se dissoudre dans l’eau de mer, et rentrer dans la chaîne trophique », autrement dit, contaminer la faune et la flore.

Tous les puits ne fuient pas, mais c’est justement le manque d’informations à ce sujet qui alarme les spécialistes. En 2001, l’administration américaine elle-même reconnaît le problème : « Certains puits abandonnés dans le Golfe pourraient être en train de fuir ». Pas de données de nombre, ni de quantité. Pire : des activistes ont alors accusé l’autorité de protection de l’environnement de cacher le problème.

C’est pourquoi cette étude jette une lumière crue sur un problème certes connu, mais jusqu’ici très vague. Des 14 000 puits sous-marins identifiés, 13 000 se trouvent sur les côtes ou dans des eaux peu profondes, ce qui pose un risque environnemental plus grand que dans le cas des forages offshore. La proximité du littoral et une quantité d’eau plus faible ont pour conséquence une plus grande concentration des composés chimiques toxiques, donc une capacité de résistance plus faible à la pollution.

Total au rang des compagnies concernées

Combien cela coûterait-il de remédier au problème ? Trente milliards de dollars, d’après les chercheurs. Et bien plus si rien n’est fait, en raison du risque latent de catastrophe environnementale. Un puits abandonné peut en effet être relativement « sec » durant des années avant de relâcher des quantités importantes d’hydrocarbures, sous l’effet de la pression de l’eau.

Trente milliards de dollars, soit vingt-sept milliards d’euros cela peut finalement sembler assez peu au regard de l’enjeu : c’est encore moins, révèle l’étude, si l’on décide de concentrer les efforts sur les puits qui se trouvent au voisinage des côtes ou dans des eaux peu profondes : un peu plus de 6 milliards d’euros.

Qui devrait alors payer la note ? Les entreprises qui forent le sol marin pour y trouver les précieux hydrocarbures, lorsqu’il est possible de leur attribuer le puits : Chevron, Shell, ExxonMobil… Mais aussi le français Total. Pour les autres, les puits « orphelins » qui n’appartiennent plus à personne, l’addition revient aux pouvoirs publics.

Mettre un prix au rebouchage des puits est une étape supplémentaire pour s’occuper de ce que les experts considèrent comme une véritable « bombe à retardement », si jamais un puits non ou mal rebouché se mettait à fuir massivement. Même d’ailleurs sans un événement de cette ampleur, il y a urgence. Une étude précédente parue dans la revue Nature en 2013 estimait à 50 millions de litres la quantité d’hydrocarbures fuyant des puits du golfe du Mexique. Soit une marée noire plus importante que celle provoquée par l’Exxon-Valdès en 1989, chaque année.

Source: huffingtonpost