10 000 tonnes de saumons élevés sur terre : le plus grand projet aquacole d’Europe divise
17 mai 2023
17 mai 2023
Alors que l’aquaculture est promue par la France et l’Europe, un élevage intensif de saumons tente de s’implanter dans l’estuaire de la Gironde, au grand dam des écologistes.
C’est un projet qui fait des remous jusqu’au Parlement européen. Le 23 mars dernier, Esther Dufaur, porte-parole du collectif Eaux Secours Agissons, y était auditionné par la commission des pétitions (PETI). Selon elle, le projet d’élevage de saumons dans l’estuaire de la Gironde contrevient au droit européen.
« C’est un projet absurde et démesuré qui comportera des faits, par l’État français, de violation existante et à venir de 18 directives européennes, dont les directives habitats, oiseaux, eau et nitrates. […] 10 000 tonnes de saumon, équivalent au poids d’un élevage de 10 000 porcs, au cœur de zones classées à 70 % par des directives européennes », détaille la militante.
Ce projet colossal à 200 millions d’euros, porté par la multinationale Pure Salmon, pourrait voir le jour en 2024 au Verdon-sur-Mer, et s’imposerait comme la plus grande ferme aquacole d’Europe.
Avec 200 000 tonnes de poisson rose consommé par an, les Français sont les plus gros consommateurs du continent, dont la quasi-totalité provient de Norvège ou d’Écosse. Seul un élevage en Normandie (Saumon de France) élève les saumons « made in France » et haut de gamme dans les eaux fraiches de la Manche.
Mais à la différence des poissons normands, ceux qui sortiront de la ferme du Verdon-sur-Mer, n’auront jamais connu l’océan. La méthode choisie par la société Pure Salmon est celle de l’élevage terrestre, impliquant d’immenses bassins alimentés avec l’eau des nappes souterraines.
« Cette méthode permet d’éviter les impacts négatifs des élevages en mer. Nous assurons aux poissons une eau de qualité optimale, nous maitrisons la croissance, cela a énormément d’avantages », explique à EURACTIV France, Paul Miliotis, responsable du projet pour la société 8F, principal investisseur.
Le procédé existe déjà en Norvège. Il permettra selon le porteur de projet de répondre à la demande croissante et de garantir un saumon frais de qualité en « circuit court ».
« Le temps qu’un saumon arrive de Norvège jusqu’à Rungis, il a déjà perdu plusieurs jours. Notre but est d’offrir aux supermarchés un saumon du jour même à 500 – 600 km de la ferme », poursuit Paul Miliotis.
De leur côté, les opposants alertent depuis des mois sur les dangers potentiels de cette production hors norme. Selon eux, la situation géographique et la démesure de cette « ferme aux 10 000 saumons » – par analogie à la « ferme des 1 000 vaches », incarnation de l’élevage industriel – ne peuvent que conduire à de nombreux dégâts.
Parmi eux, la pollution du dernier estuaire sauvage d’Europe, celui de la Gironde. Le site, placé dans une enclave industrielle rachetée par le port de Bordeaux il y a une dizaine d’années, est entouré de zones protégées par des lois nationales ou des directives européennes, en raison de leur riche patrimoine naturel.
« Si l’élevage restait uniquement sur son site industriel, ça se passerait bien. Mais le projet va impacter les zones protégées et polluer l’estuaire. Cela reviendrait à saper tous les efforts de financement pour les protéger », avance Esther Dufaur auprès d’EURACTIV France.
Pour l’association, l’eau prélevée dans les nappes superficielles pour alimenter les bassins sera rejetée chargée d’hormones de croissances et autres résidus médicamenteux dans le milieu. Ces derniers pourraient polluer durablement l’estuaire comme ce fut le cas pour le cadmium, un métal lourd qui pose de sérieux problèmes aux ostréiculteurs de la région.
Hormone, antibiotiques, vaccins rejetés dans la nature ? La société nie leur utilisation. « Il n’y aura aucun impact négatif sur l’environnement, rassure Paul Millotis. Nous ne rejetterons par jour que 0,008 % du débit journalier de l’estuaire de la Gironde ».
Dans sa communication, Pure Salmon insiste sur le « contrôle » des flux d’entrée et de sortie. Elle explique mettre un point d’honneur à offrir une qualité d’eau irréprochable aux poissons et à la restituer sans aucun polluant. Pour cela, la ferme sera dotée d’une usine de traitement interne, et travaillera avec le concours de Véolia et Suez.
Les autres griefs des écologistes portent sur l’importante consommation énergétique ou encore les mauvaises conditions de vie des saumons. L’association Eaux Secours Agissons pointe leur densité dans les bassins – 70 kg de saumons par m3, alors que le fond marin européen recommanderait 25 kg/m3.
Sur cette question, Paul Millotis oppose un indicateur significatif, selon lui : la mortalité. Cette dernière serait deux à trois fois plus faible dans les bassins que dans les élevages marins, du fait de ce contrôle permanent de l’environnement.