La carotte de sédiments la plus profonde prélevée dans l’océan Atlantique
13 mai 2022
13 mai 2022
Une carotte de sédiments a été prélevée à plus de 8 km sous la surface de l’océan Atlantique, dans la fosse de Puerto Rico. Elle va permettre d’étudier un écosystème souterrain des grandes profondeurs, l’un des très rares écosystèmes qui n’a pas encore été modifié par l’humain. Le faible taux de respiration de ces microbes intrigue les scientifiques.
L’équipage du navire océanographique Neil-Armstrong s’apprête à mettre à l’eau un carottier pour prélever des carottes de sédiments dans la fosse de Puerto Rico.
Située entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique, la fosse de Puerto Rico plonge à plus de 8 kilomètres sous la surface de la mer, ce qui en fait le point le plus profond de l’Atlantique. Une équipe de scientifiques américains embarquée à bord du navire océanographique Neil-Armstrong de l’institut océanographique Woods Hole y a mené une mission entre février et mars 2022 pour prélever des carottes de sédiments depuis une profondeur d’environ 50 mètres jusqu’à la profondeur maximale de la fosse à plus de 8 kilomètres de profondeur. Ils ont ainsi rapporté sur le pont du bateau une carotte cylindrique de 11 mètres qui devient la carotte la plus profonde jamais prélevée dans l’océan.
Si l’étude des sédiments océaniques existe depuis le milieu du XIXe siècle, elle a cependant connu un véritable essor à partir des années 1960, lorsque les techniques de forage en eaux profondes ont été mises au point. En 1999, l’institut océanographique américain Woods Hole a commencé à développer un nouveau système de carottage long en s’inspirant du système français Calypso Core équipant le navire de ravitaillement antarctique Marion-Dufresne. Le nouveau système baptisé WHOI Long Core a été mis en service en 2007 et est exploité depuis.
La carotte de sédiments la plus profonde de l’océan Atlantique. (© Paul Walczak, Oregon State University)
L’équipe de scientifiques dirigée par l’océanographe Steven D’Hondt de l’université de Rhode Island va maintenant s’atteler à l’étude génétique des différents micro-organismes qui vivent dans les sédiments du plancher océanique, notamment pour comprendre comment les microbes se sont adaptés aux différentes conditions de pression régnant dans la fosse et au peu d’énergie disponible dans ce monde souterrain profond pour soutenir la vie. Cet écosystème microbien, l’un des très rares écosystèmes qui n’a pas encore été modifié par l’humain, intrigue le scientifique par son faible taux d’activité par comparaison avec d’autres microbes peuplant les fonds des mers : “Le taux de respiration moyen d’un microbe du sous-sol est un millième de celui des microbes du fond de la mer, qui est lui-même un millième de celui des microbes cultivés en laboratoire, explique Steven D’Hondt sur la page de l’université de Rhode Island. Ils respirent donc un million de fois plus lentement que les organismes étudiés en laboratoire. Il leur faut des centaines, voire des milliers d’années, pour seulement remplacer les molécules de leur corps. En d’autres termes, ils violent notre compréhension du monde. Ou peut-être ne se divisent-ils pas du tout, auquel cas quelque chose dans un sédiment vieux de 100 millions d’années pourrait avoir 100 millions d’années — donc soit ils sont immortels, soit ils sont capables de se diviser avec beaucoup moins d’énergie que ce que nous pensons nécessaire pour se diviser.”
Malgré ces taux d’activité très ralentis, l’abondance de vie dans les sédiments marins rivalise avec celle qui évolue dans les eaux des océans. “Certains de mes étudiants testent actuellement la possibilité que de nombreux microbes des sous-fonds vivent de l’hydrogène produit par la scission radioactive naturelle de l’eau”, souligne Steven D’Hondt. D’autres documentent les échanges microbiens entre l’océan et ce monde des profondeurs. Le chercheur a récemment mis en évidence que l’oxygène pénètre dans toute la colonne de sédiments dans près d’un tiers de l’océan mondial, ce qui permet aux microbes souterrains de modifier la chimie des sédiments et de la roche volcanique sous-jacente. “Cette activité peut à son tour affecter la chimie du manteau supérieur de la Terre et de l’atmosphère sur des échelles de temps allant de millions à milliards d’années”, conclut-il.
Source: Sciences et avenir