Mistrals, un souffle pour la recherche en Méditerranée
4 novembre 2020
4 novembre 2020
Le programme de recherche Mistrals, créé sous l’égide du CNRS, s’achève après dix ans d’existence. Il a permis à plus de 1 000 scientifiques de 23 pays d’étudier l’environnement et les changements globaux en Méditerranée. Bilan de ses nombreux travaux, voués à perdurer sous d’autres noms et formes.
À l’interface de trois continents, berceau de l’agriculture, avec le Croissant fertile (au Moyen-Orient), la Méditerranée tient une place centrale à la fois dans l’histoire et pour l’avenir de l’humanité. La région est cependant particulièrement fragile et les températures y augmentent plus vite que la moyenne mondiale. Les enjeux sont tels que plus d’un millier de chercheurs, issus d’une trentaine de pays, se sont réunis au sein du programme Mistrals (Mediterranean integrated studies at regional and local scales, études intégrées de la Méditerranée aux échelles régionales et locales). Fondée en 2010 par le CNRS, cette action coordonnée de recherche touche cette année à sa fin, l’occasion d’offrir un vaste état des lieux sur la Méditerranée.
Mistrals comprend différents programmes thématiques, répartis sur cinq grands axes : climat, environnement et sociétés, cycle de l’eau et événements extrêmes, pollution et contaminants, systèmes écologiques et biodiversité et, enfin, impacts du changement climatique au XXIe siècle. L’importance des questions climatiques n’est pas anodine, la Méditerranée se tient en effet à l’interface des climats tempérés d’Europe et de ceux, plus arides, de l’Afrique du Nord : de légers déplacements des zones de pluies suffisent ainsi à l’aridification des terres fertiles. Malgré ce contexte et la forte population vivant sur ses rives, la Méditerranée n’est pas traitée comme une région à part entière dans les rapports sur le changement climatique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), divisant les mesures et les analyses entre plusieurs continents. Un groupe d’experts internationaux, le MedECC (Mediterranean experts on climate and environmental change, experts méditerranéens sur le changement climatique et environnemental), s’est donc constitué en parallèle de Mistrals pour combler ce manque.
Des expertises sur le cycle de l’eau et les phénomènes extrèmes
Historiquement, les deux premiers programmes de Mistrals sont HyMex et MerMex. HyMex s’intéresse au cycle de l’eau, une question devenue majeure en Méditerranée. Si le sud-est de la France connaît des sécheresses et des pluies torrentielles de plus en plus fortes, la rive sud de la Méditerranée est bien plus touchée. « Une partie de l’alimentation en eau du sud du Maroc venait de la fonte des neiges des sommets de l’Atlas, explique Cyril Moulin. Or il n’en reste quasiment plus rien depuis plusieurs années. »
Les décideurs ont anticipé en bâtissant des barrages pour relâcher l’eau petit à petit, mais cela a entraîné des impacts importants sur les cours d’eau et les oueds en aval. Le programme Sicmed a permis de montrer qu’au Maghreb, les barrages ont complètement chamboulé le débit des rivières et leurs apports en sédiments, modifiant le trait de côte et la biodiversité marine. Mistrals tente d’éclairer les sociétés sur toutes les conséquences que peuvent avoir des mesures d’adaptation au changement climatique.
L’expérience PeaceTime s’est par exemple intéressée aux poussières en provenance du Sahara. Si les traces de ces pluies rouges se retrouvent jusqu’en France, elles touchent principalement la mer et apportent ainsi de nombreux sels minéraux dont se nourrit le plancton. PaeceTime a permis d’étudier ces dépôts et dissolutions dans différents bassins de la Méditerranée, alimentant également le programme CharMex.
Les spécificités de la Méditerranée face au changement climatique
D’autres campagnes ont ciblé la convection en mer. Une eau très dense se forme en hiver dans certaines parties de la Méditerranée et s’écoule jusque dans les profondeurs. Ce mouvement ramène des sels nutritifs vers la surface, entraîne une forte croissance du plancton, réoxygène les eaux profondes et, enfin, participe aux échanges de chaleur entre la mer et l’atmosphère. Or le changement climatique risque fort de réduire l’apparition d’eau dense, ce qui déréglerait encore plus la région. Ce genre de rétroactions, où le changement climatique s’amplifie lui-même, est au cœur des préoccupations de Mistrals. « Les campagnes menées dans l’est de la Méditerranée n’ont pas été simples, déplore Xavier Durrieu de Madron. À cause d’un contentieux sur leurs souverainetés respectives sur cette zone, nous n’avons pas eu l’autorisation de réaliser des observations dans les eaux entre la Grèce, la Turquie et Chypre. Nous collaborons malgré tout avec des scientifiques de ces pays. »
En effet, aucune zone ne doit être oubliée tandis que le changement climatique impacte différemment les régions méditerranéennes. Yves Tramblay, chargé de recherche IRD au laboratoire HydroSciences de Montpellier3, a ainsi coordonné le programme ImpactCC une action transversale de Mistrals. « Nous savons déjà que la Méditerranée se réchauffe plus vite que le reste de la planète, affirme le chercheur. Nous devons cependant mesurer les impacts dans différents domaines, comme les ressources en eau, les événements extrêmes, la biodiversité, l’agriculture, les milieux marins, etc. »
Au sein d’ImpactCC, Med-Cordex produit des simulations climatiques spécifiques à la Méditerranée, utilisées ensuite dans les différents programmes de Mistrals pour étudier le cycle de l’eau, la biodiversité ou encore l’agriculture. La question des fortes pluies et des crues méditerranéennes, comme celles qui ont récemment frappé la région niçoise, y est particulièrement importante.
Des menaces qui touchent les populations ainsi que la biodiversité unique de la Méditerranée, alors que les interactions entre les hommes et la nature y sont aussi anciennes que cruciales pour la planète.
Des milliers d’îles à la biodiversité vulnérable
Issu du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (Cefe)4 et de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale5, BioDivMeX se focalise sur la biodiversité et ses interactions avec les humains depuis des millénaires. « La Méditerranée est un des principaux foyers des plantes cultivées à travers le globe, souligne Yildiz Aumeeruddy-Thomas, directrice de recherche CNRS au Cefe et co-coordinatrice de BioDivMeX. Blé, seigle, orge, avoine, raisins, olives, lavande, figues ou encore amandes en sont originaires, ainsi que les moutons, les chèvres et les ânes. Toute une agrodiversité que nous devons entretenir et protéger. »
La Méditerranée comprend plusieurs milliers d’îles, dont environ trois cents sont habitées, parfois depuis la Préhistoire. Une situation qui favorise l’apparition d’espèces endémiques. « Emblématique de l’île, le mouflon corse est en réalité un mouton domestique arrivé avec les premiers humains, qui est par la suite redevenu complètement sauvage », prend en exemple Yildiz Aumeeruddy-Thomas. Les îles sont vulnérables, car restreintes à de petits territoires soumis à des changements planétaires.
Les agroécosystèmes méditerranéens, tels ceux d’Afrique du Nord ou de petites îles, sont restés traditionnels et encore très diversifiés. BioDivMex s’est intéressé aux pratiques et aux variétés locales, autant de ressources techniques et génétiques pouvant inspirer de nouveaux modèles agricoles face au changement climatique. Ils sont également menacés. Par exemple, les odeurs émises par les figues et la lavande sont sensibles à la température et à la pollution par l’ozone. Ceci pourrait dérouter les pollinisateurs qui ne pourront ainsi plus assumer leur rôle. Mistrals consacre plusieurs volets à ces changements.
Des polluants qui circulent d’un écosystème à l’autre
« Avec CharMex, nous nous intéressons aux zones de convergence, où la pollution se mélange à des émissions naturelles, explique Agnès Borbon, chargée de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie physique (Lamp)6. L’ensoleillement de la région facilite les réactions chimiques, produisant ainsi des aérosols secondaires parfois nocifs. Nous combinons des stations au sol et des moyens mobiles, dont un avion de recherche, pour suivre en temps réel le transport et l’évolution de ces particules. » Ces travaux ambitionnent de remonter jusqu’aux sources des polluants atmosphériques.
Les chercheurs démontrent que, même sous l’eau et au large, une bonne partie de la pollution est apportée par l’atmosphère. Ces substances sont issues de feux de forêt, des activités agricoles ou encore du transport maritime. Les nombreux compartiments de l’écosystème méditerranéen ne sont ainsi pas du tout étanches, et les contaminants circulent de l’un à l’autre. « Tout comme le virus qui sévit en ce moment (le SARS-CoV-2, Ndlr), les contaminants ignorent les frontières, avertit Jacek Tronczynski. Même pour certains contaminants historiques, comme les PCB interdits depuis une quarantaine d’années, les niveaux de pollution restent importants. Nous manquions aussi de travaux sur les fragments de micro et nanoplastiques dans la colonne d’eau, nous avons commencé à identifier leurs concentrations, structure et nature. »
Des archives du climat méditerranéen
Mais en plus des problématiques liées à la pollution actuelle et aux changements futurs, Mistrals a consacré un volet à l’étude du climat ancien et à la façon dont les hommes s’y sont adaptés. « PaleoMex met la situation contemporaine en perspective, affirme Laurent Lespez, professeur à l’université de Paris-Est Créteil et membre du Laboratoire de géographie physique : environnements quaternaires et actuels8. Les oscillations climatiques sont récurrentes depuis le dernier âge glaciaire, et nous avons scruté leur impact sur l’environnement des sites archéologiques. »
Parmi les changements actuels, et bien qu’elle soit une mer très fermée, la Méditerranée n’est pas épargnée par les animaux invasifs, dont beaucoup passent par le canal de Suez. On parle alors d’espèce lessepsienne, du nom de Ferdinand de Lesseps (1805-1894, Ndlr), promoteur à l’origine des canaux de Panama et de Suez. « Le crabe bleu de la mer Rouge envahit les filets et les casiers des pécheurs tunisiens, déplore Yildiz Aumeeruddy-Thomas. Comme il n’a guère de valeur commerciale, il perturbe l’économie de tout le littoral du golfe de Gabès. BioDivMex a soutenu des collègues tunisiens de l’Institut national agronomique de Tunisie, qui ont ensuite fondé un observatoire avec tous les autres pays d’Afrique du Nord. Une initiative qui n’aurait pas pris si elle venait directement de France. »
Les techniques scientifiques transmises et le fait que les étudiants tunisiens ont obtenu leur doctorat en France s’inscrivent dans l’idée initiale de Mistrals : rassembler et former des chercheurs, y compris à l’étranger, pour poursuivre les travaux après la fin du programme. « Mistrals a réuni des équipes et crée des réseaux thématiques de chercheurs qui sont ainsi plus à même de monter de nouveaux projets, se réjouit Yves Tramblay. Une véritable communauté s’est constituée. » Reportées à cause de la pandémie de Covid-19, certaines campagnes de recherche se dérouleront cependant l’année prochaine. « C’est tout le problème lorsque l’on travaille sur des cycles naturels, déplore Cyril Moulin. Si on s’intéresse à la floraison du figuier ou à la convection hivernale et qu’on ne peut pas y être au bon moment, il faut attendre l’année suivante ! » Le grand colloque prévu à Marseille en juin n’a pas non plus pu se tenir, il sera remplacé par une conférence en ligne du 16 au 18 novembre.
Source : Le Journal CNRS