Dimensionnement de l’économie océanique

L’océan est un allié essentiel dans les efforts pour lutter contre le changement climatique, assurer la sécurité alimentaire et soutenir les moyens de subsistance. Mais atteindre le niveau d’investissement soutenu et coordonné nécessaire pour exploiter son potentiel nécessite une approche stratégique qui mobilise le capital public et philanthropique pour établir un portefeuille de projets investissables.

MONACO – Deux événements majeurs cet été – le Forum sur l’économie et la finance bleue (BEFF) à Monaco, et la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan à Nice – reflètent la reconnaissance croissante que la protection de l’océan n’est pas seulement une question environnementale, mais aussi un impératif politique, économique, financier et social. Le défi désormais est de traduire ce consensus qui émerge rapidement en une action concrète et durable.

Couvrant plus des deux tiers de notre planète et représentant 97 % de sa biosphère, l’océan est un allié essentiel dans nos efforts pour lutter contre le changement climatique, assurer la sécurité alimentaire et soutenir les moyens de subsistance. Sans un océan sain, le développement durable restera un rêve lointain. Mais protéger et restaurer les écosystèmes marins coûte de l’argent, et les flux financiers sont bien en deçà des besoins nécessaires. Pour combler cet écart, la protection des océans doit être considérée non pas comme une œuvre de charité, mais comme une opportunité – un investissement de grande valeur dans notre avenir collectif.

La vision d’une économie océanique florissante offrant à la fois profit à court terme et valeur à long terme en termes de sécurité alimentaire, d’emploi et de résilience a galvanisé les dirigeants politiques, les entrepreneurs, les investisseurs, les philanthropes et les représentants des organisations multilatérales et de la société civile au sein du BEFF. L’événement a atteint son objectif de débloquer des financements pour des projets à effet océanique, notamment grâce à des outils innovants comme les obligations bleues et les véhicules de financement mixte, qui combinent des ressources publiques, privées et philanthropiques. Cela représentait donc une première étape importante vers l’ancrage de la protection des océans là où elle compte : au sein du secteur financier.

Mais le nouvel investissement « bleu » annoncé par des acteurs publics, privés et philanthropiques au BEFF – s’élevant à environ 8,7 milliards d’euros (10,1 milliards de dollars) – ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs mondiaux. De plus, les engagements isolés, aussi ambitieux soient-ils, ne conduisent pas nécessairement à l’investissement soutenu et coordonné que demande l’expansion de l’économie bleue. Une approche plus stratégique, axée sur l’exploitation de capitaux publics et philanthropiques pour réduire les risques d’investissement dans des projets à effet de l’océan et attirer un financement privé à long terme, est urgentement nécessaire.

Trois impératifs ressortent. La première est de créer un portefeuille solide de projets investissables. À l’heure actuelle, de nombreuses initiatives prometteuses restent bloquées au stade pilote. L’absence de financement en phase initiale, d’assistance technique ou de politiques facilitantes fait qu’elles n’atteignent jamais un stade où elles attirent les investisseurs privés.

Monaco fait sa part pour combler cet écart. Le ReOcean Fund – un fonds de capital-investissement axé sur l’océan, co-géré par la Fondation Prince Albert II de Monaco (dont je suis président) et Monaco Asset Management – a levé 73 millions de dollars pour investir dans des entreprises pionnières dans des technologies promettantes de faire avancer des objectifs essentiels comme la restauration des écosystèmes marins et la décarbonisation du transport maritime. Mais la responsabilité de maintenir un pipeline de projets rentables incombe en fin de compte aux gouvernements et aux banques de développement, qui doivent utiliser les finances publiques pour redéfinir le risque d’investissement afin qu’il reflète les retours économiques réels de la protection des écosystèmes marins.

Le second impératif est de créer des conditions favorables à l’investissement. Si les secteurs concernés pour l’océan – tels que le transport maritime, la pêche, les infrastructures côtières et le tourisme – veulent aligner leurs activités sur la vision de l’économie bleue, ils doivent être guidés (et contraints) par des objectifs de neutralité carbone et positifs pour la nature, ambitieux et crédibles. Les gouvernements doivent non seulement élaborer et faire respecter les bonnes règles du jeu, y compris les plans régionaux d’espace marin, mais aussi montrer l’exemple. Cela signifie éliminer les subventions gouvernementales mal conçues et nuisibles, comme celles qui favorisent l’exploitation des stocks surexploités, et utiliser ces ressources publiques pour financer des projets positifs pour l’océan et couvrir les coûts de transition pour les secteurs dépendants de l’océan. Avec l’entrée en vigueur de l’accord de l’OMC Fish 1, le monde a franchi une première étape historique vers la limitation de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée et la protection des stocks vulnérables, tandis que les négociations se poursuivent sur Fish 2, qui s’attaquera aux capacités de surpêche.

Les banques publiques de développement doivent également contribuer à renforcer la confiance des investisseurs et à catalyser un changement à l’échelle du marché. Au BEFF, plus de 20 banques publiques de développement ont soutenu la déclaration conjointe Finance in Common Ocean Coalition, qui exprimait une ambition collective d’augmenter le financement des océans, d’aligner les portefeuilles sur une économie bleue régénératrice et durable, et de soutenir le développement de pipelines par le partage d’outils et de méthodologies. Ces institutions doivent tenir ces engagements, et leurs pairs doivent les rejoindre.

Enfin, les flux financiers dans toute l’économie doivent être alignés sur les objectifs climatiques, biodiversité et actions. Pour les gouvernements, cela signifie intégrer les externalités environnementales et sociales dans les budgets publics, les systèmes comptables nationaux tenant compte à la fois de la valeur des services écosystémiques et des risques financiers liés à la dégradation environnementale.

Les acteurs financiers – y compris les investisseurs institutionnels, les entreprises, les gestionnaires d’actifs et les assureurs – jouent également un rôle crucial, non seulement en tant que bailleurs de fonds, mais aussi en s’imposant en tant qu’architectes clés d’une économie bleue régénératrice et durable. À cette fin, ils doivent créer des taxonomies et des indicateurs clairs, qui soutiennent une prise de décision cohérente et préviennent le greenwashing. Les mécanismes de financement mixte ainsi que les crédits et certificats de biodiversité peuvent aider à fournir les bonnes incitations, alignant le financement privé avec des résultats mesurables en matière de durabilité.

L’économie océanique commence à prendre forme. Le BEFF a posé des bases importantes, et des instruments prometteurs – tels que des fonds de capital-risque ciblant l’innovation océanique, des installations de garantie soutenant les petites et moyennes entreprises dédiées à la réalisation de résultats positifs pour l’océan, et les obligations bleues souveraines – gagnent en popularité. Mais l’élan de l’été ne doit pas être gaspillé. Cela doit se traduire en une stratégie claire et coordonnée pour la décennie.

Ce commentaire est signé par Pascal Lamy, coprésident du Blue Economy and Finance Forum ; Son Excellence Bernard Fautrier, ministre plénipotentiaire, conseiller spécial de Son Altesse Majesté le Prince Souverain sur les questions environnementales ; Robert Calcagno, PDG de l’Institut océanographique de Monaco ; Olivier Wenden, Vice-Président et PDG de la Fondation Prince Albert II de Monaco ; Razan Al Mubarak, président de l’Union internationale pour la conservation de la nature ; Dona Bertarelli, présidente exécutive, Dona Bertarelli Philanthropy ; Thierry Deau, PDG, Meridiam ; Dame Amelia Fawcett, coprésidente du Comité consultatif international sur les crédits de la biodiversité ; Sylvie Goulard, coprésidente du Comité consultatif international sur les crédits de biodiversité ; Pradeep Kurukulasuriya, secrétaire exécutif du Fonds des Nations Unies pour le développement de la capitale ; Sanda Ojiambo, PDG du Pacte mondial des Nations Unies ; Frederik Paulsen, président émérite de Ferring ; Thomas Thune Andersen, président de la Lloyd’s Register Foundation ; Célia Berche, responsable des partenariats, Blue Alliance ; Angelique Brathwaite, directrice Science & Conservation, Blue Alliance ; Martin Callow, chef de portefeuille par intérim – Nature Bonds, The Nature Conservancy ; Alberto Cappato, vice-président, Association internationale des villes et ports ; Isabelle De Cremoux, PDG de Seventure Partners ; Vassilios Demetriades, directeur de la stratégie, UW Group ; Marisa Drew, directrice du développement durable, Standard Chartered ; Ambroise Fayolle, Vice-Président, Banque européenne d’investissement ; Daniela V. Fernandez, fondatrice et PDG, Velamar ; Melissa Garvey, conseillère principale – Gestion et Protection transformatives, The Nature Conservancy ; Jean-Pierre Gattuso, directeur de la recherche, CNRS ; Alfredo Giron, chef de l’océan du Forum économique mondial ; François Houllier, Président & PDG, Ifremer ; Joe Kramek, président et PDG, World Shipping Council ; Gianpiero Leoncini, Vice-Président Exécutif, CAF – Banque de développement d’Amérique latine et des Caraïbes ; Nicolas Pascal, PDG de Blue Alliance ; Francesco Prazzo, directeur général, SBM Offshore ; Daniela Raik, directrice générale par intérim de Conservation International ; Kristin Rechberger, PDG de Dynamic Planet & Revive Our Ocean ; Rémy Rioux, président de Finance in Common ; Jean-Jacques Risso, président du Centre scientifique de Monaco ; Karen Sack, directrice exécutive et présidente de l’Ocean Risk and Resilience Action Alliance ; James Scriven, PDG d’IDB Invest.

Source : PS