Nigeria–Maroc : un gazoduc à la recherche d’un problème

 

Le gazoduc sous-marin Africa Atlantic Gas Pipeline (AAGP) traverserait 5 700 km de fonds marins et longerait 11 pays pour relier le Nigeria au Maroc. Selon l’ONHYM, la société nationale marocaine des hydrocarbures et des mines, l’infrastructure aurait une capacité nominale de 30 milliards de mètres cubes (Gm³) de gaz naturel par an.

 

18 novembre 2025 – Geoff D. Porter

 

Le Maroc aime voir grand. Très grand. En 1987, des cuisiniers d’Agadir ont préparé le plus grand couscous du monde. En 1993, le pays a inauguré le plus haut minaret du monde, puis la plus grande centrale solaire thermodynamique en 2016. Le plus grand stade de football de la planète est en chantier à Casablanca. Et désormais, le Maroc ambitionne de construire le plus long gazoduc sous-marin jamais réalisé.

Le gazoduc Africa Atlantic Gas Pipeline (AAGP) s’étendrait sur 5 700 km, traversant 11 pays, pour relier le Nigeria au Maroc. D’après l’ONHYM, il pourrait transporter 30 Gm³ de gaz par an. L’organisme affirme que ce gaz permettrait d’alimenter en électricité l’Afrique de l’Ouest, favorisant ainsi le développement économique régional et la stabilité. Le projet prévoit également l’exportation de jusqu’à 18 Gm³/an depuis le Maroc vers l’Europe, faisant du Royaume un hub énergétique pour le continent européen.

Mais l’AAGP serait un énorme éléphant blanc — coûteux, inutile et déconnecté des réalités.

Le Maroc veut construire le plus long gazoduc sous-marin du monde (5 700 km !), reliant le Nigeria au Maroc en longeant 11 pays. Selon l’ONHYM et le ministère de la Transition énergétique, ce gazoduc pourrait donner accès à l’énergie à… 400 millions de personnes (!). Et il transformerait le pays en plateforme énergétique pour l’Europe.

Le gazoduc atlantique africain aurait une capacité nominale de 30 Gm³/an, dont 18 Gm³ seraient exportés vers l’Europe via le GME.

Très bien ! Mais regardons cela de plus près.
D’abord, d’où viennent ces 400 millions ?

Eh bien, si l’on additionne les populations du Nigeria, du Bénin, du Togo, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Liberia, de la Sierra Leone, de la Guinée, de la Guinée-Bissau, de la Gambie, du Sénégal, de la Mauritanie et du Maroc.

On obtient un peu plus de 400 millions. Très scientifique comme méthodologie. Sauf qu’inclure le Nigeria n’a aucun sens : c’est précisément de là que vient le gaz…

Retirons donc le Nigeria du calcul. On arrive à un chiffre plus modeste : environ 170 millions. Mais cela suppose un taux d’électrification de 0 %. Or, évidemment, l’Afrique a déjà de l’électricité.

Si l’on prend en compte les taux d’électrification existants, le nombre réel de personnes susceptibles de bénéficier du gazoduc atlantique africain tourne plutôt autour de 40 millions.

Fournir de l’énergie à 40 millions de personnes, c’est évidemment utile. Mais le gazoduc doit être construit en plusieurs étapes.

Phase 1 : Maroc, Mauritanie, Sénégal.
Sauf que le Sénégal et la Mauritanie exportent déjà du gaz — via des méthaniers LNG. Ils n’ont pas besoin d’un gazoduc. Vraiment pas.

Phase 3 : connexion au West Africa Gas Pipeline (WAGP), qui relie le Nigeria au Ghana. Mais 94 % du gaz consommé au Ghana provient déjà de sa propre production. Le pays n’a ni besoin du WAGP, ni du pipeline atlantique.

Vient ensuite la question des volumes.

En supposant que le gazoduc atteigne sa capacité nominale de 30 Gm³/an (une hypothèse très optimiste), chacun des 11 pays traversés prélèverait une partie du gaz comme paiement en nature : probablement autour de 5 %. Résultat : seulement 15 Gm³/an arriveraient réellement au Maroc.

Le Maroc aurait besoin d’environ 3 Gm³/an pour couvrir ses besoins électriques d’ici 2040. Il resterait donc autour de 12 Gm³/an pour les exportations vers l’Europe, soit environ 25 % des exportations algériennes actuelles par gazoducs (hors LNG). Et encore, c’est en supposant que les 30 Gm³ quittent effectivement le Nigeria, ce qui est très improbable.

Mais construire un gazoduc, ça coûte cher.
Et le coût estimé de l’AAGP est de 25 milliards de dollars (en supposant… aucun dépassement budgétaire).

À un moment donné, les investisseurs voudront amortir leur mise et réaliser des profits. Or environ la moitié du volume serait absorbée par les paiements en nature aux pays de transit. Seuls 10 à 12 Gm³/an seraient effectivement vendus aux clients finaux.

Alors comment l’infrastructure pourrait-elle être rentable ?
Prenons l’exemple du gazoduc algérien Medgaz. Il transporte lui aussi 12 Gm³/an vers l’Espagne. Il a coûté 1,4 milliard de dollars et a été mis en service en 2009. Son amortissement a pris 12 ans.

Le gazoduc atlantique africain coûterait 25 fois plus cher, tout en transportant le même volume.
En appliquant la même logique, il ne serait pas amorti avant…

Il existe un vieil adage publicitaire : « vendre le crépitement, pas le steak ».
Et c’est exactement ce qu’est l’AAGP : du crépitement, sans le steak.

Source : moroccomail