Un match inégal entre pêcheurs et manchots, les promesses de l’élimination du CO₂ marin… Le Journal de l’Océan
21 novembre 2025
21 novembre 2025
Au large de l’Afrique du Sud, lorsque le poisson se fait rare, les manchots du Cap et les flottes de pêche entrent en compétition pour la ressource. Un « indice de superposition » permet désormais de quantifier ce phénomène. Et tandis que certains songent à se servir de l’océan pour retirer le CO₂ de l’atmosphère, une équipe européenne s’est chargée d’évaluer les méthodes envisagées.
Manchot devant ! Une première bataille législative a été gagnée, mais pas la guerre : en début d’année, un tribunal de la capitale sud-africaine a entériné un accord juridique pour interdire la pêche autour de six zones de reproduction du manchot du Cap pendant 10 ans (RFI, 20 mars 2025).
Faut-il aller plus loin pour tenter de sauver cette espèce en danger critique d’extinction – et si oui, comment procéder ? Une étude publiée le 16 novembre dans la revue Journal of Applied Ecology devrait fournir quelques clés aux défenseurs du Spheniscus demersus, un oiseau aussi maladroit sur le plancher des vaches qu’agile sous l’eau.
Menés par des scientifiques des universités de St Andrews et d’Exeter au Royaume-Uni, du ministère sud-africain de la Pêche et de l’Environnement et de la branche sud-africaine de l’ONG BirdLife, ces travaux révèlent que les manchots s’avèrent bien plus susceptibles de se nourrir dans les eaux où opèrent les navires de pêche commerciale lorsque le poisson se fait rare (J.S. Glencross et al. 2025).
Les auteurs présentent ainsi un nouvel indicateur, appelé « overlap intensity » – que l’on pourrait traduire par « intensité du chevauchement » ou « intensité de superposition » – qui évalue non seulement les zones où manchots et navires de pêche partagent l’espace, mais également le nombre d’animaux affectés par cette interaction.
La population de manchots du Cap a diminué de près de 80 % au cours des trente dernières années, essentiellement du fait de la concurrence avec les pêcheries locales qui capturent des sardines et des anchois, des proies essentielles pour ces oiseaux, à l’aide de sennes coulissantes – une méthode qui consiste à capturer les bancs de poissons en les encerclant d’un grand filet.
En 2016, année marquée par une faible biomasse de poissons, environ 20 % des manchots se nourrissaient dans les mêmes zones que les navires de pêche en activité. En revanche, les années où les stocks de poissons étaient plus importants, ce chiffre tombait à environ 4 %, comparent les scientifiques.
L’indice élaboré par l’équipe devrait donc permettre à la fois « d’évaluer » les risques écologiques et « d’orienter » une gestion des pêches fondée sur les écosystèmes. Ces résultats appuient également la création d’aires marines protégées « dynamiques », c’est-à-dire capables de s’adapter en temps réel aux variations de comportement des prédateurs et des proies.
Comme beaucoup de jargons, celui de la COP30 au Brésil regorge d’acronymes et de sigles plus ou moins cocasses : BAM, RINGO, BINGO, CDN… Pour ne pas finir en « PLS », mieux vaut savoir de quoi il retourne. En voici donc un de plus : mCDR, qui désigne l’élimination du dioxyde de carbone (CO₂) dissous dans l’océan (marine Carbon Dioxide Removal en anglais).
Pendant près d’un an et demi, le biogéochimiste français Olivier Sulpis a copiloté le travail d’une douzaine d’experts européens afin « d’établir les standards nécessaires avant de déployer des techniques d’élimination du CO2 océanique ». Leurs conclusions viennent d’être publiées à l’occasion du sommet de Belem (European Marine Board, 17 novembre 2025).
Nous ne prenons pas position sur la question de savoir si des méthodes mCDR devraient être déployées ou pas, et le rapport ne promeut aucune méthode : il fixe des exigences (…) pour éviter le greenwashing et protéger l’océan – Olivier Sulpis (CNRS)
Mais pourquoi chercher à retirer ce gaz à effet de serre de l’océan, et non de l’atmosphère où il contribue au réchauffement ? En fait, cela revient au même, explique Olivier Sulpis dans CNRS Journal, car « une fois ce CO2 [marin] capturé, un transfert de CO2 de l’atmosphère vers l’océan a lieu [sans autre intervention humaine, NDLR] pour combler le déséquilibre ainsi créé ».
Pour retirer le CO2 dissous de l’eau de mer, plusieurs possibilités : on peut soit « le fixer sous des formes ioniques solubles comme les ions carbonates et bicarbonates » en augmentant l’alcalinité de l’eau à l’aide de substances minérales (olivine, carbonate de calcium, etc.), soit le « convertir en biomasse » en favorisant la croissance d’algues et de plancton, ou en restaurant des écosystèmes côtiers.
Or, la plus connue des méthodes mCDR, la fertilisation de l’océan, montre une « faible efficacité » après plus de 20 ans d’évaluation, souligne le chercheur. Sans compter les « risques » qu’elle peut faire peser sur les écosystèmes marins.
Quant aux méthodes reposant sur la biomasse, « il est nécessaire de s’assurer que la matière organique ne sera pas rapidement décomposée, ce qui relâcherait à nouveau le CO2 dans l’eau de mer », ajoute-t-il. Il faut donc selon lui « s’assurer que cette biomasse se déposera au fond des océans, ou bien l’utiliser pour produire des matériaux durables ou de l’énergie ».
D’ici là, tel un « bilan comptable » de la capture de CO2 marin, les standards de Monitoring, Reporting & Verification (MRV, ‘surveillance, déclaration et vérification’ – ce sera le dernier sigle de notre article) élaborés par son équipe devraient « fourni(r) un cadre » pour à la fois quantifier la capture des gaz à effet de serre et évaluer la durée de leur stockage, ainsi que les incertitudes associées.