GRAND FORMAT. Sur la perle du Pacifique, comment le rahui le plus strict de Polynésie est appliqué

 
La Polynésie est désormais la plus grande aire marine protégée au monde. Illustration à Bora Bora qui devient la première réserve marine intégrale. 700 hectares interdits à toute activité humaine, en face de la mythique plage de Matira : pas de pêche, et aucune activité nautique non plus.

A Bora Bora, les touristes sont nombreux. Nous sommes sur l’une des plus belles plages de Polynésie. Elle va bientôt devenir la première réserve naturelle intégrale. Plus de pêche, mais aussi plus aucune activité nautique. Silence total, sur une partie du lagon.

Car le cœur du problème, ce sont ces moteurs de bateaux. La pression humaine sur l’eau. Surnommée la perle du Pacifique… derrière ses dégradés de bleus, Bora Bora suffoque. Le nombre d’habitants a été multiplié par 6 en 50 ans. Depuis 23 ans, des scientifiques suivent la vie du lagon. Compter les espèces, mesurer la qualité de l’eau, et même récemment, enregistrer l’acoustique. Et ils tirent la sonnette d’alarme: le lagon est bien vivant, mais très pêché et très fréquenté.

David Lecchini, chercheur au CRIOBE est formel: « Tout de suite, quand on parle de poissons plus petits, on accuse les pêcheurs. Donc il faudrait interdire la pêche. Mais il y a une forte pression exercée par les bateaux touristiques et les jets skis ».

La pollution sonore va impacter énormément le comportement des poissons. Mais aussi leur capacité à se reproduire »

Daniel Lecchini, chercheur au CRIOBE

 

Un rahui de 700 hectares

 

Conséquence, des poissons de plus en plus petits. Les oursins, bénitiers et concombres de mer disparaissent, eux, peu à peu. En concertation avec la population, il a donc été décidé de créer un rahui de 700 hectares, la première réserve naturelle intégrale de ce genre en Polynésie. La zone englobe de la pêche récifale, une nurserie de bénitiers et un site de plongée sous-marine. Cette protection totale impacte tous les usagers, sans pour autant mettre une seule activité à mal.

« On va devoir aller pêcher en dehors du rahui » explique Francis, pêcheur. « Si on continue à pêcher dedans, on aura une amende. Et on accepte cela ». Quant à Patrick Mahuta, prestataire touristique depuis 15 ans, il affirme « avoir été inquiet au début » quand il a vu le projet se mettre en place. Mais « apparemment il y a un passage de prévu pour nos pirogues, donc ça va ».

L’île compte aujourd’hui 700 bateaux de pêche. Et le constat est partagé par tous. Pour continuer d’en vivre : il faut protéger la ressource.

« Mon papa qui était un grand pêcheur de mata’ana’ana, désormais il n’arrive qu’à faire deux prises par an »

Heipoa Mare, présidente de l’association de pêcheurs lagonaires de Bora Bora

 

La présidente de l’association de pêche lagonaire de Bora Bora ajoute: « il y a une grande différence et on voit vraiment qu’il y a des espèces en voie de disparition ».

 

Les premiers classements ont eu lieu en 1952

 

Régulièrement citée en exemple pour son engagement en faveur de l’environnement, la commune de Bora Bora reçoit ce jour-là des scientifiques et la direction de l’environnement. Elle présente cette réserve naturelle unique à une petite délégation du Pays. Une décision que n’a pas hésité à prendre le maire. « C’est un rahui qui a nécessité une très large consultation, à la fois de la population, des quartiers, des Eglises, des pêcheurs, des acteurs touristiques » dit Gaston Tong Sang. « Le choix du site a permis de concilier les activités de tous les partenaires qui travaillent sur le lagon ».

L’aboutissement de 70 ans de protection de l’océan en Polynésie. Des premiers classements en 1952, à l’interdiction des filets dérivants en 2022, en passant par le sanctuaire marin en 2002. « Cette étude-là montre clairement qu’il y a un impact important des moteurs de bateaux sur les espèces marines » avance Terena Hargous, cheffe de projet espaces naturels à la direction de l’environnement. « Donc c’est un modèle qu’il faut diffuser dans les autres communes ».

Tout contrevenant s’expose à une amende

 

Pour Anatole Teraaitepo, président de l’association culturelle de Bora Bora et vice-président de l’association Ia vai noa no Bora Bora, « le mot rahui, c’est donner une chance à la vie. Et à la population à chaque fois, de la renouveler. C’est comme une femme qui vient d’accoucher, c’est donner la vie, comme sur le lagon ».

Pour pénétrer cette réserve intégrale, seul le comité de gestion pourra éventuellement accorder des dérogations. Comme pour des recherches scientifiques, ou pour l’arrivée de la mythique course de la Hawaiki Nui. Tout contrevenant s’expose à une amende.

Source : France info