« Un incendie sous-marin » : à Nice, les plongeurs catastrophés par la canicule marine
22 août 2025
22 août 2025
La Méditerranée se réchauffe vite et se transforme de manière alarmante. Les plongeurs constatent une mortalité de poissons et un essor d’espèces exotiques. Reporterre les a retrouvés au retour d’une sortie.
Le bateau gris du Centre international de plongée (CIP) revient dans le port de Nice. À peine amarré, il faut décharger les encombrantes bouteilles et les paires de palmes. Seules les combinaisons sont légères. Les plongeurs débutants sont entrés dans l’eau en tenue néoprène sans manches. Aurélie est descendue à 6 mètres et n’a « pas eu froid ». L’eau atteignait 26 °C. Comme dans toute la Méditerranée, la canicule marine sévit à Villefranche-sur-Mer, baie à baptêmes et paradis pour plongeurs. « La température de l’eau pourrait s’envoler et atteindre facilement 30 °C », indique La Chaîne météo. Un phénomène qui n’est pas arrivé depuis août 2003.
Aurélie revient à la surface avec des souvenirs. Elle a vu « des poulpes, des étoiles de mer, des sars, des saupes, des oursins, un mérou », énumère-t-elle, comme si elle décrivait un aquarium. Pour son baptême, elle était aussi accompagnée de girelles-paons, ces petits poissons aux reflets irisés originaires du sud de la Méditerranée. « Quand j’étais petite, on en voyait 1 ou 2 par plongée, relève la monitrice, Laura Bottau, un requin-nourrice en pendentif et un tatouage de tortue sur l’avant-bras. Aujourd’hui, il y en a plein. »
Régulièrement, elle nage entourée de barracudas, de poissons-perroquets et « d’espèces qui remontent de la mer Rouge ». Car la chaleur de l’eau implique un changement dans la répartition des espèces marines. On parle de « tropicalisation de la Méditerranée » : « Le climat favorise l’expansion des espèces exotiques envahissantes, note Alexandre Iaschine, directeur général de la Fondation de la mer. Elles remontent par le canal de Suez. C’est le cas par exemple du poisson-lapin, qui est un herbivore vorace. »
Richard Vial met la tête sous l’eau depuis les années 1980. Il s’est même marié à 12 mètres de profondeur. La dernière de ses 30 000 plongées, c’était ce lundi matin. Avant, il ne « voyait pas » ces espèces exotiques, confirme l’ancien patron du CIP. Surtout, avant, il pouvait observer « des colonies de gorgones », du corail, des éponges au-dessus de 15 mètres. Elles ont disparu de la surface, il faut les chercher en profondeur.
« Il y a une mortalité massive de toutes les espèces fixées sur le fond marin, note Alexandre Iaschine. Le stress thermique va entraîner leur mort, car elles ne peuvent pas se mouvoir. » D’autant que ces phénomènes de canicule marine sont « plus précoces, plus fréquents et plus intenses » : on les appelle ainsi lorsque la « température est au-dessus des normales, soit 25-26 °C, pendant plus de cinq jours consécutifs, poursuit-il. C’est l’image de l’incendie sous-marin ».
En 2022, une équipe d’une soixantaine de chercheurs internationaux s’est penchée sur les conséquences des canicules marines observées en Méditerranée entre 2015 et 2019. Leurs résultats, publiés dans la revue scientifique Global Change Biology, montrent que les vagues de chaleur marines peuvent provoquer des « mortalités massives » chez une cinquantaine d’espèces de poissons, d’éponges, d’algues et de mollusques, jusqu’à 40 mètres sous la surface de l’eau.
Quand Richard Vial enfile sa combi et son masque, qu’il porte sur le dos ses bouteilles et qu’il descend dans les profondeurs, il ressent une inespérée fraîcheur. L’eau descend à 20 °C à 20 mètres de profondeur. « C’est la première année comme ça, dit-il. On a un rafraîchissement qui nous sauve. »
L’effet de la thermocline, nom donné à la séparation des couches d’eau, entre en action. « C’est quelque chose qu’on voit quand les canicules sont particulièrement violentes et virulentes, précise le directeur de la Fondation de la mer. Quand l’eau de surface atteint une température trop importante, les deux couches d’eau, superficielle et profonde, ne se mélangent plus, comme l’eau et l’huile. »
En juillet, le phénomène d’upwelling (de remontée d’eau) avait également rafraîchi la Méditerranée. Le mistral qui soufflait avait poussé l’eau chaude au large et fait remonter l’eau froide, offrant ainsi une respiration à cette mer qui suffoque.
À la descente du bateau, Alexia fait « attention à [s]es oreilles ». Cette plongeuse confirmée ne s’inquiète pas de la pression après un aller-retour à 30 mètres. Elle craint les bactéries qui se développent dans l’eau chaude, causant des otites. La canicule marine devrait durer dix jours.
« Ensuite, chaque hiver, la température de l’eau redescend à 13 °C. Et tout se régénère », veut croire Richard Vial, qui continue ses plongées dans la baie hiver comme été, le club restant ouvert toute l’année. Alexandre Iaschine, lui, est plus mesuré : « Je reprends l’exemple de l’incendie. Quand il passe, les dégâts sont faits. Il y a un dérèglement de fond qui a des répercussions sur le déséquilibre de la Méditerranée. »