Editorial : La Tunisie a mal aux côtes
18 juillet 2025
18 juillet 2025
Un mot revient sur toutes les lèvres depuis quelque temps chez la plupart de nos marins pêcheurs : le poisson se fait de plus en plus rare. Pour en trouver, il faut aller de plus en plus loin au large et supporter des dépenses supplémentaires dues notamment à une consommation de carburant plus importante mais sans pour autant que le résultat ne soit forcément garanti. La plupart du temps, en effet, les chalutiers et autres embarcations de pêche artisanale rentrent à leur port d’attache les cales vides ou presque. Pourquoi le poisson, qui fait vivre des milliers de familles, a-t-il déserté nos côtes ? A cause de la surexploitation des ressources halieutiques qui s’épuisent bien sûr. Le recours fréquent à des techniques de pêche, pourtant strictement interdites, qui ravagent les fonds marins et empêchent la régénération des stocks de poisson, est souvent pointé du doigt. Le problème ou plutôt ce mal insidieux est récurrent. Il a été diagnostiqué depuis belle lurette mais le remède n’est toujours pas au rendez-vous. Un peu à cause du laxisme de l’administration et beaucoup parce qu’on a pris l’habitude dans nos murs de laisser pourrir les choses conformément à la logique absurde : après moi, le déluge. Moins de poissons donc à cause de la surpêche et des pratiques irresponsables et peu orthodoxes de certains chalutiers. Et puis quoi encore ? Il y a bien sûr la pollution qui fait, elle aussi, des ravages et provoque de sacrés dégâts au double plan économique et environnemental. Dans la pratique, le constat est alarmant : chaque jour que Dieu fait, plusieurs milliers de m3 d’eaux extrêmement polluées et toxiques sont déversées directement dans la mer. Ces eaux souillées et déversées directement non traitées comportent une multitude de composants chimiques qui sont non seulement très nocifs pour la santé mais ravagent également et surtout la faune et la flore marine. Les déboires que connait ces derniers temps le Golfe de Monastir coulent ainsi de source. Le déversement massif d’eaux polluées est à l’origine des odeurs nauséabondes et du phénomène des poissons morts et des marées de boue constatées ces derniers temps dans cette zone côtière. Autrefois connu pour ses activités piscicoles florissantes, le golfe de Monastir est devenu malheureusement une véritable poubelle à ciel ouvert pour les entreprises de textile. La plupart des 500 entreprises installées dans cette zone, spécialisées dans le traitement du jeans, se débarrassent de leurs eaux usées dans les rivières adjacentes ou dans les canalisations de l’Office national de l’assainissement. Le problème – un sacré problème en fait- c’est que les quantités d’eaux usées reçues par les stations d’assainissement de la région dépassent largement leur capacité de traitement, si bien que le surplus estimé à des milliers de m3 est directement déversé dans la mer.
Aussi paradoxal voire loufoque que cela puisse paraitre, les entreprises de fabrication de textile doivent disposer d’une station de prétraitement conformément au texte de loi qui régit cette activité. Mais en raison du coût élevé de cette structure, les industriels font entorse à la réglementation en vigueur et préfèrent largement payer des amendes. La rentabilité et les considérations économiques l’emportent ainsi sur les préoccupations environnementales. On produit des jeans bon marché et compétitifs mais on tue ailleurs d’autres activités qui nourrissent des milliers de familles dont notamment la pêche mais également le tourisme. Preuve en est, une étude bactériologique de l’eau effectuée en 2011 dans la région de Monastir a révélé la présence d’une quantité non négligeable de bactéries et de parasites dans l’eau de la mer à Ksibet El Médiouni et à Soukrine. Les catastrophes écologiques les plus importantes de 2006 et 2011 ont réellement été la goutte qui a fait déborder le vase pour les résidents et les pêcheurs. La mer était devenue rouge et l’air irrespirable selon les citoyens de la région à cause d’un dégagement dangereux de sulfure d’hydrogène.
Bref, Monastir et pour tout dire de nombreuses autres régions situées sur le littoral ont terriblement mal aux côtes. Un mal insidieux et très dangereux ayant pour nom pollution qui tue à petit feu la faune et la flore marine et porte gravement préjudice à la santé publique. On comprend mieux ainsi pourquoi le poisson fuit nos côtes et pourquoi le nombre des plages déclarées impropres à la baignade va crescendo chaque année. Face à cette hécatombe environnementale, nul besoin de rappeler l’urgence de prendre les mesures nécessaires pour sauver les meubles avant qu’il ne soit trop tard. A défaut on sera contraint de payer une lourde facture économique et sociale qui se traduira par la perte de milliers d’emplois et une détérioration inévitable de la qualité de la vie. L’heure est grave et l’enjeu est bien trop grand pour qu’on se permette le luxe de tergiverser et continuer à fermer les yeux sur le danger rampant de la pollution qui fait peser une lourde menace sur le présent et l’avenir du pays…