Le réchauffement climatique pousse les tortues à foncer vers les bateaux
10 juillet 2025
10 juillet 2025
Avec le réchauffement des mers, les tortues sont forcées de migrer vers des zones plus fraîches, surpeuplées de bateaux. Où elles risquent de se faire heurter mortellement.
Imaginez : à cause du changement climatique, l’endroit où vous habitez devient invivable. Vous êtes contraint de vous déplacer vers une région plus fraîche. Après un long voyage, vous découvrez un lieu plus accueillant. Mais à peine avez-vous commencé à défaire vos cartons que, patatras ! Vous découvrez que votre nouveau foyer se situe au milieu d’une route très fréquentée. Déjà, un capot de voiture s’écrase à pleine vitesse contre votre nez.
C’est peu ou prou ce qui risque d’arriver aux tortues marines, d’après les résultats d’une étude publiée le 25 juin dans la revue Science Advances. Si nos émissions de gaz à effet de serre s’alignent sur celles du « scénario du pire » (SSP5-8.5) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), plus de 50 % des habitats clés pour les tortues de mer pourraient disparaître d’ici 2050, selon les auteurs. Ce phénomène devrait les pousser vers des zones plus fraîches, mais aussi plus fréquentées par les bateaux, au risque de faire exploser le nombre de collisions mortelles.
« Le changement climatique force les tortues de mer à s’adapter, synthétise Denis Fournier, chercheur du Fonds de la recherche scientifique-FNRS à l’Université libre de Bruxelles et auteur de cette étude. Mais elles s’adaptent en allant droit dans le mur, droit vers les routes maritimes. » Denis Fournier et son étudiant en thèse Édouard Duquesne sont parvenus à cette conclusion en mettant en parallèle des données sur le trafic maritime, sur la répartition géographique des tortues de mer et sur la manière dont le changement climatique devrait la modifier.
D’ici 2100, ils s’attendent à ce que les tortues marines désertent leurs habitats tropicaux pour des zones où les activités maritimes sont particulièrement fortes, notamment la mer du Nord et la mer Méditerranée en Europe, ainsi que la mer de Chine orientale et la mer du Japon en Asie. Elles seront alors très exposées aux pales des cargos, des porte-conteneurs et des bateaux de plaisance.
« Lorsque les tortues cherchent à se nourrir, elles nagent entre deux eaux, explique Denis Fournier. Si les bateaux arrivent vite, ils ne les voient pas et peuvent entrer en collision avec elles. » L’ampleur de ces accidents est difficile à estimer, puisque la majorité des cadavres coule vers les abysses. Lorsque les tortues marines viennent pondre sur les plages, les scientifiques constatent cependant souvent des traces de blessures d’origine humaine sur leur corps : nageoires amputées, cicatrices sur la carapace…
En Méditerranée, aux îles Galápagos et dans les eaux atlantiques américaines, les collisions avec les navires sont une cause majeure de l’effondrement des populations de tortues de mer. En Floride, elles ont été identifiées comme la première cause de leur mortalité. La menace ne fait qu’augmenter. Au niveau mondial, la navigation de plaisance devrait croître de 5 % par an d’ici 2030. Le trafic maritime a quant à lui quadruplé depuis 1992.
« Quand les tortues vont bien, l’écosystème va bien, et vice-versa »
Les tortues de mer ne sont pas les seules à être menacées par ce phénomène. Une étude publiée en octobre 2024 dans la revue Nature Climate Change avait déjà montré que le changement climatique risquait de déplacer les requins-baleines (classés « en danger » par l’Union internationale pour la conservation de la nature, UICN) des tropiques vers des zones fréquentées par les navires de marchandises. D’ici 2100, ils devraient avoir jusqu’à 15 000 fois plus de chance d’être heurtés par un bateau qu’aujourd’hui.
À l’instar de ces géants, les tortues de mer sont déjà en mauvaise posture. 6 des 7 espèces connues sont classées comme « vulnérables », « en danger » et « en danger critique » sur la liste rouge de l’UICN.
Elles jouent un rôle « critique » pour les écosystèmes, souligne Denis Fournier. « En tant que proies, elles nourrissent un certain nombre d’espèces, comme les requins, et régulent celles qu’elles mangent, comme les herbiers marins et les méduses. » Via leurs excréments, les tortues marines contribuent également au grand recyclage des nutriments dans l’océan. « Ce sont des espèces bio-indicatrices. Quand elles vont bien, l’écosystème va bien, et vice-versa. »
Il est « possible d’agir » pour éviter la catastrophe, insiste le chercheur. Il plaide notamment pour la création d’aires marines protégées mobiles, dont les frontières pourraient évoluer en fonction de la présence — ou non — de tortues en leur sein. L’installation de GPS sur le dos de certaines d’entre elles pourrait aider à évaluer finement leur répartition, et son évolution au fil des ans et des saisons.
Autre piste : la réduction de la vitesse des navires dans les zones fréquentées par des espèces vulnérables. Cela a notamment été mis en place dans le golfe du Saint-Laurent, au Canada, pour protéger bélugas, baleines de Minke et rorquals communs. La plupart des bateaux de commerce naviguent à une vitesse d’environ 13 à 20 nœuds (24 à 37 km/h). D’après une étude publiée en 2019 dans la revue Frontiers in Marine Science, réduire de 10 % leur vitesse diminuerait de 50 % le risque de collisions. À 10 nœuds, le danger est considérablement réduit. Mais moins de 10 % des bateaux vont à cette vitesse, note l’étude.
Encore plus efficace : interdire les navires dans les zones les plus sensibles. Aux abords du canal du Panama (côté Pacifique), un dispositif de séparation du trafic a été créé pour minimiser la superposition des itinéraires des cargos et des routes migratoires des baleines à bosse. Les dispositifs de ce type restent cependant très rares à travers le monde. « Il y a des solutions, insiste Denis Fournier, il faut juste les mettre en place. » Et réduire notre emprise sur la mer.