Une entreprise canadienne en quête d’un partenariat américain pour ratisser les océans
10 avril 2025
10 avril 2025
Au moment où de plus en plus d’États se montrent en faveur d’un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins, la société canadienne The Metals Company a annoncé vouloir s’allier aux États-Unis pour puiser du cuivre, du zinc et autres minéraux dans les profondeurs du Pacifique.
Le « drill, baby, drill » [fore, bébé, fore] entonné par Donald Trump tout au long de sa campagne pour la Maison Blanche va-t-il s’étendre jusqu’au fond des océans ? C’est le coup de poker de l’entreprise canadienne The Metals Company (TMC). Jeudi 27 mars, son patron, Gerard Barron, a révélé être en discussion avec l’administration américaine pour entamer l’exploitation minière de l’océan Pacifique.
Depuis treize ans, l’homme d’affaires lorgne sur les richesses gisant au fond d’une grande étendue de 4,5 millions de kilomètres carrés entre Hawaï et le Mexique, dans une zone connue sous le nom de Clarion Clipperton Zone. Dans ces abysses se cache en effet une multitude de nodules polymétalliques regorgeant de nickel, de cuivre, de cobalt, de manganèse… Autant de métaux convoités car indispensables à la composition de nombreux objets de la transition écologique comme les batteries de voiture, les éoliennes ou les panneaux solaires.
Après avoir déjà dépensé, selon ses dires, plusieurs centaines de millions de dollars en travaux exploratoires, Gerard Barron n’attend plus qu’une chose : démarrer son activité commerciale.
Mais pour ce faire, il devait en théorie attendre la mise en place d’un code minier. Sous l’égide de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), créée il y a trente ans par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et ratifiée par plus de 160 pays, les États tentent depuis dix ans de s’accorder sur un cadre réglementaire pour cette exploitation des abysses océaniques. Mais année après année, les négociations patinent. Alors que la dernière échéance avait été fixée à 2025, le dernier round de négociations en mars, n’a de nouveau pas permis d’avancées significatives.
Qu’à cela ne tienne, l’entreprise semble avoir décidé d’imposer son calendrier. « Nous avions dit que nous aimerions que les réglementations soient en place au moment où nous commencerions, mais ce n’est pas une obligation », avait déjà prévenu en septembre, sur France Inter, Gerard Barron.
Initialement, l’entreprise prévoyait ainsi de déposer une demande de premier contrat d’exploitation fin juin 2025 à l’AIFM via sa filiale Nauru Ocean Resources Inc, avec le parrainage du petit État insulaire de Nauru, situé en Océanie.
Finalement, The Metals Company a donc décidé de contourner l’AIFM et de se chercher un nouvel allié : les États-Unis. D’ici juin 2025, l’entreprise devrait donc déposer sa demande d’exploitation auprès de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), actuellement en plein cœur d’une purge initiée par le président Donald Trump.
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« Nous pensons avoir suffisamment de connaissances pour démarrer », a insisté la direction dans un communiqué publié le 27 mars. Cette nouvelle « voie » offre « la meilleure probabilité d’obtenir un permis commercial pour commencer les opérations dans les meilleurs délais », a-t-il justifié.
Si les États-Unis n’ont pour le moment pas réagi publiquement à la proposition de l’entreprise TMC, un brouillon de décret circulerait actuellement à la Maison Blanche pour accélérer l’octroi de permis pour l’exploitation minière en eaux profondes dans les eaux internationales, d’après des informations de Reuters. Pas surprenant, alors que Donald Trump a répété à de nombreuses reprises sa volonté de réduire la dépendance du pays à la Chine en minerais critiques et convoite déjà les réserves du Panama, du Groenland et du Canada.
« Les États-Unis n’ont jamais ratifié les textes des Nations unies et laissent donc un flou juridique dans lequel l’entreprise a pu s’engouffrer », déplore Sofia Tsenikli, chargée de plaidoyer de l’ONG Deep Sea Conservation Coalition.
« Toute action unilatérale constituerait une violation du droit international, et saperait les principes fondamentaux du multilatéralisme », a de son côté immédiatement dénoncé la nouvelle secrétaire générale de l’AIFM, l’océanographe Leticia Carvalho, exprimant sa « profonde inquiétude ».
Car « l’enjeu est crucial », insiste Sofia Tsenikli. « Aujourd’hui, le consensus scientifique est qu’il est urgent d’attendre avant de toucher au fond des océans ». Pour cause, nous savons aujourd’hui très peu de choses sur ce qu’il se passe plusieurs centaines de mètres sous la surface, dans ces zones à haute pression et dans la totale obscurité, et les écosystèmes qui s’y trouvent sont toujours très mal connus.
« Il ne s’agit pas seulement d’épargner des espèces que nous ne connaissons pas encore », plaide Sofia Tsenikli. « Perturber les fonds marins pourrait aussi avoir un impact sur les capacités des océans à capter du carbone. » L’océan est en effet le plus grand puits de carbone du monde : il absorbe à lui seul 93 % de l’excès de chaleur induit par les activités humaines, selon l’ONU. Il est donc l’un des grands alliés de la lutte contre le réchauffement climatique.
À ce titre, une découverte majeure révélée en juillet 2024 vient encore appuyer cette nécessité d’appliquer un principe de précaution. Alors qu’ils réalisaient une étude d’impact sur l’exploitation des fonds marins dans la zone Clarion-Clipperton, des scientifiques se sont rendus compte que de l’oxygène proviendrait des nodules polymétalliques dans lesquels se trouvent les minerais convoités. Cet « oxygène noir », comme ils l’ont baptisé dans leur étude publiée dans la revue Nature Geoscience, non issu d’organisme vivants, soulève beaucoup de questions puisqu’il s’agirait de la seule production d’oxygène connue par un processus autre que la photosynthèse.
« Or, nous savons aujourd’hui que nos actions sur les fonds marins ont des impacts à très long terme, voire irréversibles. Face à toutes ces inconnues, c’est un risque que nous ne pouvons pas prendre », soutient Sofia Tsenikli.
Lundi 31 mars, à l’occasion du sommet « SOS Océan » à Paris, une équipe d’une quinzaine de chercheurs internationaux, missionnés par Emmanuel Macron pour étudier les conséquences du lancement de l’exploitation minière des fonds marins, ont ainsi appelé à un moratoire pendant « dix à quinze ans », le temps de « mieux comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes ».
Face à ce constat – et c’est aussi certainement ce qui aura poussé l’entreprise TMC à se tourner vers les États-Unis – de plus en plus d’États se sont déclarés ces derniers mois en faveur d’un moratoire sur l’exploitation des fonds marins. Au total, 32 pays se sont ainsi exprimés pour suspendre l’élaboration d’un code minier. De grandes entreprises les ont rejoints, notamment Google, BMW, Samsung et plus récemment Apple.
« Comment établir un cadre légal pour une pratique dont nous ne connaissons pas encore les impacts réels ? « , résume Sofia Tsenikli.
La France fait partie des voix défendant l’idée de ce moratoire. « Il ne doit pas y avoir d’action concernant l’océan qui ne soit éclairée par la science », a martelé Emmanuel Macron le 31 mars, en conclusion du sommet « SOS Océan ». À deux mois de la prochaine Conférence des Nations unies pour l’Océan qui se tiendra en juin, à Nice, le chef de l’État a même annoncé faire de cette question l’un des enjeux majeurs de la rencontre.
« Les prochaines négociations de l’AIFM auront lieu juste après le sommet à Nice, en juillet. Ce sera donc un moment parfaitement opportun pour les États de s’afficher en faveur de ce moratoire », estime Sofia Tsenikli.