Enfin du corail en bonne santé. J’enchaîne les plongées à Raja Ampat, en Papouasie indonésienne. Mon objet d’étude sont les tortues marines, mais je suis frappé par la beauté des fonds. L’aire marine protégée, voulue par les communautés locales, abrite 75 % de toutes les espèces de coraux, 40 d’entre elles n’existent nulle part ailleurs. Une incroyable diversité de formes et de couleurs en résulte, colonisant les eaux peu profondes et les tombants, là où la visibilité dépasse souvent 25 mètres. L’étendue et la complexité de ces récifs offrent une infinité d’habitats pour des milliers d’autres espèces, du minuscule hippocampe jaune au requin gris.
Presque trois quarts des coraux de la planète blanchissent sous le joug du réchauffement climatique. Ceux de Raja Ampat sont resplendissants, malgré une eau à 30 °C. En comparaison, les récifs du parc national de Port Cros souffrent dès que la température de l’eau dépasse 25 °C. Quel est donc le secret des coraux papous ? Pour mes collègues indonésiens, ces organismes équatoriaux sont pré-adaptés à des températures qui peuvent atteindre 36 °C.
Mais que se passe-t-il au-delà de cette limite ? Une étude franco australienne, menée par Hugo Denis du laboratoire Entropie /Sorbonne Université, a exploré cette thématique sur la Grande Barrière de Corail en Australie (1). En 2022, au fil d’une trentaine de plongées, les scientifiques ont prélevé des fragments de 768 colonies de l’espèce Acropora spathulata, un corail branchu aux teintes vertes, bleues ou jaunes, orange sur les pointes. Les collectes étaient réparties sur 14 récifs et plus de 1 000 km, couvrant la majorité de la Grande Barrière le long d’un axe nord sud. Dans des aquariums embarqués sur leur navire de recherche, les scientifiques ont soumis les coraux à une gamme de températures très élevées pendant 24h, puis leur concentration en chlorophylle et leur capacité à maintenir la photosynthèse ont été mesurées. En effet, quand la température stresse les coraux, ceux-ci expulsent les algues symbiotiques qui les nourrissent par photosynthèse.
L’étude confirme que les coraux les plus proches de l’équateur sont généralement plus résistants aux très fortes températures. De plus, les coraux exposés régulièrement à des vagues de chaleur marines maintiennent généralement une activité photosynthétique élevée en période de stress thermique, suggérant des mécanismes d’acclimatation. Néanmoins, les populations exposées à des vagues de chaleur dans les mois précédents, blanchissent davantage.
Mais toutes les colonies coralliennes ne sont pas égales face au réchauffement : en comparant leurs réponses au stress thermique, Hugo Denis et ses collègues ont constaté que les températures qui provoquent le blanchissement peuvent varier de 3 °C au sein d’un même récif, et de 6 °C entre les différents récifs. Ainsi, certaines colonies d’une même espèce de corail sont génétiquement adaptées à des plus fortes températures, quand on les compare avec leurs voisines.
Cette variabilité constitue une «assurance survie», en favorisant la sélection naturelle d’individus thermiquement tolérants, qui perdureront et légueront leurs gènes aux générations futures.
Pour Hugo Denis, «cette étude suggère un potentiel d’adaptation au réchauffement des océans. Nos recherches montrent cependant que les récifs du nord de la Grande Barrière, bien que tolérants à des températures absolues plus élevées, vivent déjà dans des conditions proches de leur limite thermique. Cela s’est malheureusement confirmé cette année lors du dernier épisode de blanchissement de masse : en novembre 2024, nous sommes retournés sur les récifs échantillonnés en 2022 ; à certains endroits, plus de 90 % des colonies d’Acropora spathulata ont succombé. Pour espérer voir des récifs coralliens en bonne santé dans le futur, respecter les engagements internationaux sur le climat demeure une priorité absolue.»
Source: Liberation