Plastique : la Corée du Sud, hôte du sommet antipollution, mais accro aux emballages
29 novembre 2024
29 novembre 2024
En Corée du Sud, les films plastiques sont omniprésents dans l’alimentation, les cadeaux, les commandes en ligne… Le pays, qui accueille à Pusan la conférence onusienne pour un traité mondial devant mettre fin à la pollution plastique, est lui-même très en retard sur cette question.
La boulangerie-pâtisserie Ops de Séoul, « maison de qualité depuis 1989 », sise au sous-sol du grand magasin Lotte, propose d’alléchants gâteaux, sandwichs et autres pains. Le client hésite et choisit. A la caisse, l’employée emballe chacun des produits dans des sachets en plastique. Or la plupart étaient déjà sous plastique. Ops n’a rien d’unique. Paris Baguette, Paris Croissant… Toutes les enseignes font de même. Les boîtes de gâteaux fermées par un film en plastique s’ouvrent le plus souvent sur des friandises, emballées une par une dans du plastique.
C’est peu dire que la Corée du Sud consomme du plastique, pour la nourriture, les cadeaux et les commandes en ligne. La production de déchets plastiques est passée de 9,6 millions de tonnes en 2019 à 12,6 millions de tonnes en 2022, une hausse de 31 % en trois ans. De quoi s’interroger alors que se déroule à Pusan (dans le sud-est de la péninsule), du 25 novembre au 1er décembre, le cinquième et normalement dernier cycle de négociations onusiennes du traité mondial devant mettre fin à la pollution plastique, l’Intergovernmental Negotiating Committee (INC-5). « Pour atteindre nos objectifs climatiques et résoudre la crise du plastique, l’unique solution consiste à réduire la production de plastique », rappelle Nara Kim, responsable de la campagne sur les plastiques à Greenpeace Séoul.
Le président conservateur, Yoon Suk Yeol, a promis le 19 novembre lors du sommet du G20 d’appuyer la conclusion d’un accord car, selon lui, « des efforts pour réduire la pollution plastique doivent être faits » pour le développement durable.
A la barre des négociations, Séoul penche néanmoins du côté de pays comme l’Arabie saoudite ou l’Iran, favorables à un traité limité à la gestion des déchets et au recyclage. Il s’oppose à la coalition de 67 membres, dont l’Union européenne (UE), plaidant pour un texte ambitieux, assorti d’un objectif de réduction de la production et de l’usage du plastique.
Dire que rien n’est fait en Corée du Sud face à l’omniprésence du plastique serait inexact, même si les mesures prises présentent parfois des incohérences. En 2022, une loi a ainsi restreint l’utilisation des plastiques à usage unique, y compris les pailles et les sacs. Mais le texte a été assoupli en 2023 par le ministère de l’environnement.
La Corée du Sud affirme recycler 73 % des plastiques. Or, explique Seo Hee-won, de l’ONG locale Climate Change Center, « ce chiffre ne tient compte que des déchets plastiques arrivés au centre de tri pour le recyclage. Nous ne savons pas s’ils sont recyclés, incinérés ou mis en décharge par la suite ». Greenpeace estime que la Corée du Sud ne recycle en réalité que 27 % de ses déchets plastiques. Le ministère de l’environnement conteste ces affirmations en invoquant des méthodes de recyclage et des calculs statistiques variables d’un pays à l’autre.
Les autorités locales adoptent aussi leurs propres mesures. « La réduction de l’usage des plastiques est une des priorités de notre politique environnementale », assure la municipalité conservatrice de Séoul. Concrètement, elle accorde des subventions pour le lavage de la vaisselle des cafés et oblige l’ensemble des restaurants du grand stade de base-ball Jamsil à utiliser une vaisselle rose réutilisable, qu’elle a fournie. Elle organisait, les 25 et 26 novembre, sous la carapace argentée du Dongdaemun Design Plaza (DDP), une conférence Climate Tech, présentant des start-up engagées sur les questions environnementales.
La politique sud-coréenne sur le plastique est trop focalisée « sur le recyclage et l’économie circulaire », regrette Shin Kyong-ah, fondatrice d’Ecocow, une start-up dont le service Ecomap a pour ambition de faire baisser l’usage massif des gobelets en plastique dans les cafés. Pour cela, elle vise à convaincre les consommateurs de privilégier les gobelets réutilisables. « Après la naissance de mon fils, ma vision du monde a changé. J’ai compris que les problèmes environnementaux ne feront qu’empirer si rien n’est fait. C’est sa génération qui en souffrira. Or il est impossible de résoudre les problèmes environnementaux sans réduire la production en général et notre dépendance au confort moderne. »
Mme Shin a opté pour un système de points qui permet aux utilisateurs de gobelets réutilisables d’obtenir des rabais dans la centaine de cafés partenaires. L’application permet de cumuler d’autres récompenses offertes par des systèmes similaires créés localement. « On ne peut pas se contenter de demander aux gens de faire des efforts. Ils doivent avoir une récompense. » Hwaseong, ville de 904 000 habitants au sud de Séoul, s’apprête à intégrer Ecomap au programme de consommation écologique qu’elle veut mettre en place en 2025.
La relative timidité des autorités sur le sujet peut s’expliquer par la culture sud-coréenne, qui valorise les emballages élaborés, ce qui complique l’abandon du plastique. Un autre problème est l’influence de la puissante industrie pétrochimique, la cinquième mondiale avec des géants comme Lotte Chemical, premier producteur local de plastique.
Le poids de cette industrie est sans commune mesure avec celui du ministère de l’environnement, parent pauvre d’un gouvernement conservateur pour lequel rien ne doit être fait qui entrave la croissance économique.
Illustration de cette philosophie, l’administration Yoon a modifié la réglementation pour permettre à des groupes comme le géant de la pétrochimie LG Chemical de produire du naphta, matière première du plastique, en recyclant le plastique par pyrolyse. Cette technique consiste à chauffer les déchets à des températures extrêmement élevées, ce qui les décompose en molécules qui peuvent être réutilisées comme matière première. Les produits chimiques de dépolymérisation recyclés par SK Chemicals, autre géant local, servent déjà pour les bouteilles d’eau et les pneus pour les véhicules électriques haut de gamme. Or ces procédés sont coûteux et, de surcroît, très émetteurs de gaz à effet de serre.