Le défi des mers du Sud, entre terreur et splendeur

À l’approche du Cap de Bonne-Espérance, les skippers du Vendée Globe franchiront une frontière invisible marquant un tournant décisif dans leur aventure. Ce passage symbolise une métamorphose radicale des conditions de navigation, annonçant l’entrée dans l’un des chapitres les plus redoutés et fascinants de la course : les mers du Sud. Immenses, isolées et inhospitalières, ces étendues océaniques défient les marins par leur brutalité, mais offrent également des instants d’une beauté saisissante. Plongeons dans les dangers et les merveilles de ce territoire unique.

Des conditions météorologiques extrêmes et des courants impitoyables

Naviguer dans les mers du Sud, c’est faire face à une violence climatique légendaire. Ici, les dépressions se succèdent sans relâche, générant des vents puissants et des vagues pouvant atteindre la taille d’un immeuble. La dynamique est exacerbée par le Courant Circumpolaire Antarctique, un immense fleuve océanique qui balaie les eaux autour de l’Antarctique, rendant les conditions encore plus éprouvantes.
Mais au-delà de la hauteur des vagues, ce sont leurs variations incessantes qui compliquent la navigation. Les trains de houles multiples, issus de tempêtes lointaines, se combinent aux vagues générées localement par les vents (la « mer du vent »), créant un chaos aquatique imprévisible. Chaque instant devient un combat contre des forces naturelles sans pitié. Armel Le Cléac’h, avant le départ du Vendée Globe 2016, illustrait ce contraste brutal : « On quitte des conditions de mer agréables, sous le soleil, avec un vent sympa et où le bateau est peu chahuté. Il fait bon à bord et la température de l’eau est bonne également. Et en quelques heures, on passe à des conditions hivernales, même si, dans les mers du Sud, c’est l’été. »

Les dangers inattendus : température glaciale et obstacles invisibles

En plus des vents et des vagues, les skippers doivent composer avec des températures de l’eau extrêmement basses. Ces eaux glaciales augmentent le risque d’hypothermie, et pour les skippers constamment arrosés par les embruns et submergés par les vagues, maintenir une température corporelle stable est un défi quotidien. Une simple chute à l’eau ou un problème mécanique peut rapidement virer au drame.

Les dangers ne s’arrêtent pas là. Les skippers doivent également éviter les OFNI (objets flottants non identifiés), des troncs, conteneurs ou autres débris portés par les courants, qui peuvent gravement endommager les embarcations. Pire encore, les icebergs, dérivant parfois sous la surface, constituent une menace invisible. La nuit, ces dangers deviennent encore plus redoutables, obligeant les marins à une vigilance accrue. Loïck Peyron exprimait bien cette dualité entre peur et fascination : « C’est violent, mais c’est beau, d’une pureté étonnante. […] Les icebergs ajoutent une fascination supplémentaire. » Bien que l’organisation ait défini une zone d’exclusion pour préserver la sécurité des skippers face à la forte présence d’icebergs, le risque qu’un iceberg dérivant hors de cette zone croise leur route reste bien réel.

Seuls au monde : la solitude et la fatigue des grandes étendues

Les mers du Sud sont souvent décrites comme « le plus grand désert maritime ». Loin des routes commerciales et des zones de pêche, ces étendues d’eau infinies plongent les skippers dans un isolement total. François Gabart, commentant le Vendée Globe 2020, déclarait : « Ce n’est pas simple d’aller naviguer dans ces coins-là. Il n’y a personne, ou alors très peu de monde. […] Dans les mers du Sud, il n’y a que très peu de trafic maritime et de pêche, seulement quelques îles inhabitées. »

Cette solitude est amplifiée par la fatigue. Après plusieurs semaines de course, les skippers accumulent un manque de sommeil chronique, rendant chaque décision plus difficile et chaque manœuvre plus périlleuse. Raphaël Dinelli expliquait : « On peut avoir d’énormes coups de froid qui mettent 12 ou 24h à passer. Mais on n’a pas de virus comme ce sont des endroits vierges. » Cette pureté contraste avec le stress constant et la lutte pour maintenir le cap dans des conditions extrêmes. En cas d’avarie, cette isolation devient critique. Sans secours immédiat ni navires proches, les marins ne peuvent compter que sur leur ingéniosité et leur résistance pour survivre.

 

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Une nature immaculée et fascinante

Si ces eaux glacées et isolées effraient, elles subjuguent aussi. Les mers du Sud offrent un spectacle naturel d’une beauté inouïe. Oiseaux marins comme les albatros, capables de voler des mois sans se poser, ou baleines majestueuses croisent la route des skippers, rappelant que la vie persiste même dans ces régions inhospitalières. Loïck Peyron, marqué par cette nature exceptionnelle, décrivait : « C’est le plus grand désert maritime. Un lieu unique. […] Ne serait-ce que parce qu’on est accompagné d’oiseaux qui ne touchent jamais terre, ou presque. Et cette houle dont on sait que les ondes font parfois le tour du monde sans toucher une terre. »
Lorsque le ciel s’éclaircit, les couleurs et la lumière deviennent presque irréelles. Parfois, des terres lointaines apparaissent, immaculées, sans aucune trace d’habitation humaine. Ces moments suspendus offrent une pause bienvenue dans le tumulte constant de la navigation, un rappel de la majesté de notre planète.

Pour les skippers du Vendée Globe, entrer dans les mers du Sud, c’est embrasser un mélange de crainte et de fascination. Ces eaux extrêmes, où l’homme est si petit face à l’immensité de la nature, sont le théâtre d’une lutte constante pour la survie, mais aussi d’un émerveillement profond devant une beauté brute et intacte.
Les navigateurs y trouvent une épreuve ultime, tant physique que mentale. Mais pour ceux qui franchissent cette étape, la récompense est inestimable : la certitude d’avoir traversé un des derniers sanctuaires sauvages de la planète.
Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

Source : Figaro