Inondations en Espagne, à Valence : « Le réchauffement de la Méditerranée est de la dynamite »
1 novembre 2024
1 novembre 2024
Expert en catastrophes naturelles, le géologue Antonio Aretxabala analyse les raisons du très lourd bilan humain et matériel après les inondations qui ont fait près de cent morts en Espagne.
La hausse des températures de la mer Méditerranée et l’urbanisation tous azimuts de zones inondables dans la région de Valence expliquent l’ampleur de la catastrophe qui a fait près de cent morts, mardi 29 et mercredi 30 octobre, après un épisode de « goutte froide » dans le sud-est de l’Espagne, selon Antonio Aretxabala, docteur en géologie à l’université de Saragosse et expert en catastrophes naturelles.
La température de la mer Méditerranée ne cesse d’augmenter du fait du réchauffement climatique. Cet été, elle a de nouveau battu des records. L’atmosphère est par conséquent plus chaude et chargée de vapeur d’eau.
Or, lorsque le vent du Levant – venant de la Méditerranée –, chaud et humide, rencontre une langue d’air froid venant du pôle Nord, comme cela s’est passé mardi – ce que l’on appelle une dépression isolée à haute altitude (« Dana » en espagnol) ou « goutte froide » –, cela provoque des pluies torrentielles. C’est un phénomène météorologique d’autant plus extrême que l’air est chargé de millions de tonnes d’eau du fait de la hausse des températures ; ainsi autour de Valence, durant plus de huit heures, ce sont près de 500 litres au mètre carré qui sont tombés ; une intensité exceptionnelle. Cela correspond normalement à un an de précipitations.
Dans tous ces cas, le réchauffement de la Méditerranée est de la dynamite. Plus les températures augmentent, plus l’atmosphère se charge de vapeur d’eau. Et plus la différence d’énergie entre le pôle Nord et l’équateur se réduit, plus des courants d’air froid ont tendance à se séparer, à divaguer, à onduler et à arriver de plus en plus au sud.
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Ces phénomènes météorologiques extrêmes vont continuer à augmenter en fréquence et en intensité car nous vivons là les conséquences réelles du changement climatique.
Parallèlement, le pourtour méditerranéen espagnol subit une situation de grave sécheresse prolongée. Existe-t-il un lien entre ces deux phénomènes ?
De la même manière que des langues d’air froid vont de plus en plus au sud, des masses d’air chaud se déplacent de plus en plus vers le nord. Avec le dérèglement climatique, les épisodes extrêmes sont de plus en plus nombreux : les sécheresses sont plus longues, les précipitations sont plus violentes. C’est une sorte de chaos climatique, et ce n’est pas une surprise. Cela fait trente ans que des scientifiques tirent la sonnette d’alarme.
L’Espagne est le pays qui compte le plus de barrages par rapport à sa superficie. Cela y a créé un faux sentiment de sécurité, autour de l’idée que l’on pouvait contrôler les crues, qu’on pouvait absorber le surplus de pluie et le déverser progressivement dans des canaux de déchargement, sans risque.
Depuis les années 1950 et 1960, nous avons ainsi construit dans des zones inondables, très près des rivières, on a bétonné tous azimuts, ce qui a provoqué la perte de perméabilité des sols. Dans la région de Valence, en particulier, les plaines inondables ont été très urbanisées. Or les barrages et les ramblas [canaux naturels d’évacuation des cours d’eau] ne suffisent pas face à des débits comme celui que nous avons vu ces jours-ci.
Selon vous, il est donc probable que ce genre d’épisodes se répètent…
Effectivement, et il n’y a qu’une solution : indemniser les gens qui vivent dans ces zones inondables et leur trouver un logement ailleurs, pour corriger les erreurs que nous avons commises dans le passé. Il ne s’agit pas de penser que nous avons perdu la guerre contre la nature, comme certains le disent, mais de chercher une manière de vivre en symbiose avec elle. Cela exige du temps et de l’argent, mais si nous ne voulons pas continuer à perdre des vies et à dépenser des millions d’euros pour reconstruire sans fin ce qui a été détruit, il n’y a pas d’autres solutions.