A Chypre, les canicules marines et leurs effets dévastateurs sur les écosystèmes marins
29 août 2024
29 août 2024
La température des mers ne cesse de grimper, pendant des périodes de plus en plus longues. Une douceur qui séduit les vacanciers, mais dont l’impact menace la biodiversité sous la surface de l’eau.
À Chypre, des températures record sont enregistrées, sur terre comme en mer.
Des canicules aux effets dévastateurs pour les écosystèmes marins, particulièrement vulnérables, comme le démontrent les travaux des chercheurs de l’Institut maritime et marin de Chypre (CMMI), dirigé par l’écologiste marin Louis Hadjioannou.
Si en mer, des eaux chaudes peuvent être agréables en vacances, elles peuvent s’avérer dévastatrices pour la vie marine. Alors que la température des océans grimpe en flèche au cours de périodes de plus en plus longues, comment apprécier la menace qui pèse sur les écosystèmes marins, et peut-on faire quelque chose pour éviter le pire ?
« La visibilité n’est pas très bonne aujourd’hui », pointe Louis Hadjioannou, chercheur en écologie marine au sein du CMMI, lors d’une plongée, « alors que normalement, c’est clair comme de l’eau de roche ».
La zone explorée est à l’évidence confrontée à de sérieuses difficultés.
L’an dernier, c’était une prairie marine luxuriante, un havre de paix pour les tortues de mer et les raies pastenagues. Aujourd’hui, c’est une étendue morne, jonchée de restes d’éponges qui proliféraient autrefois.
« On est situés dans une zone sensible en ce qui concerne la hausse des températures, aussi bien dans l’eau qu’à l’extérieur », poursuit Louis Hadjioannou. « Et ces températures qui montent, qui deviennent plus intenses, pendant plus longtemps, affectent évidemment les organismes, parfois jusqu’au pire, à savoir leur mort. Ils disparaissent ».
Alors que les espèces locales luttent contre un mercure en hausse, des espèces exotiques en provenance de la mer Rouge voisine migrent vers ces eaux, et perturbent encore plus l’écosystème.
« Avec l’augmentation des températures, il y a beaucoup plus de nouvelles espèces qui parviennent à traverser le canal de Suez d’une manière ou d’une autre », relate le chercheur. « Elles y trouvent des conditions favorables à leur développement. Dans de nombreux cas, ces nouvelles espèces supplantent les espèces locales, les déplacent et causent une multitude de problèmes ».
Depuis plus de dix ans, des chercheurs chypriotes surveillent attentivement la hausse des températures marines, à l’aide de capteurs sous-marins spécifiques.
« On approche de l’endroit où on a déployé notre enregistreur de données », explique Louis Hadjioannou, au cours de sa plongée.
D’après les données recueillies, les eaux de Chypre se réchauffent tout au long de l’année, en particulier dans les eaux peu profondes, où la vie dépend de récifs coralliens vulnérables. L’équipe de recherche réalise des clichés du corail, pour documenter les changements au fil du temps.
« Ici, vous pouvez voir des polypes qui se sont dégradés. Ils ont l’air complètement morts. C’est effectivement mort », constate le chercheur.
L’équipe de l’institut maritime et marin de Chypre (CMMI) participe à deux projets de recherche financés par l’Union européenne – PUREEF-Y et EFFECTIVE – qui étudient l’impact des canicules marines sur les récifs peu profonds et visent à trouver des solutions naturelles pour protéger et restaurer les écosystèmes des fonds marins, avant qu’ils ne disparaissent pour de bon.
« On va essayer de collecter des échantillons de sédiments », note Louis Hadjioannou.
« En prélevant des carottes de sédiments ou de récifs, on peut comprendre comment le climat était dans le passé à partir du fond de l’échantillon, puis on remonte jusqu’à la carotte pour comprendre comment il évolue au fil des ans, jusqu’à aujourd’hui ».
L’analyse des sédiments indique dans quelle mesure les canicules marines affectent les niveaux de pollution et d’autres variables.
« Dans les sédiments, on étudie également la méiofaune », affirme Eleni Christoforou, biologiste au sein du CMMI. « Elle est constituée de petits organismes dont la biodiversité dépend de la température, des nutriments et d’autres facteurs. De nombreuses espèces pourraient même disparaître parce que l’eau ou les sédiments sont trop chauds, ou parce que les nutriments ont changé à cause du dérèglement climatique et des vagues de chaleur ».
La crise des eaux chypriotes n’est qu’une illustration d’un phénomène observé à l’échelle mondiale, et qui fait l’objet d’une surveillance attentive de la part des océanographes de Mercator Ocean International à Toulouse, en France.
Karina von Schuckmann, qui est l’un des principaux auteurs des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), explique que l’intensification des vagues de chaleur est l’une des conséquences du déséquilibre des températures sur notre planète.
« Les canicules marines peuvent se produire parce qu’il y a des vagues de chaleur dans l’atmosphère », explique Karina von Schuckmann, océanographe. « Il y a donc une interaction entre l’atmosphère et l’océan, et l’océan se réchauffe, le vent ralentit. Le dernier GIEC a révélé que les extrêmes augmentaient d’une manière générale, que les intensités étaient plus élevées et que la fréquence augmentait ».
Les canicules marines – des périodes prolongées pendant lesquelles on observe des températures anormalement élevées de l’eau de mer – se répandent comme une traînée de poudre dans les océans du monde entier. Elles menacent les écosystèmes, la pêche, l’aquaculture et le tourisme, et peuvent durer des semaines, des mois, voire des années. En Méditerranée, les températures à la surface de l’eau n’ont cessé d’augmenter depuis les années 1980, une tendance qui devrait se poursuivre tout au long du XXIe siècle.
Pour mieux comprendre et prévoir les vagues de chaleur marine, Mercator Ocean International a développé des modèles avancés ayant recours au service Copernicus Marine – qui fait partie du programme Copernicus de l’UE.
« On récolte toutes les observations disponibles, satellites, et puis ce qu’on appelle in situ, c’est-à-dire vraiment faite en mer, avec des bouées autonomes, mais aussi avec des navires, avec toutes sortes d’instruments de mesure », indique Marie Drevillon, océanographe au sein de Mercator Ocean International. « Et à partir de toutes ces observations, on va les intégrer dans une solution de modélisation. On fait une prévision pour les dix jours à venir, et ça nous permet de savoir si dans une semaine il y aura toujours une canicule marine au même endroit, ou bien si ça va évoluer dans un sens ou dans l’autre. Et on publie des bulletins toutes les semaines pour donner l’état actuel.”
« Nous avons besoin de comprendre quelle biodiversité va être détruite de façon définitive », précise Pierre Bahurel, directeur général de Mercator Ocean International, « quel sera l’impact sur nous, qu’est-ce que ça va changer ensuite sur les grands équilibres, et comment surtout, on peut éviter de poursuivre ce désastre qu’on a fait sur les océans ».
D’après les scientifiques, 90 % des récifs coralliens dans le monde pourraient disparaître d’ici à 2050.
Pour renforcer la résilience des récifs, l’équipe de Louis Hadjioannou, à Chypre, expérimente les pépinières de coraux. Elle place des fragments d’espèces menacées dans une zone sûre, à l’abri des prédateurs. L’objectif, permettre à ces fragments de se développer dans la pépinière protégée, pour qu’ils soient ensuite transplantés sur le fond marin, contribuant ainsi à la régénération d’écosystèmes récifaux sains.
Louis Hadjioannou nous conduit à une plate-forme située à 5 mètres de profondeur.
« Nous voici à la pépinière flottante », indique Louis Hadjioannou. « C’est la première fois que nous testons ce type de pépinière flottante en Méditerranée, toutes espèces confondues. Nous allons installer les coraux et les surveiller pendant au moins un an à l’aide de la photogrammétrie et d’autres méthodes visuelles ».
« C’est maintenant la période de pic des canicules », observe le chercheur. « Nous allons continuer à déployer et à installer d’autres fragments de coraux sur la pépinière flottante à différentes saisons, pour voir comment ils se comporteront ».
« Nous sommes désormais certains que la mer sera différente dans dix ou vingt ans. Nous nous efforçons au moins de sauver certaines des espèces clés qui soutiennent le reste de la biodiversité, dans l’espoir que les changements à venir ne seront pas si néfastes, voire fatals, pour la vie marine ».
Alors que l’océan continue de se réchauffer, le temps presse pour de nombreuses espèces confrontées à un avenir auquel elles ne survivront peut-être pas.