Les armateurs de porte-conteneurs voient l’horizon financier se dégager
21 juin 2024
21 juin 2024
La désorganisation du trafic maritime, liée aux attaques de navires en mer Rouge, renchérit le coût du transport. Sur certaines lignes, les experts n’excluent pas des taux de fret comparables à ceux de la période liée au Covid-19.
Le creux de la vague n’aura duré que quelques mois pour les armateurs de porte-conteneurs, qui tirent paradoxalement profit d’un environnement tendu : le déroutement par le cap de Bonne-Espérance des navires pour éviter les attaques des rebelles yéménites houthistes en mer Rouge rallonge les trajets et donc le nombre de bateaux pour assurer le même service ; face à un risque de pénurie de moyens de transport et de la désorganisation de certains ports, les chargeurs anticipent les livraisons vers l’Europe et l’Amérique du Nord ; cette hausse de la demande entraîne l’augmentation des taux de fret spot fixés par les armateurs, et donc leurs profits. Le tout, sur fond de relance de la guerre tarifaire entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.
« Il y a six mois, nous envisagions une année 2024 ressemblant à une promenade dans le désert. Maintenant, bien sûr, tout a changé », résumait Peter Sand, analyste en chef du cabinet Xeneta, lors du salon professionnel des ports, le 11 juin, à Rotterdam, aux Pays-Bas. Ainsi, les tarifs facturés aux industriels et à la grande distribution pour acheminer leurs marchandises – normalement moins élevés à cette période de l’année – ont bondi depuis le début de l’année.
Le prix moyen reflété par l’indice composite (World Container Index) du cabinet britannique Drewry est passé de 1 400 dollars (1 310 euros) fin novembre 2023 à 4 801 dollars, le 13 juin. Sur certains services entre les ports chinois et européens ou américains, ils s’élèvent même à 6 000 ou 7 000 dollars. Le pic de 10 000 dollars de cet indice, atteint en septembre 2021, pourrait l’être de nouveau sur des lignes Asie-Europe du Nord, prévient l’agence Bloomberg. Les taux moyens sont en tout cas bien supérieurs (+ 238 %) à ceux de 2019, avant la crise sanitaire, rappelle Drewry.
Plus de navires et de conteneurs pour assurer le même service. Traumatisés par le souvenir de la période liée à la pandémie de Covid-19, les clients des compagnies maritimes redoutent un manque de navires et des goulets d’étranglement à la fin de l’été, période où les grands distributeurs ont l’habitude de restocker en prévision de l’accroissement de la demande de biens de grande consommation de fin d’année. En 2024, ils ont anticipé de plusieurs mois et réservé des capacités de transport dès la fin de l’hiver. Au salon de Rotterdam, le patron du cabinet danois d’expertise Vespucci Maritime, Lars Jensen, a assuré que le secteur se retrouve « sans aucun doute en territoire pandémique ».
Depuis le début des frappes houthistes, fin 2023, le transit de conteneurs par le canal de Suez s’est réduit d’environ 80 %, a calculé Bloomberg Intelligence. En contournant l’Afrique, les navires mettent au moins deux semaines de plus pour relier Shanghaï, en Chine, au Havre, dans la Seine-Maritime, ou à Anvers-Bruges, en Belgique. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Fret maritime : « Silencieusement, une bulle éclate » Le commissionnaire numérique Ovrsea basé à Paris estime que cela a augmenté de 15 % le temps de transit moyen entre l’Asie et l’Europe du Nord entre janvier et avril. Et même de 39 % pour desservir la Méditerranée orientale. Les cargaisons à destination de Malte, du Pirée, en Grèce, ou d’Alexandrie, en Egypte, doivent, en effet, être transbordées sur d’autres navires à Tanger (Maroc), Algésiras ou Barcelone, en Espagne.
Le Monde Jeux Chaque jour de nouvelles grilles de mots croisés, Sudoku et mots trouvés. Jouer Il faut plus de navires et de conteneurs pour assurer le même service. La réapparition de compagnies exploitant de plus petits bateaux pour le transport en haute mer est le signe de capacités tendues, relève un expert du transport maritime. Fort mouvement de restockage Cette augmentation des taux de fret fait le bonheur des armateurs. Depuis le début de l’année, l’italo-suisse MSC, le danois Maersk, le français CMA CGM, le chinois Cosco ou l’allemand Hapag-Lloyd ont renoué avec les profits, même s’ils sont sans commune mesure avec ceux de 2021-2022. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Transport maritime : la tension persiste en mer Rouge CMA CGM, numéro trois mondial du porte-conteneurs, a dégagé un résultat net de 785 millions de dollars au premier trimestre, après une perte de 90 millions entre octobre et décembre 2023. Ce retour à meilleure fortune est aussi dû à un début d’année « plus dynamique qu’attendu pour le commerce mondial de biens », grâce à un fort mouvement de restockage en Chine et aux Etats-Unis, explique son directeur financier, Ramon Fernandez. Maersk a relevé ses prévisions pour 2024 : le numéro deux du secteur anticipe un résultat avant intérêts, impôts et amortissements compris entre 7 milliards et 9 milliards de dollars (entre 6,6 milliards et 8,4 milliards d’euros), supérieur à sa prévision précédente de 4 milliards à 6 milliards de dollars.
La menace peut durer de longs mois La désescalade n’est pas d’actualité en mer Rouge. Malgré la création d’une force maritime internationale sous l’égide des Etats-Unis, fin 2023, et des patrouilles de plusieurs frégates européennes, la sécurité maritime y reste précaire. Les houthistes, mouvement chiite soutenu par l’Iran, ont revendiqué, jeudi 13 juin, une nouvelle « opération militaire » contre le Tutor, un vraquier grec battant pavillon libérien, dont un marin a été porté disparu. Pour la première fois, un drone de surface a atteint sa cible, renforçant l’inquiétude des armateurs. Vingt-quatre heures plus tard, un cargo polonais enregistré aux Palaos, le Verbena, était à son tour frappé, entrainant une riposte américaine contre des sites de radars. L’affrontement peut durer de longs mois, même en cas d’arrêt des combats à Gaza, selon le patron du transporteur de produits pétroliers Frontline. « Penser que des propriétaires de navires feront courir des risques à leurs équipages en repassant bientôt par le canal de Suez et le golfe d’Aden est un peu naïf », publiait Lars Barstad, mercredi 12 juin, sur le réseau social X. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Porte-conteneurs : « Les taux de fret baissent mais ne retrouveront pas le niveau des dernières décennies »