Transport maritime : dans l’est de l’Afrique, une incidence inégale de la crise en mer Rouge
24 mai 2024
24 mai 2024
Les attaques houthistes sont indolores à Mombasa, le grand port de l’océan Indien, dont l’activité est même portée par une meilleure conjoncture économique et logistique.
Pour une fois, les conséquences d’un énième choc mondial ne sont pas dramatiques pour le Kenya, qui a ces dernières années durement souffert, consécutivement, des répercussions de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine puis de la crise inflationniste. Mombasa, son grand port, situé sur l’océan Indien et qui irrigue tous les pays voisins de l’hinterland, jusqu’en République démocratique du Congo, est préservé des attaques menées depuis mi-novembre 2023 en mer Rouge par les houthistes, qui ont très fortement réduit l’activité du canal de Suez.
« L’incidence a été très minime pour nous en raison de notre situation géographique », explique Elijah Mbaru, directeur général désigné de l’Association des agents maritimes kényans (KSAA), qui regroupe les grandes compagnies et nombre d’opérateurs de cette infrastructure-clé pour le pays, locomotive économique régionale de 55 millions d’habitants. Les cruciaux échanges Europe-Kenya ont continué, contournant l’Afrique via le cap de Bonne-Espérance, tandis que les bateaux qui relient l’Asie à l’Europe, et empruntent donc en temps normal le canal de Suez, ne font généralement pas étape au Kenya.
Mombasa, souligne KSAA, a même enregistré une progression : + 7 % sur les volumes totaux opérés entre les premiers trimestres 2023 et 2024 et, surtout, + 32 % s’agissant du conteneur, qui représente environ deux tiers de l’activité. Mais, là encore, ce sursaut n’est pas lié à la crise en mer Rouge (des reroutages de bateaux évitant les ports de la mer Rouge, par exemple), insiste M. Mbaru. « Ce qui augmente particulièrement, c’est le fret de transit à destination des régions des Grands Lacs, ces pays enclavés ayant tendance à préférer Mombasa à Dar es-Salaam, en Tanzanie », qui connaît des difficultés logistiques, note-t-il. Avant d’ajouter que la conjoncture macroéconomique s’est aussi améliorée, le shilling kényan s’étant récemment rétabli face au dollar, redynamisant les importations.
Des contretemps malheureux pour l’industrie locale En revanche, à l’image de la tendance mondiale, les prix du fret ont explosé dans la région. Un trajet Shanghaï-Mombasa coûtait 1 780 dollars (1 640 euros) par conteneur de 40 pieds (12,20 mètres) en octobre 2023, selon KSAA. Il atteint actuellement 5 000 dollars. Et la facture monte pour atteindre Kampala, Kigali ou encore Goma, en République démocratique du Congo. Pour Jason Reynard, directeur régional du logisticien AGL (anciennement Bolloré Logistics), ce surcoût n’est pas forcément dramatiquement visible sur les étals, étant réparti entre les milliers de produits contenus dans une « boîte ». Même s’il est vrai, note-t-il, que « tout coût additionnel est en partie, si ce n’est en totalité, répercuté in fine sur le prix payé par le consommateur », dans des pays où les budgets sont déjà très serrés. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Le commerce mondial a brusquement ralenti en 2023 Surtout, M. Reynard montre du doigt les conséquences pour l’industrie locale des délais engendrés par le reroutage d’une partie des navires via le cap de Bonne-Espérance, et les perturbations sur des routes maritimes normalement millimétrées. Des contretemps malheureux, notamment pour les exportateurs de produits frais, comme les fleurs ou les fruits et légumes, ou pour les usines. « Les délais peuvent aller de deux semaines à deux mois, dit-il. Si vous êtes un industriel kényan qui attend du matériel à une certaine date, vous pouvez être bloqué, en rupture de stock.
L’impact [sur les prix] est probablement plus grand que celui des surcoûts de transport. » Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Dans la Corne de l’Afrique, la crise en mer Rouge s’ajoute aux multiples chocs économiques Parmi les pays les plus pénalisés par cette crise figurent les nations enclavées, comme l’Ethiopie (plus de 123 millions d’habitants, dépendants pour leur approvisionnement de leurs voisins, Djibouti en tête), et surtout, plus au nord, l’Egypte. « Là-bas, on peut vraiment parler de catastrophe », juge Elijah Mbaru. Les revenus que Le Caire tire du passage du canal de Suez avaient culminé à un record de près de 9 milliards de dollars sur l’année fiscale 2022-2023, une précieuse rentrée de devises pour ce grand pays (110 millions d’habitants) en difficulté économique. Mi-février, le président, Abdel Fattah Al-Sissi, avait estimé la perte de revenus entre « 40 % et 50 % » en comparaison avec l’année précédente. Depuis, les autorités n’ont pas transmis de nouveaux chiffres, mais la crise en mer Rouge, elle, s’est installée.