« La fête est finie » : entretien avec le scénariste d’une BD consacrée à la surpêche et à l’exploitation des océans

 

Après des études de finance, j’ai passé un an dans la marine nationale comme chef de quart. Et en 2020, animé par une conscience écologique, j’ai décidé de me concentrer uniquement sur la protection des océans et de candidater à l’association Sea Shepherd. J’ai été pris pour une première mission afin de piloter des bateaux patrouilleurs de 55 mètres et j’ai adoré ça.

Il se trouve qu’à mon arrivée dans l’association, je venais également de signer chez Delcourt pour ma première BD « Le voyage intérieur ». Et c’est en patrouillant avec Sea Shepherd que j’ai réalisé que la surpêche et le pillage des mers étaient des sujets très forts, très visuels, totalement ignorés et qu’il fallait absolument les raconter.

 

« La surpêche en Afrique, ce sont 17.000 chalutiers chinois et européens »

 

L’Afrique de l’Ouest est-elle la seule zone concernée par la surpêche ?

Non, bien évidemment. Notre BD se concentre sur l’Afrique de l’Ouest parce que c’est dans cette zone que j’ai été en mission. Mais, la situation est identique dans l’océan Indien ou avec le Pacifique qui est encore plus proche de la Chine, pays qui pratique énormément de surpêche.

Cela étant, l’Afrique est un très bon exemple parce que c’est un continent avec des ressources conséquentes, ou qui du moins l’étaient… et qui est emblématique de la situation mondiale concernant l’exploitation des océans.

Beaucoup d’associations luttent-elles contre la pêche illégale ?

Malheureusement, non, très peu. Il existe quelques associations locales. Greenpeace possède quelques bateaux mais leur mission se porte plus sur la documentation. Au niveau global, Sea Shepherd est quasiment la seule. Et ils n’ont qu’une dizaine de bateaux.

La surpêche en Afrique, ce sont 17.000 chalutiers chinois et européens… C’est pour cette raison que j’ai lancé en parallèle une ONG Seastemik qui milite pour une réduction de la consommation de poisson qui reste la première source de destruction de la vie marine.

Justement, à ce niveau, que peut faire le citoyen ?

Les Français sont parmi les plus gros consommateurs de poissons au monde. 35 kg par personne et par an alors que la moyenne européenne est de 22 kg. Elle a été multipliée par 4 en soixante dix ans.

Il y a encore vingt ans, on mangeait du saumon à Noël parce que c’était cher et un met de fête. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, on est dans une phase d’industrialisation massive qui est en train de détruire des écosystèmes à force de surconsommation.

Actuellement, les grandes espèces de poissons, premières victimes de la surpêche, sont en train de disparaître. Une étude scientifique estime qu’en 2040, si les pressions humaines ne sont pas réduites rapidement, nos océans seront peuplés essentiellement par les méduses et les petits poissons.

Il faut que le consommateur ouvre les yeux et se dise que la fête est finie, que ce n’est plus possible de manger des sushis une fois par semaine, qu’il lui faut se tourner vers le local et qu’il réapprenne à consommer plus de végétal.

« La France n’a même pas un ministre de la Mer »

 

Quelle est la responsabilité des gouvernements ?

 

Enorme. Les politiques sont très forts pour s’engager, signer quantité de déclarations. Mais, ensuite pour mettre en place des mesures concrètes afin de réduire les impacts, c’est plus compliqué…

Il se passe d’ailleurs la même chose pour la pêche que pour le climat. En France, la pêche c’est 6 milliards d’euros annuels de chiffre d’affaires. Notre pays est la deuxième plus grosse puissance maritime au monde et nous n’avons même pas un ministre de la Mer, uniquement un secrétaire d’état…

Comme pour tous les sujets environnementaux, le coût immédiat est très élevé pour un gain uniquement futur. Transformer la pêche française nécessiterait des millions d’euros, exposerait le gouvernement à des manifestations massives. Prendre de telles décisions nécessite beaucoup de courage politique et le but, malheureusement est surtout, sans mauvais jeu de mots, de faire le moins de vagues possible… C’est pourtant absolument nécessaire de prendre des mesures drastiques pour protéger l’océan sans qui la vie sur Terre n’est pas possible

 

Cette situation dramatique est-elle inexorable ?

 

Non, il faut juste laisser l’océan tranquille. Il est extrêmement résiliant et les poissons produisent tellement d’oeufs que si on arrête de pêcher dans une zone, quelques années suffisent pour que la vie revienne.

Des études scientifiques ont montré que protéger des aires marines permettaient d’y faire revenir très vite la biomasse. Par exemple, en 2005, les populations d’anchois étaient proches de l’effondrement dans le golfe de Gascogne. Durant cinq ans, des politiques drastiques de réduction de pêche à l’anchois ont été appliquées et les populations se sont régénérées.

La couverture de \

« Pillages », Maxime De Lisle et Renan Coquin, Delcourt, 120p, 26,50€

Il existe un engagement, le 30×30, une campagne mondiale visant à protéger 30% des océans du monde d’ici 2030 grâce notamment à la mise en place d’aires marines hautement protégées, ce qui permettrait de restaurer la biodiversité dans ces zones.

Plus de 100 pays se sont engagés à soutenir cet objectif. Pour ma part, je coordonne un projet, l’IPOS pour International Panel for Ocean Sustainability, un nouveau programme au sein des Nations Unis pour aller accompagner, conseiller les chefs d’état sur leurs décisions concernant la protection des océans.

Pas seulement la surpêche, mais également tout type de pollutions, plastique, hydrocarbure etc. Le but consiste à leur fournir toute la science disponible, spécialement aux pays émergents qui n’ont pas la chance de disposer du CNRS ou d’instances de recherche puissantes et de conseillers spécial océan.

Source: sciences et avenir