Environnement : les nouveaux carburants qui pourraient transformer l’industrie maritime
3 mai 2024
3 mai 2024
D’après les données du rapport du GIEC 2022, « le transport maritime représente 16 % des émissions du fret et 70 % des tonnes-kilomètre transportées (c’est-à-dire le déplacement d’une tonne de marchandises sur un kilomètre) » nous rappelle cet article de Greenly. Comme celui de l’aviation, le secteur est fréquemment pointé du doigt en raison de son très lourd impact écologique.
La plupart des porte-conteneurs circulant sur nos océans tournent au fioul lourd (HFO), un résidu de la distillation du pétrole brut bien moins cher que les carburants plus légers tels que le diesel maritime ou le gaz naturel liquéfié (GNL). Un carburant que Morten Bo Christiansen (acteur clé dans la lutte contre les émissions de carbone au sein de l’industrie du transport maritime et vice-président senior chez A.P. Moller-Maersk) dépeint comme « le fond du baril ».
De nouvelles réglementations mises en place par l’Organisation maritime internationale visent à réduire les émissions de soufre et de carbone, ce qui mène les acteurs du secteur à explorer la viabilité de carburants alternatifs.
Prenons l’exemple du Laura Maersk (voire vidéo ci-dessous), un géant des mers à 160 millions de dollars qui a pris le large en 2023 pour sillonner la mer Baltique. Ce navire se distingue de ses prédécesseurs par une particularité : il fonctionne exclusivement au méthanol, un composant organique qui est aussi le plus simple des alcools.
Contrairement aux carburants fossiles traditionnels, le méthanol offre des avantages environnementaux considérables lorsqu’il est produit de manière durable. En effet, sa fabrication peut s’effectuer par la capture de gaz provenant des sites d’enfouissement ou par des processus alimentés par des énergies renouvelables. Cette approche nouvelle permet de réduire considérablement les émissions polluantes.
Il n’est pas parfait, mais reste tout à fait envisageable en tant que substitut au HFO. L’engouement pour le méthanol dans le domaine du transport maritime est plutôt palpable : plus de 200 navires compatibles avec ce carburant alternatif sont actuellement en commande à travers le monde.
L’ammoniac se présente comme un carburant alternatif avec, lui aussi, du potentiel. Il est l’une des substances les plus synthétisées au monde et est utilisé dans de nombreux domaines : agriculture, industrie chimique, réfrigération, traitement des eaux et également comme vecteur énergétique. Son gros avantage : de nombreux ports à travers le monde disposent déjà de structures d’approvisionnement en ammoniac.
Toutefois, son adoption dans le transport de fret maritime peut être un peu complexe, notamment en raison de sa toxicité et les difficultés liées à sa combustion. En effet, celui-ci réclame de très hautes températures (autour de 650 °C, contre environ 60 °C pour le HFO). Néanmoins, Lars Tingbjerg Danielsen de MAN Energy Solutions, souligne que de nombreux efforts sont déployés afin de passer outre ces obstacles.
L’un des axes majeurs d’amélioration actuels est le développement de moteurs plus performants et plus fiables permettant une combustion de l’ammoniac à haute température. Il nécessite des moteurs très lents pour être brûlé correctement, sinon celui-ci peut s’échapper. Le risque de contamination est alors assez important. L’objectif est de stabiliser ce processus dans les moteurs lents à deux temps des grands navires.
Pour cela, l’entreprise de Danielsen étudie l’allumage de l’ammoniac dans les blocs moteur à l’aide de caméras à haute-vitesse. Cela permet aux ingénieurs de comprendre et d’optimiser les processus d’allumage et de combustion en maximisant leur sécurité.
Sur le papier, l’hydrogène semble être le carburant alternatif idéal. En effet, sa combustion émet uniquement de la vapeur d’eau (qui reste tout de même un gaz à effet de serre) et il apparaît comme irréprochable d’un point de vue écologique.
Dans la réalité, l’utiliser dans le transport maritime revient à se heurter à des obstacles majeurs, tant sur le plan technique que sur le plan économique. Christiansen souligne que bien que l’hydrogène puisse être produit de manière renouvelable (hydrogène vert), ses propriétés physiques compliquent grandement son exploitation. Le problème de l’hydrogène, c’est qu’il s’évapore à une température très basse (-235 °C).
Pour le liquéfier et le maintenir stable, d’énormes quantités d’énergie sont nécessaires. Même si de nombreuses entreprises travaillent actuellement sur des alternatives au stockage de l’hydrogène (sous forme de barre solide ou en poudre par exemple), la solution parfaitement adaptée n’existe pas encore.
En plus de cela, la molécule d’hydrogène est l’une des plus petites molécules existantes. Cela signifie qu’il peut s’échapper très facilement par la moindre fissure, posant d’importants problèmes d’efficacité et de sécurité. Malgré les efforts déployés par Maersk pour explorer son plein potentiel, l’hydrogène s’est avéré plus coûteux que le méthanol et l’ammoniac. Ces derniers sont donc les candidats les plus prometteurs pour le moment.
Pour l’industrie maritime, la situation presse : elle doit réduire ses émissions de carbone d’au moins 30 % d’ici 2028 pour respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. Simon Bullock, spécialiste du climat et du transport maritime, insiste sur l’urgence de la situation : le moindre retard rendrait « presque impossible » pour les compagnies maritimes d’atteindre leurs objectifs de décarbonation. Un constat qu’il a partagé dans cette publication. L’horloge tourne et l’adoption d’alternatives par les armateurs s’avère essentielle.