La tête dans les étoiles… de mer

 

On parle souvent des « bras » de ces animaux. Mais le terme n’est pas tout à fait exact. En cartographiant l’expression des gènes du développement dans différentes régions du corps d’étoiles de mer, des scientifiques ont révélé une structure surprenante.

Les étoiles de mer figurent sans nul doute parmi les animaux les plus élégants du monde marin. Outre les couleurs vives qu’elles revêtent, leur esthétisme repose en grande partie sur la symétrie parfaite de leur corps, composé de cinq « bras » ou plus. C’est du moins la description qu’on en fait dans le langage courant. Car ces branches ne seraient en réalité pas des « bras », ni des « jambes ». Telle est la conclusion d’une étude menée par Laurent Formery, chercheur français à l’université Stanford, en Californie, avec ses collègues. À quelle partie du corps appartiennent donc les branches des étoiles de mer ? Les scientifiques font part de leur découverte en dévoilant la première cartographie complète des régions de l’étoile de mer Patiria miniata, qui peuple le Pacifique.

L’anatomie des étoiles de mer et la nôtre sont très différentes. Comme la plupart des animaux, le corps humain présente visuellement une symétrie bilatérale, c’est-à-dire qu’il est composé de deux moitiés identiques (droite et gauche) avec une tête, un tronc et des membres. À l’inverse, ces échinodermes possèdent une symétrie quintuple : leurs cinq branches rayonnent à partir d’un point central où se trouve la bouche en formant des copies identiques. Un peu comme une fleur à cinq pétales. Mais cette symétrie particulière, dite « radiaire », n’apparaît pas dès la naissance. Au début de son développement, l’étoile de mer est une larve à symétrie bilatérale qui navigue librement dans l’océan. Elle n’acquiert sa symétrie radiaire qu’à partir du moment où elle se métamorphose et tombe sur le fond marin. Lors du passage à l’âge adulte, il s’opère donc un changement radical sur le plan corporel avec une question persistante : où se retrouvent la tête, le tronc et les membres ?

Pour répondre à cette question, les chercheurs se sont intéressés aux gènes des étoiles de mer et plus particulièrement aux « gènes du développement ». « [Ils] s’expriment chez de nombreux animaux, y compris les insectes. Leur particularité est qu’ils contiennent les instructions génétiques nécessaires à la formation de chaque partie du corps », explique Laurent Formery. Autrement dit, les gènes du développement déterminent à quelle région corporelle (tronc, tête, membres) appartient chacune des cellules d’un animal. En cartographiant leur expression chez les étoiles de mer, les biologistes espéraient donc mieux comprendre l’organisation anatomique de ces animaux.

Pour ce faire, ils ont d’abord découpé les branches d’un spécimen en plusieurs « tranches ». Ils ont ensuite identifié les gènes du développement qui s’exprimaient dans chacune des sections obtenues grâce à une technique de séquençage génomique, la tomographie à ARN. Cela leur a permis de construire des modèles informatiques 3D de l’expression des gènes du développement répartis sur toute la longueur du corps des étoiles de mer.

Structure interne étoile de mer

Cartographie des organes internes de l’étoile de mer obtenue par tomographie aux rayons X, avec le système digestif (en jaune), le système nerveux (en bleu), les muscles (en rouge) et le système vasculaire (en violet). Les chercheurs ont également analysé l’expression des gènes dans l’ectoderme (les tissus qui donnent naissance à la peau et au système nerveux). Seuls les gènes de développement associés à la tête sont exprimés.

À la lecture des résultats, la surprise fut de taille. Contre toute attente, les gènes nécessaires au développement du tronc, les gènes Hox, n’étaient exprimés dans aucune région de l’ectoderme (le tissu qui donne naissance à la peau et au système nerveux) des animaux. Ce qui suggère que les étoiles de mer sont totalement dépourvues de tronc (et, par extension, de membres). En revanche, les gènes impliqués dans la formation de la tête s’exprimaient non seulement dans la partie centrale des individus, mais jusque dans les cinq branches.

À la manière des plus effroyables créatures mythologiques, telles que le cerbère à trois têtes ou l’hydre de Lerne à neuf têtes, affrontée par Hercule lors de ses douze travaux, les étoiles de mer seraient-elles donc polycéphales ? « Pas vraiment, souligne Laurent Formery. Nous pensons que ces multiples têtes sont en réalité des excroissances de la tête centrale. » Une révélation qui, de fait, pousse à repenser l’histoire évolutive de ces animaux marins. Une hypothèse est que les étoiles de mer ont évolué à partir d’un ancêtre bilatéral en perdant leur tronc. « On pense qu’au moment de leur métamorphose, au lieu de développer un tronc comme le font leurs lointains cousins dotés d’une symétrie bilatérale, ces animaux réorganisent leurs tissus antérieurs correspondant à la tête. Cela donne un animal sans tronc avec plusieurs extensions encéphaliques capables de ramper au fond des océans », explique le chercheur.

Source: pour la science