Le marché carbone européen étendu au transport maritime : « Nous avons les outils, mais il faut une volonté de contraindre »
12 janvier 2024
12 janvier 2024
Depuis le 1er janvier 2024, il y a du changement en mer. L’Union européenne a décidé d’étendre progressivement son système d’échange de quotas d’émission (SEQE) au transport maritime.
Il faut dire que ce secteur, longtemps resté hors des viseurs des décideurs politiques de par sa dimension transfrontalière et commerciale, représente, au même titre que l’aviation, une part importante des émissions. À lui seul, il comptabilisait environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde en 2022.
Mais cela ne s’arrête pas là. Avec la mondialisation, le fret maritime a le vent en poupe et ne cesse de prendre de l’ampleur. L’Organisation maritime internationale (OMI) table sur un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050.
En juillet 2023, une nouvelle stratégie de lutte contre les gaz à effet de serre est adoptée au niveau international, au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI). L’objectif ? Rendre le secteur du transport maritime climatiquement neutre d’ici 2050. D’ici 2025, les premières mesures internationales concrètes doivent être lancées.
Toutefois, l’Europe a déjà élaboré des mesures régionales plus tôt, en incluant notamment le transport maritime dans son système d’échange de quotas d’émission à partir de 2024, dans le cadre duquel les navires devront acheter des droits pour leurs émissions.
Ce système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE n’est pas neuf. Créé en 2005 – mais remodelé depuis – il s’applique déjà à toute une série de secteurs dont l’aviation, l’industrie et les producteurs d’énergie.
Comment cela fonctionne ? L’Union européenne fixe chaque année les émissions maximales et vend des quotas d’émission dans le cadre d’un système de vente aux enchères. Pour chaque tonne de CO2 émise par une entreprise, celle-ci doit acheter des quotas d’émission. Si une entreprise dépasse ses quotas, elle peut soit en racheter à une autre qui n’aurait pas utilisé les siens soit payer une amende.
Chaque année, le nombre de quotas disponibles diminue. Le but est d’encourager les émetteurs à réduire leurs émissions en utilisant des carburants alternatifs ou en étant plus efficaces sur le plan énergétique.
« Ce système a fait ses preuves et en même temps non« , constate Axel Coussement, professeur à l’Ecole polytechnique de Bruxelles et spécialiste en transition énergétique industrielle et des transports. « On sait qu’il fonctionne, que l’Union européenne a les outils pour appuyer là où ça fait mal, mais il faut aussi qu’il y ait une réelle volonté de l’Europe d’appuyer là où ça fait mal, c’est-à-dire de diminuer les quotas et d’augmenter les amendes de sorte à ce que les entreprises modifient réellement leur stratégie énergétique. Pour le moment, lorsque les industriels font leurs calculs, cela leur revient parfois moins cher de racheter des quotas ou payer des amendes plutôt que d’investir dans une nouvelle technologie permettant de décarboner. Nous avons donc les outils, mais il faut une volonté de contraindre. »
C’est dans cette idée qu’une réforme de ce système a récemment été votée. Elle prévoit notamment une accélération du rythme de réduction des quotas proposés, avec d’ici 2030 une baisse de 62% par rapport à 2005, contre un objectif précédent de 43%.
Concernant le transport maritime à proprement dit, ce mécanisme va s’étendre de manière progressive. Pour l’instant, seuls les plus grands navires sont concernés. Désormais, lorsqu’ils quitteront ou arriveront dans un port européen, ils devront acheter des quotas d’émission, quel que soit leur pavillon.
Plus précisément, ces navires devront payer pour 50 % de leurs émissions pour les voyages d’un port européen vers un port hors d’Europe ou vice versa. Cela permettra au pays de départ ou d’arrivée non-membre de l’UE de décider des mesures à prendre pour les émissions restantes. Ils devront en revanche payer 100% des émissions pour les voyages entre deux ports européens.
Il faut un ‘driving’ politique.
« On voit donc aussi qu’il y a un problème géopolitique« , analyse Axel Coussement. « Le risque est que des entreprises décident de livrer dans des ports hors UE et poursuivent le transport par la route, ou décentralisent leurs activités. Il y a donc réellement un équilibre à trouver via un ‘driving’ politique pour ne pas fragiliser les ports européens.«
Pour faciliter la transition, le système entrera en vigueur par étapes. Dans un premier temps, seuls les navires de charge et les navires à passagers devront acquérir des quotas d’émission; à partir de 2027, les grands navires offshore seront également inclus dans le système. Pour l’instant, les navires plus petits sont exemptés, mais ils pourraient également être inclus à l’avenir.
Dernier versant de ce mécanisme : le reversement des recettes de la vente de ces quotas d’émission. Une partie sera reversée aux États membres afin qu’ils investissent dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et d’autres technologies visant à réduire les émissions. Une autre partie de l’argent ira au Fonds d’innovation et au Fonds de modernisation. Le premier finance des projets de développement de nouvelles technologies visant à réduire les émissions, tandis que le second aide les pays plus pauvres à opérer leur transition énergétique.
Après le secteur maritime, l’Union européenne prévoit d’étendre le marché carbone aux émissions des vols aériens intra-européens, et à partir de 2028 aux sites d’incinération de déchets, sous réserve d’une étude favorable. Un second marché du carbone (ETS2) est aussi prévu pour le chauffage des bâtiments et les carburants routiers.