De Méliès à Spielberg, la mer fait son cinéma au musée de la Marine

 
 
La mer au cinéma : tel est le thème passionnant de la toute première exposition du musée national de la Marine, qui vient de rouvrir ses portes après rénovation complète ! Propices à l’aventure et au drame, les vagues puissantes et les profondeurs mystérieuses des océans inspirent les réalisateurs depuis toujours. Dessins de décors, maquettes, affiches, costumes, accessoires… ; des premières lanternes magiques au réalisme de Jacques Perrin, en passant par les fééries de Méliès, Titanic et Les Dents de la mer, cette déferlante de plus de 300 œuvres et objets-cultes, conçue avec la Cinémathèque française, nous plonge dans des eaux gorgées de merveilles et de dangers…

La mer n’a pas attendu l’invention du cinéma pour emporter le public. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les lanternes magiques et autres dispositifs précurseurs du septième art (dioramas, panoramas, théâtre optique, zootrope…) se plaisent à immerger le spectateur dans des vues maritimes avec tempêtes, batailles et monstres fantastiques. L’exposition s’ouvre sur ces merveilleux balbutiements du grand écran, avec des baleines en carton pour théâtre d’ombres, ou encore de superbes plaques de verre pour lanterne magique, ornées de scènes peintes détaillant des navires pris au piège de spectaculaires icebergs…

Au XIXe siècle, alors que le développement du chemin de fer permet progressivement au public et aux artistes de découvrir la mer, les premiers photographes cherchent à capter le mouvement des vagues. Comme Gustave Le Gray, dont la nouvelle technique de double exposition permet de figer plus finement l’agitation scintillante de la surface marine. L’une de ses photographies est présentée aux côtés d’un tableau de Gustave Courbet, La Vague (1869), qui saisit l’écume au vol du bout de son pinceau, et d’une magnifique estampe d’Henri Rivière qui, dans le sillage d’Hokusai, suspend dans les airs un panache de fines gouttelettes blanches…

 
À gauche : « Mer Méditerranée, Mont Agde » de Gustave Le Gray, vers 1856 ; À droite : « La Vague » de Gustave Courbet, 1869
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À gauche : « Mer Méditerranée, Mont Agde » de Gustave Le Gray, vers 1856 ; À droite : « La Vague » de Gustave Courbet, 1869

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À gauche : © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt ; À droite : © Domaine public, Musée des beaux-arts de Lyon

Fantaisies sous-marines

 

 
Etienne Jules Marey, Ondulations des nageoires de la raie
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Etienne Jules Marey, Ondulations des nageoires de la raie, 1892

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© Collection La Cinémathèque française

 

Le scientifique Étienne-Jules Marey invente, quant à lui, la révolutionnaire « chronophotographie », grâce à laquelle il enregistre image par image les ondulations d’une vague ou des nageoires d’une raie : prémices du cinéma des frères Lumière, lancé en 1895 ! Mais les fonds marins, qui commencent tout juste à être explorés au cours du XIXe siècle – sans parler des abysses, inatteignables jusqu’en 1960 –, sont encore bien mystérieux et alimentent tous les fantasmes. Il faudra attendre 1916 pour que le public, émerveillé, les découvre pour la première fois sur un écran grâce aux frères Williamson, descendus sous l’eau à bord de leur imposante « photosphère ».

En attendant, il faut rêver ces paysages des profondeurs. C’est donc une mer fantasmagorique et féérique que proposent, entre 1897 et 1913, les films de Georges Méliès, tournés entièrement en studio à l’aide de trucages astucieux et de décors bricolés peints à la main. Un bel ensemble de photographies de plateau et de dessins de décors nous plongent dans Le Royaume des fées (1903), qui regorge d’éléments surréalistes dont une baleine-omnibus, et Deux Cents Milles sous les mers (1907), avec ses grottes fantastiques, ses coquillages géants, ses sirènes et ses crabes gigantesques…

 

 
Dessin de Georges Méliès pour « Le Royaume des fées »
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Dessin de Georges Méliès pour « Le Royaume des fées », 1903

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© Collection La Cinémathèque française

 

Une mer onirique… et effrayante

Un siècle plus tard, le cinéaste Wes Anderson, connu pour son esthétique vintage, nostalgique et léchée, reviendra à cette veine onirique pour La Vie aquatique (2004), une satire des films du commandant Cousteau entièrement filmée en studio, où de fausses tortues avec caméras intégrées côtoient des poissons psychédéliques et un sympathique requin-jaguar de vingt-cinq mètres de long ! Un film amusant qui n’est cependant pas dénué de violence…

« La mer au cinéma est ambivalente, et souvent effrayante », rappellent les commissaires. « Même si elle offre un cadre infini aux personnages, les navires y sont des sortes de prisons flottantes, à la merci des éléments et des attaques extérieures, qui donnent lieu à des huis clos intenses ». Tempêtes, batailles, piraterie, rapts… ; les films marins du XXe siècle brossent un univers où les femmes, assez rares, sont souvent des prostituées ou des proies, et où la violence des hommes fait écho à celle des éléments déchaînés…

Quand ils ne mettent pas en scène des monstres terrifiants, comme la pieuvre géante en caoutchouc de Vingt Mille Lieues sous les mers de Richard Fleischer (1955), adaptation du célèbre roman d’aventures de Jules Verne, ou l’énorme requin des Dents de la mer de Steven Spielberg (1975), dont la silhouette grotesque en carton-pâte trône au cœur de l’exposition, ces films iodés terrorisent par des huis clos angoissants à bord de sous-marins qui inspirent la claustrophobie (À la poursuite d’Octobre rouge de John McTiernan, 1990 ; Le Chant du loup d’Antonin Baudry, 2019…) et, défiant une pression mortelle, évoluent plusieurs centaines de mètres sous la surface, sans pouvoir voir l’ennemi ni les dangers extérieurs !

 

 
À gauche : Affiche du film « Le chant du loup » de Antonin Baudry, 2019 ; À droite : Vue de l’exposition « Objectif mer : l’océan filmé »
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À gauche : Affiche du film « Le chant du loup » de Antonin Baudry, 2019 ; À droite : Vue de l’exposition « Objectif mer : l’océan filmé »

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À gauche : © Allociné ; À droite : © Musée national de la Marine

 

Tout au long du parcours, de nombreuses affiches de films offrent un beau panorama des « motifs et des poncifs de la mer au cinéma » ; tout en permettant de citer un maximum de longs-métrages. Car si certains, comme Titanic de James Cameron (1997), ont droit à une salle entière, d’autres, comme Le Grand Bleu de Luc Besson (1988), ne sont évoqués que par ce biais. La faute à un sujet si « vaste » qu’il « aurait fallu 6 000 m² pour être exhaustif ! ».

Des costumes et accessoires cultes

Aux affiches s’ajoutent de nombreux accessoires emblématiques : des armes utilisées dans de célèbres films de piraterie, le costume de Jack Sparrow dans Pirate des Caraïbes (2003–2017), le gilet de sauvetage et le fameux sifflet de Titanic, ainsi que les tenues de Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, ou encore les combinaisons des sous-mariniers du Chant du loup.

 

 
Caméra sous-marine conçue par Panavision pour le film Titanic, 1997, de James Cameron
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Caméra sous-marine conçue par Panavision pour le film Titanic, 1997, de James Cameron

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© Collection La Cinémathèque française

 

Sans oublier de passionnants exemples de matériel filmique. La caméra spécialement modifiée par Panavision pour les prises de vue sous-marines de Titanic y côtoie un tube télescopique conçu pour filmer à l’intérieur d’un sous-marin, ou encore la torpille futuriste à plusieurs millions d’euros conçue pour filmer les poissons du film Océans de Jacques Perrin (2009)… Qui n’a finalement pas servi car sa forme les effrayait ! Le parcours se termine par un hommage sur grand écran à ce long-métrage spectaculaire primé en 2011, pour lequel Perrin s’est fait attacher à la proue des navires pour filmer en pleine tempête : une symbiose magistrale entre documentaire et film d’aventures !

Source: beauxarts