« Monstres des mers » : des ONG alertent sur la présence massive de chalutiers géants au large des côtes françaises

 

La saison du hareng a bel et bien débuté. Ces dernières semaines, les ONG Sea Sheperd et Bloom, spécialisées dans la défense des océans, ont dénoncé un nombre important de chalutiers géants au large des côtes françaises. Des navires de plus de 80 mètres spécialisés dans la pêche industrielle. Dès le 29 novembre, Bloom avait ainsi alerté sur le retour de ce qu’elle qualifie de « monstres des mers ». 

Le 4 décembre, c’est Sea Sheperd qui mettait en avant la présence massive de ces navires, dénombrant jusqu’à neuf chalutiers géants pêchant simultanément dans la Manche, dont six dans les eaux françaises, tous ayant des capacités de pêche comprises entre 200 et 400 tonnes de poissons par jour et par navire, soit l’équivalent des captures réalisées par 1000 navires issus de la pêche artisanale.

Trop gros et trop nombreux ?

Si ces « super-trawlers » sont régulièrement pointés du doigt, c’est avant tout pour les quantités de poissons qu’ils sont capables de prélever dans la mer à chaque remontée de filet. « Ces bateaux sont dans la démesure. Ils mènent des opérations de pêche plusieurs fois par jour ou la nuit et remontent, à chaque fois dans un chalut, l’équivalent de la portion journalière alimentaire de 30.000 phoques« , met en avant auprès de TF1info, Lamya Essemlali, porte-parole de Sea Sheperd France.

Une situation également dénoncée par Philippe Calone, un pêcheur artisan du côté de Ouistreham (Calvados). « Je ne suis pas contre la pêche industrielle, c’est juste qu’il y a trop de bateaux. Depuis 10 ans, l’effort de pêche s’est intensifié et on a de plus en plus de bateaux industriels qui viennent dans la Manche. Ce n’est plus possible, au bout de deux mois d’activité, ils ont tout fracassé », déplore-t-il auprès de TF1info. D’autant que certains de ces « super-trawlers » ont été repérés en train de pêcher dans des aires marines protégées ou des zones Natura 2000. 

Selon Bloom, le Prins Bernhard, appartenant au français France Pélagique, a ainsi passé 78% de son temps de pêche dans sept aires marines protégées entre le 26 novembre et le 2 décembre, soit un total de 62 heures de pêche dans ces sites sensibles. Des pratiques qui ne sont pas interdites, mais qui sont largement dénoncées par les ONG.

Quotas et conccurence

Leur présence fait également débat pour leur impact sur la pêche artisanale. Car ces bateaux sont autorisés à opérer proche des côtes, où les navires de moins de 25 mètres mènent aussi leurs activités. « Pour un bateau battant pavillon français, il peut s’approcher aussi proche de la côte qu’il le souhaite, et pour un pavillon étranger, en raison des droits historiques, ils peuvent pêcher entre 6 et 12 milles nautiques de la côte, c’est-à-dire environ 10 km », détaille Laetitia Bisiaux, chargée de projet chez Bloom. 

« Ce sont des zones très proches des côtes, qui sont pêchées par les pêcheurs artisans qui n’ont pas la possibilité d’aller ensuite aussi loin que les navires usines. Donc, une fois que les écosystèmes ont été dévastés près de chez eux, il n’y a plus rien« , fustige la chercheuse quand Sea Sheperd donne l’exemple du navire Afrika, un bateau de 126 mètres battant pavillon néerlandais, qui a récemment mené, en 24 heures, six opérations de pêche sur une zone très restreinte de la Manche, à moins de 12 milles des côtes de Boulogne-sur-Mer. 

 
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D’autant plus difficile pour les pêcheurs artisanaux que ces navires sont accusés d’accaparer la grande majorité des quotas, distribués chaque année par l’Union européenne sur les espèces qu’ils pêchent. « Les petits pêcheurs côtiers sont souvent obligés de se rabattre sur les espèces hors quota, parce que ces derniers sont attribués aux super-trawlers », assure Lamya Essemlali, quand Philippe Calone pointe les problèmes provoqués par cette concurrence : « En tant que pêcheurs artisanaux, on manque de quotas pour les harengs par exemple. On en pêche, mais pas autant que ces navires, d’autant que de notre côté, on en laisse pour les prédateurs. Car pour nous, les harengs que nous laissons servent à nourrir d’autres poissons comme les bars et les lieus jaunes que l’on va ensuite pouvoir pêcher », explique le professionnel.

La biodiversité au coeur des enjeux

D’où les demandes des ONG et de nombreux pêcheurs artisanaux de revoir la politique des quotas pour mieux prendre en compte l’impact des chalutiers géants, encore mal connu sur l’ensemble de la chaîne alimentaire marine. « On demande un moratoire sur cette pêche tant que l’on n’a pas d’études indépendantes qui permettent de déterminer réellement son impact sur les écosystèmes », réclame Lamya Essemlali. Un constat partagé par Philippe Calone qui appelle à prendre en compte les « écosystèmes très complexes en mer ». « Il faut que l’on arrête de réfléchir espèce par espèce et que l’on prenne en compte les relations entre les différentes espèces, qui sont complexes », insiste le pêcheur.

La pêche industrielle est par exemple soupçonnée d’avoir un impact sur la mortalité des dauphins le long des côtes atlantiques françaises, pris dans les filets des artisans pêcheurs. « Les scientifiques ont des suspicions sur l’impact de ces engins sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, de l’écosystème, parce qu’ils surpêchent des poissons qui sont des proies pour les prédateurs marins avec comme impact soupçonné d’avoir provoqué le déplacement des populations de dauphin sur les côtes », précise Lamya Essemlali. 

Une prise en considération globale du fonctionnement de l’océan qui permettrait ainsi d’anticiper « les effets en cascade de la raréfaction d’une espèce de poisson, de l’effet que ça va avoir pour les prédateurs et sur l’ensemble ensuite du réseau alimentaire », estime la porte-parole de Sea Sheperd car « tout est extrêmement lié dans les océans et ces chalutiers géants viennent bouleverser des écosystèmes particulièrement fragiles ».

Source: TF1