« Les dauphins piégés dans les filets au fond de l’océan, sont certainement attirés par leurs proies »

 

Ils ont sans doute fait mouche dès leur coup d’essai. Les scientifiques de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), de La Rochelle Université, du CNRS et de l’Université de Bretagne Occidentale, viennent de présenter les résultats de leur dernière campagne d’observation hivernale sur les captures accidentelles de dauphins* dans le golfe de Gascogne, menée entre janvier et mars dernier.

Pour la première fois, ils ont utilisé un drone autonome de surface, DriX, de la société Exail, qui a parcouru en février 1.600 km dans une zone située entre Royan (Charente-Maritime) et Noirmoutier (Vendée). Le drone était équipé d’hydrophones pour détecter les dauphins, et d’échosondeurs pour détecter les petits poissons pélagiques dans la colonne d’eau. Celui-ci a permis d’observer la présence de grands bancs de petits pélagiques (sprats et sardines) organisés en couches localisées très près du fond, ce qui a surpris les scientifiques qui n’avaient encore jamais constaté ce comportement. Et ce qui pourrait expliquer que les dauphins se retrouvent piégés dans les filets à sole, eux-mêmes posés au fond de l’océan. 20 Minutes a interrogé Mathieu Doray, chercheur en écologie pélagique et halieutique à l’Ifremer.

 

Qu’est-ce que le projet Delmoges exactement ?

 

Le projet Delmoges (DELphinus MOuvements GEStion) est un projet collaboratif porté par La Rochelle Université, le CNRS et l’Ifremer en partenariat avec l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Pour la première fois nous avons utilisé, durant le mois de février, un drone et cela a été une belle réussite, grâce à ses sonars qui permettent de détecter tous les bancs de poissons qui passent au-dessous, jusqu’à 300 mètres de profondeur. Les ultrasons se propagent en effet beaucoup mieux dans l’eau que la lumière.

 

Et ce drone a donc permis d’observer des bancs de petits poissons, collés au fond de l’océan ?

 

C’est cela, et c’est la première fois que l’on observait ces bancs très denses de petits poissons pélagiques très proches du fond. Cela a été une vraie surprise par rapport à ce que l’on observe habituellement lors de nos campagnes scientifiques dans le golfe de Gascogne, au printemps et à l’automne. Et nous avons tout de suite senti que ce phénomène pouvait avoir un rôle dans le processus de capture accidentelle de dauphins dans les filets de pêche.

 

Comment expliquez-vous la présence de ces bancs de petits poissons au fond de l’océan ?

Nous avons deux hypothèses. Il pourrait s’agir d’un comportement des poissons qui serait spécifique à l’hiver, car c’est une saison où il y a moins de nourriture et peut-être qu’ils ralentissent leur activité en allant se poser sur le fond. Ou bien il s’agirait d’une réaction pour échapper à des prédateurs, comme les dauphins ou les thons rouges.

 

Et ce phénomène favoriserait la capture des dauphins dans les filets…

 

C’est notre hypothèse. Chaque année lors des pics de capture accidentelle de dauphins, en février, on retrouve des dauphins capturés dans des filets à sole qui sont posés à moins d’un mètre du fond de l’océan, ce qui représente une énigme, car le dauphin vit généralement plus proche de la surface, où il a besoin de retourner régulièrement. Avec ces grandes quantités de petits poissons pélagiques, qui sont des proies pour les dauphins, et que l’on a observés près du fond, on tient sans doute un début d’explication, car les dauphins sont certainement attirés par ces proies et peuvent se retrouver pris dans les filets. Cela peut varier d’une année sur l’autre, mais cette année une majorité des captures de dauphins s’est faite dans des filets à sole.

 

Comment va être utilisée cette étude, des mesures vont-elles être prises ?

Nous travaillons pour sortir d’ici à l’année prochaine des cartes de risque, qui vont intégrer à la fois la distribution des dauphins, de leur proie et de la position des filets, pour définir les zones les plus à risque dans le golfe de Gascogne, ce qui pourrait permettre d’affiner les fermetures spatiotemporelles décidées par l’Etat. Le but de ce projet est bien de prendre les mesures de gestion les plus appropriées pour réduire ces captures accidentelles tout en préservant l’activité de pêche.

Source: 20 minutes