Exploitation des abysses : le code minier renvoyé à 2025
26 juillet 2023
26 juillet 2023
Toujours pas en mesure de publier des règles du jeu pour la collecte des minéraux situés sur le plancher des océans, l’Autorité internationale des fonds marins ouvre une période de grande incertitude juridique.
L’avenir des grands fonds marins ne fait décidément pas consensus au sein de la communauté internationale. Réuni depuis deux semaines à Kingston, capitale de la Jamaïque, le conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui rassemble à tour de rôle 36 de ses 167 Etats membres, n’a pas été en mesure d’aboutir, vendredi 21 juillet, à l’élaboration d’un code minier destiné à encadrer l’extraction sous-marine des métaux. Au terme de pénibles négociations à huis clos, l’adoption d’un tel texte, en cours de rédaction depuis maintenant dix ans, a été reportée à « la trentième session de l’Autorité », en 2025.
Initialement, le code minier aurait dû être prêt cet été, afin d’imposer enfin des règles juridiques, techniques et environnementales aux sociétés qui ambitionnent de remonter à la surface des océans des matériaux convoités par de nombreux secteurs industriels, notamment celui des batteries. Lithium, nickel, manganèse, cuivre, plomb, cobalt ou mercure, ces trésors reposent à des profondeurs comprises entre 200 mètres et 6 kilomètres, sous forme de nodules semblables à de grosses boules de pétanque. Les ONG sont d’autant plus déçues par ce report que l’horizon de 2025 n’est qu’un « objectif indicatif », ainsi qu’a tenu à le préciser le Mexicain Juan José González Mijares, qui préside actuellement le conseil de l’AIFM.
Ce nouveau renvoi entérine la séparation des membres de l’organisation sous tutelle de l’ONU en deux camps : d’une part, celui des pays partisans de l’exploitation des abysses, comme la Chine, l’Inde, la Russie, la Belgique, la Norvège et quelques micro-Etats insulaires comme la République de Nauru, en Micronésie ; d’autre part, celui des pays qui s’y opposent fermement, comme la France, ou qui préfèrent temporiser, une vingtaine à ce stade, au nom du principe de précaution. Parmi eux, le Chili, le Panama, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne, l’Allemagne et des Etats du Pacifique comme les Fidji, les Samoa, les Palaos, le Vanuatu, rejoints ces dernières semaines par le Canada, l’Irlande, la Suède, la Suisse et le Brésil.
La question est désormais de savoir si, en l’absence de code minier, un pays peut soumettre à l’AIFM une demande d’exploitation à grande profondeur, alors que celle-ci ne délivre, depuis sa création en 1994, que des permis d’exploration. La République de Nauru, dont la population est estimée à 10 000 habitants, estime que oui. « Nous ne sommes plus dans un scénario de “qu’est-ce qui se passerait si”, mais de “et maintenant, qu’est-ce qui se passe” », a souligné cette semaine l’ambassadrice de Nauru, Margo Deiye. Celle-ci a d’ailleurs assuré que son gouvernement solliciterait « bientôt » un contrat d’extraction pour la firme Nauru Ocean Resources Inc. (NORI), constituée par la société canadienne The Metals Company (TMC), basée à Vancouver.
Contactée par Le Monde, la direction de TMC se montre plus prudente. « NORI s’est engagé à ne soumettre une demande d’exploitation qu’après avoir réalisé une évaluation environnementale et sociale de haute qualité, afin de répondre aux questions en suspens concernant les impacts et les conséquences », affirme un porte-parole. La République de Nauru parraine ce projet parce qu’elle pense pouvoir en retirer des subsides importants. Il y a deux ans, elle avait posé un ultimatum à l’AIFM, en lui donnant jusqu’au 9 juillet 2023 pour adopter le fameux code minier. NORI, qui a mené une campagne d’essais pilotes à l’automne 2022, nourrit des visées dans une région de l’océan Pacifique de 75 000 kilomètres carrés, entre le Mexique et Hawaï.
Assemblée générale qui s’annonce tendue Vendredi soir, le conseil de l’AIFM a souhaité refroidir ses ardeurs, en déclarant qu’aucune exploitation commerciale « ne devrait avoir lieu » tant que le code minier n’était pas en place. Un avis que ne partagent pas les organisations de défenses de l’environnement. « Une demande d’exploitation peut être faite à tout moment. Un moratoire est urgent et nécessaire », a déclaré la militante Sofia Tsenikli, au nom d’un groupement d’ONG rassemblant notamment Deep Sea Conservation Coalition, Greenpeace et le Fonds mondial pour la nature (WWF). D’après elle, la feuille de route consistant à se donner l’horizon de 2025 pour établir des règles « ne reflète pas les inquiétudes et l’opposition grandissantes à l’extraction minière sous-marine ».
Et que si un Etat venait à solliciter l’AIFM pour ce faire, la procédure prendrait de toutes les façons beaucoup de temps : « Il faudrait passer par des commissions juridiques et techniques, puis discuter avec l’Etat qui parraine la demande, et enfin obtenir le feu vert du conseil de l’AIFM, ainsi que de son assemblée générale. » Lire aussi : Fonds marins : les baleines et les dauphins sous la menace de l’exploitation minière L’assemblée générale, justement, se réunit du lundi 24 au vendredi 28 juillet à Kingston. En présence de tous les Etats membres, la rencontre s’annonce tendue. « Désormais, les barrières qui séparent l’incroyable richesse de la biodiversité des abysses et les bulldozers en quête de métaux ne tiennent plus qu’à un fil », dénonce François Chartier, chargé de campagne « océan » à Greenpeace.
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