Le numéro 2 de la revue Océan , publiée par Ouest-France , s’intéresse à la seconde vie offerte aux « déchets » produits par la filière des produits de la mer . Ce que l’on appelle désormais des « coproduits » sont de plus en plus valorisés dans des domaines très divers.
Alimentation, biochimie et biotechnologies
Que ce soit pour la santé humaine, la lutte contre l’érosion ou encore les travaux publics, les initiatives se multiplient pour valoriser des coproduits de la pêche. Des usages qui vont dans le sens d’une société en quête de sobriété, de respect de l’environnement et de réduction des déchets.
Au total, les volumes de coproduits des filières bleues de la France métropolitaine sont estimés à un peu plus de 210 000 tonnes par an, d’après les derniers chiffres de FranceAgriMer, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer. Environ 150 000 tonnes de coproduits sont exploitées. Et donc, environ 60 000 ne le sont pas encore.
Les coproduits de la filière poissons représentent à eux seuls les trois quarts de l’ensemble des coproduits aquatiques. Et ils sont valorisés à environ 90 %. Un haut niveau, certes satisfaisant mais, selon une représentante de FranceAgriMer, ils sont valorisés en majeure partie en alimentation animale, qui n’est pas un débouché à haute valeur ajoutée . Alors que des initiatives liées notamment à la biochimie et aux biotechnologies permettent de tirer le meilleur des arêtes têtes, écailles ou cartilages.
Un secteur qui implique une grande vigilance quant à la qualité de sa matière première. Lorsque l’on travaille pour la santé humaine, il est impératif de disposer d’un coproduit traité avec le même soin qu’un filet, précise Alexis Méhaignerie, président de la société lorientaise Abyss Ingredients, spécialisée dans les actifs et les ingrédients santé. Il nous faut de la qualité alimentaire, pas question qu’il soit tombé au sol par exemple.
Pêche et conchyliculture
Si les produits dérivés des poissons ont trouvé leurs débouchés, ce n’est pas le cas pour l’ensemble des produits de la filière. Les espèces dont les coproduits ne sont pas ou que peu valorisés sont principalement les espèces conchylicoles ainsi que les résidus de l’extraction d’algue , peut-on lire dans la synthèse d’une étude de FranceAgriMer bouclée fin décembre 2021. Les coproduits issus des huîtres, moules, ou encore coquilles Saint-Jacques sont trop peu utilisés , insiste Loïc Monod, chargé de mission bioéconomie dans la structure. Pour autant, les innovations émergent, les mentalités évoluent face au changement global et la réglementation accompagne les évolutions, avec des textes comme la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2021.
On va dans le bon sens, note Boris Teillant, en charge de l’ingénierie de projets d’innovation au Pôle Mer Bretagne Atlantique (PMBA). On constate un réel accroissement des usages notamment dans le réemploi des résidus coquilliers . La société Alegina par exemple, a remporté le Blue Challenge 2022 du PMBA en avril 2022, un trophée récompensant le meilleur projet labellisé de l’année.
Un frein majeur demeure cependant, pointe FranceAgriMer : L’atomisation géographique de la ressource avec quelques grands pôles et les contraintes logistiques liées à cet éclatement de la ressource, aux difficultés de traçabilité et à celles d’établir un réseau industriel sur le marché des invendus.
Rien ne se perd dans la mer
Santé, habillement, cosmétique, travaux publics… les déchets générés par l’exploitation des produits de la mer s’invitent dans de nombreuses filières.
Scogal, les pionniers du Nord
Scogal travaille pour l’alimentation animale mais aussi la cosmétique. | SCOGA
Les Boulonnais ont été pionniers dans les années soixante, en créant la Coopérative de traitement des produits de la pêche (CTPP), devenue la coopérative d’intérêt maritime Scogal. Au départ, les parties de poissons non filetées sur le port (têtes, arêtes et peaux) étaient broyées pour produire de la farine, destinée notamment à l’alimentation animale. Au fil du temps, l’efficacité du tri et l’innovation technologique ont permis une plus grande valeur ajoutée, avec l’extraction de collagène de la peau du poisson pour la cosmétique par exemple.
Seacure, un béton coquillier éco-conçu
Seacure immerge des blocs de coquilles qui deviennent des récifs. | SEACURE
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Seacure, ex-GéoCorail, produit un bio matériau à partir de coquilles pour en faire des récifs, corps-morts ou encore lutter contre l’érosion. En 2021 et 2022, en lien avec le syndicat mixte du bassin de Thau, deux cents gabions ont été immergés, remplis de 300 tonnes de coquilles d’huîtres et moules. L’électrolyse de l’eau de mer, qui crée un liant semblable au corail, a abouti à la création des blocs solides en 18 mois d’immersion. Ces premiers blocs expérimentaux ont été mis à la disposition de l’Aire marine d’Agde.
Bysco, de la moule au textile industriel
Une moule est arrimée à son rocher par le byssus, une fibre qu’elle sécrète, parfois appelée soie de mer. Originaire de la baie du Mont-Saint-Michel, Robin Maquet, président de la société nantaise Bysco, a eu l’idée en 2019 de récupérer ce byssus jeté par les mytiliculteurs. Et il produit aujourd’hui des rouleaux souples et des panneaux rigides destinés à l’isolation thermique et acoustique pour l’habitat ou les transports, composés à plus de 80 % de byssus biosourcé. La quantité de byssus disponible en France est estimée à 4 500 tonnes par an.
Ictyos, du sushi au cuir haut de gamme
L’idée est née autour d’un repas de sushis : et si, au lieu d’être jetées en cuisine, les peaux de poisson étaient traitées pour devenir du cuir marin ? C’est ce que fait Ictyos, une tannerie de cuirs de poisson, fondée en 2019 à Lyon. La société a un partenariat avec une grande chaîne de sushi et récupère les peaux de saumon des restaurants de la ville. Ils tannent aussi de la peau de truite et d’esturgeon, espèces destinées en premier lieu à l’alimentation. Tannées et teintées elles sont distribuées à des marques haut de gamme qui utilisent ces peaux pour leurs bracelets de montre, sacs à main ou autre objets de maroquinerie.
Abyss Ingrédients, tout est bon dans le poisson
Cartilages, écailles, arrêtes, peaux… sont autant de matières premières riches en collagène, acide hyaluronique, calcium, peptides, que l’entreprise lorientaise Abyss Ingrédients extrait des coproduits issus de la pêche. Elle commercialise ensuite ses produits auprès d’industriels spécialistes de la nutri-santé, créateurs des soins bien-être, santé et beauté. On ne peut plus jeter la moitié de ce que l’on pêche, estime Alexis Méhaignerie, président de la société. Les acteurs de la filière deviennent de plus en plus vertueux ».
Alegina, la perle de l’huître, c’est sa coquille
Tout a commencé par, En 2017, l’entreprise commercialise sous la marque Kaomer une porcelaine à base de coquilles d’huîtres : assiettes, tasses et autres accessoires de table d’un blanc pur. Depuis, Alegina, basée entre Nantes et La Rochelle, mène des projets autour de l’aménagement et souhaite contribuer à la lutte contre l’artificialisation des sols. Elle planche sur des pavés drainants destinés aux travaux publics. À base de coquillages et de liants, ses dalles Vivaway répondent aux besoins de perméabilité des sols pour éviter l’écoulement des eaux de pluie en ville.
Source: ouest france