Océans : « Il faut remettre en cause ce que les politiques appellent la pêche durable »
9 juin 2023
9 juin 2023
Le scientifique Didier Gascuel milite pour une « dé-chalutisation » et un élargissement du maillage des filets de pêche.
Al’occasion de la Journée mondiale des océans, ce jeudi 8 juin, Didier Gascuel, directeur du Pôle halieutique, mer et littoral à l’Institut Agro de Rennes, et membre du Conseil scientifique des pêches de l’Union Européenne, revient pour L’Express sur l’état de nos ressources en poissons. L’occasion pour le scientifique de pointer du doigt les discours mensongers sur la pêche durable ainsi que le manque d’efficacité des aires maritimes protégées.
L’Express : De nombreux labels pêche durable ont vu le jour ces dernières années. Prenons-nous enfin les mesures qu’il faut pour assurer la préservation des ressources halieutiques ?
Didier Gascuel : Il faut remettre en cause ce que les politiques et un certain nombre de professionnels appellent « pêche durable ». Bien souvent, leur vision ne repose sur aucun fondement écologique. Il s’agit au contraire d’une approche très productiviste. Autrement dit, la notion de durabilité repose assez largement sur un mensonge.
Ainsi, aujourd’hui, on admet comme durable une situation dans laquelle l’abondance de toutes les espèces exploitées a été divisée par trois par rapport au passé. Si on raisonne espèce par espèce, la situation ne semble pas catastrophique car il reste généralement assez de géniteurs dans l’eau pour assurer le renouvellement des populations. En revanche, au niveau des écosystèmes, la situation se détériore. Ces derniers deviennent moins productifs, plus chaotiques, à mesure que des déséquilibres entre espèces se créent.
Cela signifie qu’en maintenant nos habitudes, les prises de pêche continueront de se raréfier ?
Je le pense. Avec les règles que l’on s’est données aujourd’hui, 30 à 40 % des espèces continuent d’être surexploitées dans l’océan Atlantique et c’est pire en Méditerranée. Le fait que les experts de l’Ifremer ne constatent pas d’amélioration sur les cinq dernières années devrait nous alerter. Nous continuons d’exercer une pression très forte sur les stocks de poissons. Nous dégradons aussi la qualité des fonds marins et donc la fertilité des océans avec les pratiques de chalut. Si on ajoute à cela les effets du changement climatique, la situation n’est pas bonne. Un certain nombre de ressources s’effondrent déjà. On pense bien sûr à la morue de mer du Nord mais il en va de même pour sa cousine, la morue de mer Celtique, la sole du golfe de Gascogne ou encore le merlan. Si nous ne changeons rien à nos pratiques, nous continuerons de glisser le long de cette mauvaise pente.
Il y aurait pourtant une mesure simple à prendre : en augmentant le maillage des filets, on pourrait nettement augmenter la population de poissons, nous disent les scientifiques. Pourquoi cette décision n’est-elle pas prise ?
Effectivement, des simulations effectuées sur la mer du Nord montrent que si le maillage des filets passait de 100 à 140 mm, nous pourrions pêcher autant qu’aujourd’hui en augmentant par deux la quantité de poissons présente dans l’eau ! En Norvège, les pêcheurs ont déjà mis cette idée en pratique avec de très bons résultats puisque les stocks de morues se reconstituent.
Dans le reste de l’Europe en revanche, les anciennes pratiques persistent. Pour avancer, il faudrait mettre d’accord des pêcheurs qui n’utilisent pas les mêmes engins et qui ne possèdent pas la même nationalité. Cela paraît très compliqué. La confiance avec les responsables politiques est rompue après des années de politiques d’inspiration libérale. Enfin, l’augmentation des maillages se traduit les premières années par une diminution des prises, profitant à ceux qui n’ont pas fait évoluer leurs pratiques. Il faudrait donc prévoir et accompagner cette transition.
La « dé-chalutisation » est-elle possible ?
Il nous faut l’organiser. Ces bateaux consomment entre 1 et 2 litres de gasoil par kilo de poisson pêché. Sans parler des dégâts occasionnés au fond de l’eau. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Sur certaines activités comme la pêche à la langouste, la transition peut se faire rapidement. Des pays comme l’Islande montrent qu’il est possible d’utiliser des casiers à la place des chaluts avec une très bonne rentabilité. En s’inspirant de cet exemple, la France pourrait décider de fermer 10 % de sa principale zone de pêche de langoustines – située au sud de la Bretagne – aux chalutiers et de la réserver aux pratiques du casier.
Dans d’autres endroits, nous pourrions jouer sur les quotas en donnant un peu moins aux chalutiers et un peu plus aux autres. Tout cela se prépare. Il faut tenir compte des investissements déjà réalisés dans les bateaux. Mais il existe des solutions. Dans les années 90, les pêcheurs du quartier de Paimpol ont décidé que les licences d’exploitation de chalutiers ne seraient plus cessibles. Au fil du temps, leurs propriétaires ont cessé leurs activités. Aujourd’hui, ces bateaux controversés ont disparu du port.
La France a beaucoup communiqué sur les aires maritimes protégées (AMP). Mais sont-elles vraiment efficaces ?
Je suis extrêmement critique. La France a créé de nombreuses AMP mais leur niveau de protection reste très faible. Par exemple, côté Atlantique, nous observons davantage de chalutage dans les aires marines protégées qu’en dehors ! Cela ne signifie pas que les bateaux fraudent. En réalité, ils pêchent en toute légalité car il n’existe pas de texte interdisant spécifiquement le chalutage dans ces zones. Nous sommes donc face à une situation aberrante.
Pour pouvoir clamer haut et fort que la France allait protéger 30 % de ses eaux, on a multiplié les AMP sans mettre en place la réglementation adéquate. Les textes internationaux disent pourtant clairement que dans une AMP, il ne doit pas y avoir d’activité d’industrielle. Et selon la FAO, tout bateau de plus de 12 m est considéré comme une activité industrielle. Aujourd’hui, il est prévu de mettre en place 10 % d’AMP renforcées. Mais les textes en cours de discussion ne définissent pas très clairement ce que cela signifie. Le chalutage y sera-t-il interdit à l’avenir ? Ce n’est pas encore sûr.