Les algues, trésor encore inexploité de l’Europe

 

Les États membres sont appelés à faciliter l’exploitation de cette filière considérée comme stratégique pour l’avenir de l’alimentation humaine et du climat.

Et si la mer n’avait pas encore délivré tous ses bienfaits ? Les algues font l’objet d’un intérêt particulier de la part de la Commission européenne compte tenu des nombreux avantages qu’elles présentent. Un « trésor des mers », selon l’expression du commissaire aux Océans, le Lituanien Virginijus Sinkevicius, mais largement sous-exploité.

En dépit d’une valeur protéinique remarquable, les algues ne concourent qu’à 2 % des besoins alimentaires humains, alors que les océans couvrent 70 % de la surface du globe. L’exploitation de fermes alguières en Europe n’aurait, en outre, qu’une faible empreinte carbone. Autre avantage : la production et la transformation des algues peuvent être utilisées pour fabriquer des produits pharmaceutiques, nutraceutiques, biostimulants, biologiques et cosmétiques.

La Commission a lancé une « initiative » en novembre 2022 afin de réunir les acteurs de la filière via une plateforme (UE4 Algae) qui rassemble désormais 700 parties prenantes. Le Parlement européen a appuyé cette démarche d’une résolution, il y a quelques jours. La situation actuelle mérite d’être largement améliorée mais relève de la responsabilité des États membres. C’est à eux qu’il revient de simplifier les procédures pour permettre la création d’une « filière algues ». La Commission ne peut que proposer une « boîte à outils » avant l’été prochain. Sauf que le secteur de l’aquaculture des algues est tout de même impacté par une dizaine de textes européens.

 

Un premier sommet à Paris en octobre

 

Le premier sommet européen de sensibilisation aux algues va se tenir à Paris, du 5 au 7 octobre. « Cet événement sera organisé par la Commission conjointement avec les autorités françaises et le Pacte mondial des Nations unies, indique le commissaire Sinkevicius. Nous voulons inspirer les autorités nationales pour le changement et sensibiliser le public en partageant les meilleures pratiques, les réussites et en invitant les gens à tester les produits à base d’algues. »

Pour l’heure, l’Europe est le premier importateur de produits à base d’algues pour une valeur de 554 millions d’euros en 2016. En 2019, la demande européenne était de 270 000 tonnes. Les projections évoquent 8 millions de tonnes en 2030. La Commission envisage un scénario où l’augmentation serait de 3 000 %, soit un marché potentiel de 9 milliards d’euros. Les 75 millions de consommateurs devenus végans pourraient donc croître dans les années à venir.

À LIRE AUSSINice – Nathalie Hilmi : « Les solutions pour réduire le C02 viennent de la nature »« Il est temps d’exploiter pleinement le potentiel des algues en tant que ressource renouvelable en Europe, estimait l’eurodéputé croate Predrag Fred Matic, vice-président de la commission Pêche du Parlement européen. En raison de la croissance de la population mondiale, de l’épuisement des ressources, de la pression sur l’environnement et du changement climatique, il est nécessaire d’aborder différemment les systèmes alimentaires et économiques. »

En somme, l’UE mise sur un changement des modes alimentaires : moins de bétail, moins d’emprise terrestre pour laisser de la place aux forêts considérées comme des puits de carbone, moins d’intrants chimiques dans les sols et un déplacement de la consommation vers les algues. Mangez des algues pour parodier le « mangez des pommes » de Jacques Chirac.

La diversification des revenus pour les pêcheurs

 

D’où la nécessité d’en faire une industrie. Pour l’instant, la collecte se fait dans la nature et moins via des exploitations aquacoles, contrairement à l’Asie. Le Japon se pose en pays phare. L’île consomme une centaine de variétés d’algues environnantes depuis des temps très anciens. Excellentes pour la santé, elles sont riches en fer, en calcium, en iode, en magnésium…

La Commission recommande donc 23 actions pour développer le secteur et construire une indépendance alimentaire : faciliter l’accès à l’espace maritime, identifier les sites les plus propices à la culture des algues. On peut se demander si les pêcheurs pourraient éventuellement être réorientés vers ce secteur en croissance avec un soutien aux PME innovantes (et il y en a !). « C’est un secteur qui sera clé pour la diversification des revenus dans les zones côtières, qui sont complémentaires à ceux qui proviennent de la pêche », confirmait l’eurodéputée Izaskun Bilbao Barandica, du Parti nationaliste basque, lors du débat.

À LIRE AUSSILes espèces sauvages, surexploitées et sous-exploitées à la foisLes algues pourraient aussi servir de fertilisant pour les agriculteurs. La recherche pourrait contribuer à améliorer leur exploitation actuelle. C’était d’ailleurs le cas autrefois « dans les régions du centre et du nord du Portugal, souligne l’eurodéputé communiste João Pimenta Lopes. L’utilisation de cette ressource a été remplacée par l’usage d’engrais chimiques, mais au détriment de l’environnement et des communautés qui dépendaient de cette activité  ». « Pour mon pays, cela signifie aussi la possibilité d’exploiter durablement les 10 000 tonnes d’algues qui étouffent chaque année la côte de la mer Noire », espère la Roumaine Carmen Avram (Parti socialiste).

Selon la FAO, la production mondiale d’algues alimentaires et non alimentaires s’élève à plus de 35,1 millions de tonnes en 2020, essentiellement en Asie. La Chine demeure depuis longtemps le premier producteur avec 20,8 millions de tonnes, devant l’Indonésie (9,6 millions), ces deux pays dominant la mappemonde.

Source: Le Point