Acidification des océans : nous ne sommes pas prêts pour les conséquences
31 mars 2023
31 mars 2023
L’acidification des océans fait partie des conséquences directes du dérèglement climatique, et pourrait rapidement atteindre des niveaux sans précédent. Pourtant, aucun gouvernement ne semble préparé aux nombreux dommages qu’elle causera. C’est la triste conclusion d’une récente étude.
Alors que le dernier rapport de synthèse du Giec vient de sortir, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : le dérèglement climatique en cours aura de nombreuses conséquences, et ce dans les prochaines années. Parmi elles, l’acidification des océans fait partie des plus inquiétantes. Causée directement par les gaz à effet de serre, elle risque bien d’anéantir une grande partie des écosystèmes, et la vie marine qu’ils abritent avec. Il faut donc agir, et vite. C’est ce sur quoi s’est penchée une récente étude publiée dans la revue Environmental Research Letters, dans laquelle des chercheurs ont identifié six éléments clés pour évaluer l’état de préparation d’un gouvernement face à cette acidification.
L’acidité se définit par le pH, qui évolue entre 0 et 14 : s’il est supérieur à 7, une solution est dite basique. À l’inverse, s’il est inférieur à 7, elle est acide. Et s’il est à 7, elle est neutre. Actuellement, l’eau des océans est déjà passée d’un pH de 8,2 à 8,1 entre 1950 et 2021. Une diminution de 0,1 unité, mais qui représente une augmentation de 26 % de l’acidité, l’échelle du pH étant logarithmique. Et cette acidification découle directement des émissions de gaz à effet de serre : environ 25 % du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère se stocke au niveau des couches supérieures des océans. Il se combine ensuite avec les molécules d’eau, et la réaction génère des ions comme le carbonate ou le bicarbonate. Le tout donnant un pH moins basique qu’initialement.
LE SCÉNARIO, À GAUCHE, INDIQUE L’ACIDIFICATION DES EAUX POLAIRES SI LES LIMITES DE TEMPÉRATURE DE L’ACCORD DE PARIS SONT RESPECTÉES ET CELUI, À DROITE, SI ELLES SONT DÉPASSÉES. © IPCC SROCC 2019
Si l’eau reste pourtant basique, ce changement a bien des impacts sur la vie marine. En effet, « divers processus biologiques fondamentaux sont sensibles à l’acidification, notamment la productivité primaire, la calcification, la décalcification, les cycles des nutriments, la reproduction, le développement et les échanges gazeux. Compte tenu de ces résultats, il n’est pas surprenant qu’un large éventail d’organismes marins soit affecté par l’arthrose, comme des bactéries, des algues, des invertébrés et des poissons », alerte l’étude. Ce sont donc de nombreuses espèces qui sont menacées, dont l’espèce humaine, indirectement.
“L’acidification des océans est l’un des tueurs silencieux du changement climatique”
« L’acidification des océans est l’un des tueurs silencieux du changement climatique », a déclaré dans un communiqué Rebecca Albright, première auteure de l’étude, conservatrice de l’Académie de zoologie des invertébrés et fondatrice du Coral Regeneration Lab (CoRL). « Bien qu’elle ne soit pas aussi médiatisée que des menaces telles que le blanchissement des coraux, l’acidification des océans entraînera une destruction généralisée des environnements marins d’ici la fin de cette décennie si nous ne prenons pas des mesures urgentes. Pour aider les décideurs politiques à identifier les actions qu’ils devraient entreprendre, mes collaborateurs et moi nous nous sommes demandé : « Que devrait faire un gouvernement pour disposer d’un plan global visant à protéger à la fois l’environnement et la société de l’acidification des océans ? » »
Face à ce constat, le groupe de chercheurs a établi six critères essentiels pour déterminer la préparation d’un gouvernement, puis ils ont réalisé une étude de cas avec l’Australie. Avec le plus grand récif corallien du monde près de ses côtes, le pays semble déjà bien au courant des conséquences de l’acidification sur les coraux. Pourtant, les chercheurs ont noté un manque de cohérence politique dans les mesures appliquées. En effet, aucune décision n’a été prise pour limiter les gaz à effet de serre, qui sont pourtant les principaux contributeurs de l’acidification des océans à venir. D’où leur premier critère : la protection du climat. Existe-t-il des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, principale cause de l’acidification ? Et les politiques sont-elles cohérentes avec les données scientifiques ?
« L’acidification des océans n’est pas un problème isolé, mais plutôt un problème étroitement lié à d’autres risques anthropiques – en Australie et ailleurs – tels que le réchauffement, l’élévation du niveau de la mer, la perte d’oxygène et l’eutrophisation, a précisé Ove Hoegh, co-auteure de l’étude et biologiste des coraux à l’université du Queensland. Par conséquent, toute politique conçue pour lutter contre l’acidification des océans, au niveau local ou mondial, doit tenir compte des nombreux facteurs interconnectés et de leurs impacts sur les écosystèmes et la société. »
Viennent ensuite les critères de connaissance et de recherche : le public comprend-il les menaces de l’acidification des océans, et suffisamment de fonds sont-ils investis dans la lutte contre cette conséquence du réchauffement climatique ? Puis la protection, et l’adaptation : existe-t-il des aires marines protégées, des stratégies de gestion de ces aires, d’atténuation de l’acidification et d’adaptation ? Pour le moment, aucun État ne semble remplir tous les critères.
« Une fois que les gouvernements auront auto-évalué leur état de préparation à l’acidification des océans, ils auront une meilleure idée des lacunes potentielles, a conclu Sarah Cooley, co-auteure de l’étude et directrice des sciences du climat à l’Ocean Conservancy. Les lacunes seront différentes pour chaque gouvernement – certains gouvernements pourraient avoir besoin d’augmenter la recherche fondamentale juste pour comprendre comment leurs systèmes marins réagiront à l’acidification, tandis que d’autres pourraient avoir besoin de renforcer l’adaptation pour protéger les personnes et les écosystèmes les plus susceptibles d’être affectés par l’acidification. Cet autotest aidera les gouvernements à concentrer leurs efforts futurs pour s’assurer qu’ils mettent l’accent sur les domaines les plus essentiels pour eux et qu’ils peuvent prendre les mesures nécessaires pour faire face aux principales menaces de l’acidification. »
Selon des chercheurs britanniques, l’acidification des océans pourrait rapidement atteindre des niveaux sans précédent. D’autres alertent sur les effets néfastes que cela aura sur la vie marine.
Article de Nathalie Mayer paru le 01/08/2018
Si les émissions de dioxyde de carbone (CO2) se poursuivent « comme si de rien n’était », l’acidification des océans devrait atteindre des niveaux records. C’est ce qu’affirment des chercheurs de l’université de Cardiff (Royaume-Uni). Rappelons que l’acidification des océans se produit lorsque le CO2 atmosphérique est absorbé par l’eau. Depuis le début de l’ère industrielle, l’océan a ainsi déjà absorbé quelque 525 milliards de tonnes de CO2.
Et si les émissions doivent se poursuivre au même rythme qu’aujourd’hui, la concentration en CO2 dans l’atmosphère atteindra les 930 parties par million (ppm) en l’an 2100, contre environ 400 ppm aujourd’hui. De quoi faire passer le pH des océans de 8,1 en 2018 à seulement 7,8 en 2100. Une augmentation de l’acidité considérable sur une échelle logarithmique comme celle du pH.
Selon les chercheurs, le pH actuel est probablement déjà inférieur à ce qu’il a pu être ces deux derniers millions d’années. Et les niveaux d’acidité prévus pour 2100 n’ont pas été observés depuis la période du Miocène moyen, il y a environ 14 millions d’années. La température sur Terre était alors d’environ 3 °C supérieure à celle d’aujourd’hui. Des résultats qui rendent encore plus alarmantes les conclusions de chercheurs qui tentent de comprendre les effets que peut avoir l’acidification des océans sur l’écosystème marin.
UNE ÉTUDE MONTRE QUE DES ESPÈCES CLÉS – CAR CONSTITUANT NOTAMMENT L’HABITAT D’AUTRES ESPÈCES –, COMME LES CORAUX, SONT GRAVEMENT MENACÉES PAR L’ACIDIFICATION DES OCÉANS. © FOTOSHOPTOFS, PIXABAY, CC0 CREATIVE COMMONS
Des chercheurs de l’université de Plymouth (Royaume-Uni), par exemple, se sont intéressés aux eaux qui bordent l’île de Shikine-jima, une île volcanique au large de Tokyo (Japon). « L’année dernière, les coraux du sud du Japon ont connu un épisode de mortalité massive. Nous pensions que ceux-ci seraient capables de se déplacer vers le nord pour survivre. Mais il semblerait que les coraux soient tellement sensibles à l’acidification des océans qu’ils en sont incapables », raconte Sylvain Agostini, professeur à l’université de Tsukuba (Japon) qui a également pris part à l’étude. De manière plus générale, les chercheurs assurent que des changements marqués et un déclin majeur de la biodiversité devraient être observés dès 2050 et plus encore d’ici 2100. Y compris parmi les espèces clés de l’écosystème.
“Des poissons qui perdent leur odorat”
Et c’est ce que confirment des chercheurs de l’université d’Exeter (Royaume-Uni). Selon une étude qu’ils ont réalisée, au contact d’une eau plus acide, les bars nagent moins. Ils semblent aussi perdre une partie de leur odorat. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’odeurs émanant de potentiels prédateurs ou de potentielles proies. Peut-être parce que l’acidité de l’eau affecte la façon dont les molécules odorantes se fixent aux récepteurs olfactifs du poisson. Parce que l’expression des gènes impliqués dans la détection des odeurs et le traitement de l’information olfactive semble également altérée par cette acidité. Des résultats d’autant plus inquiétants que ces processus sont communs à de nombreuses espèces aquatiques.
Quel effet aura sur les organismes marins l’acidification des océans, autre conséquence de l’augmentation de la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique ? Une équipe américaine l’a mesuré expérimentalement sur une série d’espèces. Moralité : il y aura des vainqueurs et des vaincus.
Article de Jean-Luc Goudet paru le 08/12/2009
A mesure que l’atmosphère s’enrichit en gaz carbonique (CO2, ou dioxyde de carbone), le pH de l’eau de mer s’abaisse. Autrement dit, son acidité augmente. Le phénomène est connu et expliqué. Le gaz carbonique de l’air se dissout dans l’eau et une partie réagit pour donner des ions hydrogénocarbonates (HCO3–) et carbonates (CO32-) et donc aussi des ions H+ (responsables de l’acidité).
Il n’y a cependant pas de relation simple entre teneur atmosphérique en CO2 et acidité de l’eau de mer car d’autres facteurs physiques interviennent, notamment la température, et les émissions de soufre et l’azote des engrais finissant dans l’océan conduisent aussi à réduire le pH.
On pense que depuis l’ère préindustrielle, le pH est descendu d’environ un dixième, de 8,2 à 8,1. Avec l’échelle logarithmique du pH, cette légère réduction correspond tout de même à une augmentation de la concentration réelle en ions H+ de 30%. Selon les estimations, le pH pourrait descendre à 7,9, voire 7,8 à la fin du siècle.
Cette acidification des océans ne sera pas sans conséquence sur un certain nombre d’espèces qui utilisent les carbonates pour se fabriquer une coquille en carbonate de calcium. C’est le cas des crustacés, des mollusques bivalves (moules, huîtres, palourdes, etc.), des coraux, de beaucoup de gastéropodes (comme les patelles) ainsi que de certaines algues.
Plusieurs études ont montré que l’acidité de l’eau entrave la calcification, c’est-à-dire la formation de la coquille, qui devient plus fragile chez l’adulte. Des travaux précis ont mesuré cet effet du pH chez l’huître et la moule.
Une équipe de la Woods Hole Oceanographic Institution, menée par Justin Ries (University of North Carolina, Chapel Hill), a été plus loin en testant l’effet de différentes concentrations de CO2 dissous dans l’eau sur 18 espèces marines vivant au fond (on les dit benthiques), animales et végétales. L’idée de l’expérience vient de la supposition que tous les organismes ne devraient pas être affectés de la même manière par une acidification car tous n’utilisent pas de la même manière le carbonate de calcium.
L’équipe a réalisé quatre milieux différant par leur acidité. Le premier, le témoin, a celle des mers d’aujourd’hui. Les trois autres correspondent à ce que l’on obtiendrait avec des teneurs atmosphériques en gaz carbonique deux fois, trois fois et même dix fois celle de l’ère pré-industrielle (établie à 285 parties par million, ou ppm). Très élevée, cette dernière valeur ne sera pas atteinte durant ce siècle mais, explique Justin Ries, elle pourrait devenir réalité dans 500 ou 700 ans et elle a déjà été atteinte dans le passé, durant le Crétacé.
L’idée originelle était bonne. Les espèces soumises aux tests ont réagi de manières très diverses. Les crustacés s’en sortent bien. Crabes bleus et homards profitent même largement d’une augmentation de la teneur de l’eau en carbonate et fabriquent leurs carapaces plus facilement, ce qui leur permet d’atteindre des tailles plus grandes et même impressionnantes. Les algues vertes calcifiées s’adaptent à la diminution de pH et continuent à fabriquer leurs structures calcifiées.
En revanche, les huîtres, les coquilles Saint-Jacques, le corail et les annélides à tube calcaire (les serpules) construisent des coquilles plus fines et plus fragiles. L’acidification ne leur convient pas du tout. Les plus touchées lors de l’expérience étaient la palourde, la conque et l’oursin crayon (dont les piquants sont épais et peu nombreux). Chez ces animaux, les plus hautes acidités dissolvent leurs coquilles…
La différence, explique l’équipe, vient du type de carbonate de calcium utilisé par l’organisme ainsi que l’efficacité du contrôle de l’acidité là où se fait la calcification. Même pour les espèces qui s’adaptent, les chercheurs se posent la question de l’effort que l’organisme doit réaliser pour surmonter l’acidité ambiante. Si le surcroît de dépense énergétique est élevé, l’organisme peut se fabriquer une belle coquille mais au détriment d’autres fonctions, par exemple la défense immunitaire. Par ailleurs, explique Justin Ries, « nous savons que la qualité de la nourriture joue un rôle important. Le corail, par exemple, est moins sensible au CO2 s’il est bien nourri » Ce facteur n’a pas été testé dans l’expérience, tous les animaux disposaient d’une bonne nourriture….