Biodiversité: la COP15 au défi de protéger 30 % de la planète… et les 70 % restants
9 décembre 2022
9 décembre 2022
Le projet d’accord négocié lors de la conférence mondiale pour la biodiversité au Canada prévoit d’augmenter la superficie des aires protégées.
Protéger, d’ici à 2030, 30 % des terres et des mers de la planète. C’est sans nul doute à l’aune de cet objectif que sera évalué, au moins en partie, le succès de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), dont les travaux débutent mercredi 7 décembre au Canada. Ce rendez-vous, qui réunit quelque 15 000 personnes à Montréal, doit aboutir à l’adoption d’un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à la destruction du vivant.
Sur les vingt-deux cibles du projet d’accord, la cible 3, qui prévoit une augmentation de la superficie des aires protégées, est encore loin de faire consensus. Mais, à l’heure où commence la dernière ligne droite des négociations, elle bénéficie tout de même d’atouts de poids. D’abord parce que la formule est simple et efficace. « C’est la cible la plus facile à comprendre pour le grand public et pour les politiques, je pense donc qu’il y aura une pression monstrueuse pour la faire aboutir », constate Gilles Kleitz, président de la commission aires protégées du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature et expert de la biodiversité à l’Agence française de développement.
« Les aires protégées sont la partie visible de la conservation, confirme Didier Bazile, chargé de mission biodiversité au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Pour les Etats, augmenter leur surface est un moyen facile de montrer qu’ils sont enclins à protéger la biodiversité. »
Signe de l’engouement politique, plus de 110 Etats, sur les 196 parties à la convention sur la diversité biologique des Nations unies, ont déjà affiché leur soutien au « 30 × 30 » en rejoignant la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples. Lancée en janvier 2021 et coprésidée par la France, le Costa Rica et le Royaume-Uni, cette alliance regroupe désormais des pays de tous les continents. Lors de la décennie précédente, sur les vingt « objectifs d’Aichi » adoptés en 2010 pour enrayer l’érosion de la biodiversité, la cible visant à protéger 17 % de terres et 10 % des mers d’ici à 2020 est l’une des seules à avoir enregistré des progrès considérables – l’objectif concernant les espaces terrestres a été atteint en 2021 et 8 % des espaces marins sont désormais préservés.
Pierre angulaire des politiques de conservation, les aires protégées ont aussi fait la preuve de leur utilité pour résister aux changements d’usages des terres et à la fragmentation des habitats, qui constituent le premier facteur de menace pour les espèces et les écosystèmes. Résultat, c’est la moitié de la planète que les scientifiques appellent désormais à placer sous statut de protection, alors que 75 % de la surface terrestre a déjà été altérée par les activités humaines.
En 2016, le célèbre biologiste américain Edward O. Wilson, inventeur de la notion de biodiversité, publie Half-Earth (Liveright Publishing Corporation), dans lequel il explique que protéger 50 % des terres et des mers permettrait de préserver au moins 85 % des espèces. Depuis, de nombreux travaux ont confirmé la pertinence de cet objectif. « Espérer atteindre 50 % de protection d’ici à 2030 n’aurait sans doute pas été très réaliste même s’il y a un consensus scientifique sur le fait que c’est la cible à atteindre, remarque Robin Goffaux, chargé de mission à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Les 30 % en 2030 peuvent être vus comme un point d’étape vers le 50 % à l’horizon 2050. »
Au-delà de l’aspect quantitatif, l’enjeu central sera celui de la mise en œuvre pour ne pas simplement protéger plus, mais surtout mieux. Si les données manquent pour évaluer précisément l’efficacité des aires protégées, sur les 252 sites du patrimoine mondial de la nature, davantage ont vu leurs perspectives de conservation se dégrader depuis 2017 plutôt que s’améliorer. Pour « faire du chiffre », des gouvernements ont placé sous protection de grandes zones à faibles enjeux en termes de biodiversité ou peu menacées, ou créé des aires totalement dépourvues de moyens, surnommées les « paper parks » (parcs de papier).
Une étude publiée en octobre estime ainsi que 550 000 personnes sont chargées des 21 millions de kilomètres carrés d’aires protégées, un chiffre qui devrait être multiplié par cinq pour espérer une gestion efficace des 30 %. « Il y a plus de personnes employées dans les terrains de golf et les country clubs des Etats-Unis qu’il n’y a de rangers dans le monde », regrette Mike Appleton, spécialiste des aires protégées et auteur principal de l’article.
Le nouveau cadre mondial permettra-t-il de faire mieux ? Le projet d’accord prévoit, en l’état, que ces aires devront être « bien gérées, écologiquement représentatives, connectées et équitablement gouvernées ». Présente au début des négociations, la notion de « protection forte », qui faisait figure de repoussoir pour beaucoup, a rapidement disparu. Différentes catégories d’aires plus ou moins protectrices – certaines où la quasi-totalité des activités humaines sont proscrites, d’autres où elles sont au contraire presque toutes autorisées – pourront être englobées dans les 30 %. « On a élargi la définition des aires protégées pour inclure un plus grand nombre d’espaces mais leur efficacité est parfois très limitée », déplore Didier Bazile.
La question des moyens financiers nécessaires, aujourd’hui largement insuffisants, sera l’un des autres enjeux des deux semaines de négociations. Des pays du Sud opposent à l’ambition des pays du Nord concernant les aires protégées la nécessité de se développer en exploitant leurs ressources – ou d’être rémunérés pour préserver la nature au nom du bien commun. Ni le Brésil ni l’Afrique du Sud, qui hébergent une grande part de la biodiversité mondiale, ne soutiennent le « 30 × 30 ». La Chine ou l’Indonésie, comme la majorité des pays asiatiques, sont les autres grands absents de la coalition, l’Asie étant la région la plus en retard en matière de protection.
Les Etats doivent réformer radicalement l’ensemble du système économique mondial pour aboutir à une gestion durable des espèces.
Les communautés locales et les peuples autochtones insistent de leur côté sur la nécessité de voir leurs droits renforcer, pour que l’extension de ces aires ne conduise pas à les déposséder de leurs terres ou à leur faire subir davantage de pressions. « Ce que nous voulons, c’est déjà que l’on respecte et que l’on finance tout ce que nous faisons sur le terrain en protégeant notre forêt, notre terre, nos océans, nos peuples, insiste Hindou Ibrahim, coprésidente du Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques. Ensuite, nous pourrons parler du reste. » Les peuples indigènes, qui représentent 6 % de la population mondiale, gouvernent et gèrent au moins 25 % de la surface terrestre, qui concentrent près de 80 % de la biodiversité.
Les négociateurs parviendront-ils à s’entendre sur l’idée de protéger efficacement 30 % de la planète ? Et surtout parviendront-ils à le faire… sans négliger les 70 % restants ? Certains observateurs craignent que l’accent mis sur cette cible emblématique ne détourne l’attention des décideurs d’autres engagements tout aussi décisifs. En janvier, une cinquantaine d’experts mondiaux ont publié un rapport d’évaluation du projet de cadre mondial, dont la conclusion est très claire : les efforts de conservation « classiques », tels que la mise en place d’aires protégées, sont absolument insuffisants pour stopper la perte de diversité animale et végétale. Les Etats doivent, en parallèle, réformer radicalement l’ensemble du système économique mondial pour aboutir à une gestion durable des espèces.
« Sur la question des changements profonds nécessaires en matière de flux financiers et de la transformation des différents secteurs d’activité, la coalition de la haute ambition ne fait pas figure de “champion”, elle ne s’attaque pas aux problèmes les plus difficiles », note l’organisation Avaaz.
Didier Bazile estime même que mettre autant en avant la cible des 30 % fait « peser un risque » sur l’ensemble du dispositif. « Avoir un tel objectif chiffré peut servir de caution à certains pays qui continueront à avoir des pratiques extractives et intensives ailleurs sur leur territoire, prédit-il. Les aires protégées sont un bon outil si l’on se donne un cadre suffisant pour qu’elles atteignent leur but, mais il manque encore dans le texte actuel les indicateurs qualitatifs indispensables pour évaluer leur pertinence. »
En l’état, le projet de texte ne contient que peu de mesures précises visant à réformer le système agroalimentaire, le secteur de la pêche ou à réduire les pollutions, et les discussions sur ces enjeux s’annoncent compliquées. « Pour la biodiversité, mettre en place une gestion durable des ressources sur 70 % de la planète est aussi important que les 30 % de protection, confirme Gilles Kleitz. Mais, dès qu’il y a de l’élan politique sur un objectif qui est plutôt bon en soi, il faut y aller de toutes ses forces. Le “30 × 30” sera un indicateur partiel du succès de la COP, mais cela reste un bon indicateur. »
Source: Le monde