La plaisance en Tunisie, un immense potentiel pour le développement économique (par Youssef Ben Miled)

Malgré les beaux discours, la mer reste désespérément vide et les bateaux sont au port. La plaisance se meurt devant les mauvaises décisions et l’indifférence des responsables. Nous n’avons jamais su exploiter cette ressource extraordinaire.

Si des décisions courageuses sont prises, nous pourrions vite profiter du potentiel extraordinaire de la plaisance pour créer des milliers d’emplois qualifiés et développer une industrie nautique.

« 1350 KM DE CÔTES… UNE LITANIE SI SOUVENT ENTENDUE ET JAMAIS SUIVIE D’EFFET »

Lorsqu’on parle de plaisance, les responsables politiques, de l’administration et des sécuritaires pensent systématiquement yachts de milliardaires, tourisme au profit de quelques personnes privilégiées demandant toujours encore plus d’avantages, alors que la plaisance pourrait drainer des dizaines de métiers qualifiés comme des mécaniciens marines, des électriciens marines, des charpentiers de marines qui sont extrêmement demandés, des grutiers, des plongeurs sous-marins, des électroniciens capable d’installer et réparer Radars, GPS et Sondeurs, des marins pour l’entretien des bateaux, des capitaines diplômés. La plaisance pourrait être également à l’origine de la création d’écoles de voiles qui formeraient les futurs moniteurs des bases navales des hôtels, des écoles de plongées sous-marines, des équipes sportives étrangères qui viendraient s’entraîner en hiver, se loger et faire réviser leurs bateaux. Malheureusement chez nous ce n’est pas du tout le cas.

« CHEZ NOUS LORSQU’ON REGARDE, LA MER EST VIDE »

Chez nous lorsqu’on regarde la mer on ne voit rien, elle est le plus souvent vide de bateaux. A part la petite période estivale et à part quelque barques de pêche le long de la côte, il n’y a aucun bateau qui navigue alors que le temps est magnifique et que la mer est calme ! Cette situation est due à la totale incompréhension de notre administration face à la mer (de même son attitude face aux arbres qui sont coupés sans vergogne), les tracasseries sont innombrables : une douane sur les bateaux et équipements nautiques de 30% à laquelle s’ajoute des droits à la consommation de l’ordre de 135% puis une TVA de 18% qui bloquent complètement la situation, les ports avec zéro dinar de budget d’entretien durant des années, des contrôles en mer par plusieurs corps différents : Garde Nationale, Police des Frontières, Marine Nationale, Douane, des fiches de sorties du port comportant les noms numéros de cartes d’identité de toutes les personnes à bord et ceci pour une simple balade en mer de quelques minutes, des déclarations pour se rendre de ville en ville, des déclarations sur le nombre de cigarettes à bord…

Tout ceci alors même que le Texte des Congés de Police des bateaux tunisiens (en encadré), qui est en quelque sorte la Carte Grise du bateau et qui date d’avant l’indépendance est magnifique et donne l’Ordre de porter assistance.

Texte des Congés de Police de tous les bateaux tunisiens datant d’avant l’indépendance

« Vu la loi… et la loi…, en vertu de l’acte de nationalité…, vue les déclarations faites et les documents déposés, le présent congé est délivré à Monsieur… pour sortir du port avec son bateau nommé… en conséquence le président de la république prie et requiert tous souverains, états amis et alliés de la Tunisie et leurs subordonnés, ordonne à tous fonctionnaires publics, aux commandants des bâtiments de l’état et à tous les autres, qu’il appartiendra de laisser sûrement passer avec son dit bâtiment, sans lui faire ni souffrir qu’il lui soit fait, aucun trouble ni empêchement quelconque, mais au contraire de lui donner faveur, secours et assistance partout ou besoin sera ».

De plus ces contrôles au port et devant le port sont des « ta3limet » carrément contraires à la chère Liberté de Circulation inscrite dans la Constitution et ne servent à rien, car les procédures de contrôles telles quelles sont réalisées actuellement ne peuvent empêcher l’immigration clandestine. Le rôle des officiers en mer est de patrouiller au large pour neutraliser l’immigration clandestine, empêcher la pêche interdite, repérer les bateaux pollueurs et sauver les bateaux et les personnes en danger, pas de démultiplier aux plaisanciers les tracasseries administratives pour une simple balade en mer.

« NOTRE CLIMAT EST UNE BÉNÉDICTION »

Notre atout le plus évident et auquel on ne pense même plus c’est le climat, la température est clémente la plupart du temps, la mer est peu profonde et sa température est douce, il fait bon et doux tout au long de l’année ! Le golfe de Tunis est le plus souvent protégé des grands vents et ne soulève pas une mer importante. La proximité de Korbous et de Sidi Ali El Mekki offrent aux habitants de Tunis des paysages vierges absolument magnifiques (jusqu’à présent, car une pollution de la vanne ONAS au large de Raoued ainsi qu’une pollution plastique est entrain de dégrader rapidement cette situation). La côte Nord profonde, recèle quant à elle des trésors en richesses sous-marines et la côte Est a des plages qui n’ont rien à envier aux Maldives ou aux Caraïbes.

Comment ne pas voir qu’un investissement en infrastructures qui permettraient d’éviter définitivement de déverser le trop plein des stations d’épurations dans la mer, ou du phosphate à Sfax ou à Gabes, sauverait non seulement, la beauté des plages, la pureté de l’eau, mais  également notre santé et toutes les activités côtières telles que la pêche, la restauration de plages, les centres d’activités sportives… autant de facteurs essentiels à plusieurs secteurs de notre économie, notamment dans le tourisme.

« DES SLOGANS SIMPLES »

Il est certain qu’avec la situation actuelle du pays et la morosité ambiante, toute proposition même raisonnable semble loin des préoccupations de nos gouvernants, est quasi impossible à mettre en place. Pourtant nous n’avons pas le choix, ceci est notre terre, ceci est notre planète, nous ne pouvons continuer à polluer ainsi. Un projet futur ambitieux doit être établi par l’état afin de redonner espoir et de mobiliser les gens et surtout notre jeunesse qui ne demande qu’à y croire. Pour cela « il suffit » de se donner des objectifs à court, moyen et long terme et de s’y tenir. Des slogans simples comme « Tunisie propre » ou « L’eau est précieuse » sont faciles à mettre en œuvre et nos agences de publicités sont plus que compétentes pour les diffuser à grande échelle.

Pour développer notre économie il faut accroître le potentiel avec des idées et de grands rêves seuls capables de drainer l’argent des investisseurs et d’inciter à la consommation. Plus facile à dire qu’à faire c’est certain, mais quelle est l’alternative ? Pour le moment nous avons la capacité mais pas la volonté pour agir car ce sont des projets qui profitent à la communauté et non uniquement à des personnes.

« LA PLAISANCE COMME LEVIER DE L’ÉCONOMIE »

La plaisance servirait à créer une dynamique qui pourra être appliquée à d’autres secteurs, en créant une synergie entre le tourisme, l’industrie, la douane, les ports, la marine marchande, la garde nationale… Il faudrait également penser au recyclage de certains métiers vers ceux de la mer plus qualifiés. Par synergie il faut entendre mettre tous les responsables autour d’une table afin de supprimer chaque entrave au développement de la plaisance, l’état doit tendre à se désengager de ce secteur et laisser la place à l’initiative privée. Quel est le risque ? De toute façon le secteur est complètement à l’arrêt et un retour à une réglementation stricte est toujours possible.

Continuer à développer des projets de type marinas en utilisant le savoir-faire et la flexibilité des privés pour exploiter d’anciennes infrastructures quasi obsolètes de l’état, comme des ports aux pontons en ruines avec un ensablement qui empêche toute circulation des bateaux.

L’industrie nautique est restée à l’état primitif et pourrait devenir beaucoup plus active si elle avait déjà un marché local et maghrébin pour se développer. Plusieurs expériences réussies sont tout de même à noter à Menzel Bourguiba, Haouaria ou à Hergla. Cette industrie nautique est à portée de mains puisqu’une main d’œuvre ultra qualifiée existe déjà au chantier naval de Menzel Bourguiba.

Auteur : Youssef BEN MILED, géophysicien de l’exploration pétrolière – Membre de la commission d’Organisation des Jeux Méditerranéens de 2001 section Voile – Ancien Secrétaire Général de la Fédération Tunisienne de Voile – Fondateur de l’association sportive Tunis Team Regatta et organisateur de La Regate de Carthage tous les premiers dimanches du mois.

Publié par Tunisie Numérique