Mer Méditerranée : ils ont pris le temps d’aller au fond des choses

Les 4 plongeurs de l’expédition Gombessa V ont refait surface, hier, à Marseille. Leur moisson est exceptionnelle

Après trois jours de décompression, Laurent Ballesta émerge le premier du sas.

Réunis dans les 5 m² de leur caisson hyperbare amarré au quai du port de la Pointe-Rouge (Marseille) à une pression qui ne les situe qu’à un petit mètre de la surface, les quatre plongeurs de l’expédition Gombessa prennent leur mal en patience.

Comme prévu, leur retour sur terre est loin de constituer une formalité, se révélant bien plus long et complexe que celui d’astronautes en orbite dans la station spatiale internationale. Entamée dans la soirée de vendredi, leur indispensable décompression ne s’est achevée qu’hier soir. Le prix à payer pour la fantastique aventure humaine et scientifique qu’ils viennent de vivre au plus profond de la Méditerranée.

Pendant 28 jours, Laurent Ballesta, Antonin Guilbert, Thibault Rauby et Yannick Gentil ont multiplié les incursions dans les abysses, profitant de conditions d’exploration inédites. En combinant deux techniques – la plongée industrielle à saturation et la plongée autonome au recycleur -, ils ont pu porter leur regard sur des territoires vierges où jamais l’œil humain ne s’était posé. Ils ont également exploré des zones que d’autres avant eux n’avaient fait que survoler, ne possédant pas l’autonomie suffisante pour y séjourner durablement. Partis le 1er juillet de Marseille, Ballesta et son équipe s’étaient donné un peu moins d’un mois pour bouleverser les connaissances sur le Grand bleu. Le pari est gagné au-delà de leurs espérances.

28 jours d’isolement 

Au large de Marseille, puis de Monaco, et à nouveau dans les eaux phocéennes, à raison d’une centaine heures passées sous l’eau entre 60 et 120 mètres de profondeur, les plongeurs de l’expédition Gombessa V ont réalisé une moisson exceptionnelle. Le nombre de données qu’ils ont collectées au cours de leurs 31 sorties, devrait fournir aux scientifiques niçois et marseillais qui les leur avaient commandées, du travail pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Mais d’ores et déjà, certaines observations directes, réalisées par les quatre aventuriers, valent de l’or. « Nous avons découvert d’immenses forêts d’algues laminaires, raconte Laurent Ballesta. Et contrairement à leurs cousines bretonnes que l’on trouve en surface, les nôtres poussent par 80 m de fond. Certaines mesurent jusqu’à trois mètres de long, ce qui a surpris les biologistes marins ; tout comme leurs marques de croissance qui indiquent une durée de vie d’au moins 3 ans alors que l’on pensait jusqu’à présent que leur existence ne dépassait pas 24 mois« .

Autre constat plus préoccupant : une température de l’eau, anormalement élevée à grande profondeur, même si les plongeurs ont terriblement souffert du froid, au point d’être victimes de gelures aux doigts. « Nous avons évolué à -60 mètres dans une eau à 15ºC, soit 2º au-dessus de la normale, souligne Laurent Ballesta. Mais à ces profondeurs, la masse d’eau a une inertie plus grande. Si le réchauffement des océans est en cause, les écosystèmes vont donc peut-être bénéficier d’un sursis. D’autre part, les animaux ont davantage tendance à migrer qu’à chercher à s’adapter. On sait que des espèces qui vivaient dans la partie sud du bassin, sont remontées vers le nord. Les études génétiques monteront s’il existe aussi un flux migratoire vertical, c’est-à-dire si des animaux quittent les eaux chaudes de surface pour descendre vers des zones plus fraîches« .

Mais Gombessa a également permis d’établir un plan d’action pour de futures missions sous-marines. Car malgré leurs 28 jours d’isolement, Ballesta et sa bande se disent prêts à repartir. Avec déjà une nouvelle idée en tête : passer 10 à 15 jours sur le Natal, ce paquebot coulé en 1917 après être un abordage nocturne, et dont l’épave repose par -127 m, près de l’île de Planier, dans la rade de Marseille. « Nous y avons aperçu un immense poisson-lune se frottant sur le pont, un très gros saint-pierre en promenade dans les coursives, un magnifique ballet de bécasses de mer, et même une raie mobula ! », s’enthousiasme Laurent Ballesta.

De quoi nourrir de nouveaux rêve d’exploration et de découvertes…

Publié le 29/07/2019 par La Provence

Philippe Gallini