Voici 6 plantes abritées par la mer qui permettent de nous soigner

Les mers et les océans fournissent la nourriture et l’oxygène dont nous avons besoin pour vivre. Ils participent activement à la régulation de notre climat en absorbant près d’un quart du gaz carbonique produit sur notre Terre. Mais ce n’est pas tout. La faune et la flore marines sont à elles seules de grandes pourvoyeuses de médicaments. La recherche dans ce domaine est très active, mais plus que jamais fragile… Sans matières premières, pas de thérapie. Ce qui serait dommage tant les possibilités de traitements sont vastes et prometteuses. « Le premier actif anticancéreux d’origine marine a été breveté en 1960, et tout s’est accéléré à partir des années 70 avec la découverte de deux molécules, la cytarabine, utilisée dans le traitement des leucémies, et la vidarabine, à l’action antivirale. Toutes deux sont issues d’une éponge de Floride, appelée Tectitethya crypta, raconte Philippe Goulletquer*, directeur scientifique adjoint à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Aujourd’hui, au moins huit médicaments et une trentaine de dispositifs médicaux qui proviennent de la mer sont commercialisés. » Pour profiter des richesses des océans sans détruire les espèces qu’ils hébergent, la science passe par l’aqua- culture ou l’élaboration de molécules de synthèse en laboratoire.

Un gel pour apaiser les douleurs d’estomac

Les algues brunes (laminaires, fucus) ne sont pas seulement des aliments protéinés et riches en iode, elles apportent aussi de l’acide alginique et ses dérivés, les alginates. Ces derniers ont l’extraordinaire capacité de se gélifier, favorisant ainsi la cicatrisation et la coagulation. Hypoallergéniques, ils se retrouvent très souvent dans
nos armoires à pharmacie. Ainsi, l’alginate de sodium est le principal composant de médicaments indiqués pour neutraliser l’acidité dans l’estomac. Associé au bicarbonate de sodium, il forme un gel visqueux qui protège l’œsophage en cas de reflux du contenu de l’estomac. Par ailleurs, on retrouve des alginates dans une compresse spéciale (Coalgan) pour arrêter les saignements de nez. Ce sont aussi les composants de compresses et de pansements qui activent les cellules impliquées dans la cicatrisation des ulcères de jambes, des escarres ou encore des plaies traumatiques.

Une protéine pour mieux voir

Chlamydomonas reinhardtii : voici une algue verte qui pourrait bien devenir célèbre dans les années à venir. Grâce à elle, une personne aveugle, atteinte de rétinopathie pigmentaire au stade terminal, a pu distinguer à nouveau
la forme de différents objets. A l’origine de cette prouesse réalisée conjointement par des équipes de l’Inserm, du CNRS et de l’Institut de la vision, une protéine, la channelrhodopsine, qui permet à l’algue de détecter la lumière. Les chercheurs ont transmis le code génétique de cette protéine (Crimson R) aux cellules ganglionnaires du nerf optique afin qu’elles la fabriquent elles-mêmes. Lorsqu’elle reçoit une stimulation lumineuse, cette protéine photosensible émet un signal électrique qui est ensuite « codé » par des caméras montées sur des lunettes, puis projeté dans l’œil. Ce système ne rend pas une vision normale, mais il offre une image aux contours vibrants qui répond à la forme des objets.

Une toxine qui met la douleur KO

Mille fois plus puissante que la morphine, cette toxine issue d’un mollusque, le cône mage des Philippines (Conus magus), est aujourd’hui synthétisée en laboratoire et a déjà donné un produit appelé ziconotide. Ce médicament est utilisé uniquement en milieu hospitalier, où il est administré en perfusion continue pour soulager des douleurs chroniques intenses, chez des patients adultes.

Une super hémoglobine qui faiclite les greffes

Rester six heures sans respirer, c’est l’exploit qu’accomplit sans effort l’arénicole marine, un ver de sable marin, à qui l’on doit les tortillons sur le sable. Son super pouvoir vient de son hémoglobine qui se charge en oxygène à marée haute. L’intérêt ? Cette hémoglobine, proche de celle des humains, est capable de fixer quarante fois plus d’oxygène, sans aucun problème d’incompatibilité sanguine (groupe sanguin et facteur rhésus). Elle possède en prime des propriétés anti-inflammatoires et antibactériennes. Autant d’atouts exploités par la société bretonne Hemarina pour mettre au point Hemo2life, un dispositif médical qui permet d’oxygéner un greffon, et donc de le préserver plus longtemps en vie avant son implantation au malade. « Par exemple, nous avons poussé le temps de conservation hors du donneur jusqu’à quarante-huit heures pour des poumons contre six habituellement, et jusqu’à sept jours au lieu de douze heures pour le rein », précise le Dr Franck Zal, directeur général d’Hemarina. Grâce à ce dispositif, le Pr Laurent Lantieri, chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique de l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, a pu réaliser une greffe totale du visage dès 2018. Et en septembre dernier, en Inde, un jeune homme doublement amputé à la suite d’une brûlure par électrocution a reçu pour la première fois au monde une double greffe des membres supérieurs. « Préservés par cette technologie, les avant-bras ont été réoxygénés en moins de dix minutes contre plus d’une heure normalement, avec des résultats remarquables. »

Un antioxydant pour faire rempart aux UV

Certaines algues (Haematococcus pluvialis), exposées en permanence au rayonnement solaire, synthétisent naturellement leur bouclier protecteur contre les UV : l’astaxanthine. Ce puissant antioxydant de la famille des caroténoïdes est capable de piéger les radicaux libres et de protéger les cellules du stress oxydatif responsable du vieillissement cellulaire. « Différentes recherches ont démontré ses propriétés antitumorales, antidiabétiques, anti-inflammatoires, cardioprotectrices et antioxydantes », précise Philippe Goulletquer. Cette molécule est vendue sous forme de compléments alimentaires, mais aussi intégrée dans des crèmes de protection solaire. Si elle a l’avantage de ne pas être toxique pour l’environnement, elle n’autorise pas pour autant à rester des heures en plein soleil !

Une chimiothérapie contre le cancer du sein

On doit aux formidables facultés des éponges de mer la mise sur le marché de plusieurs médicaments contre le cancer. Une espèce japonaise (Halichondria okadai) produit naturellement l’halichondrine B, une substance qui agit contre les cellules tumorales humaines, notamment en inhibant la division cellulaire. Les chercheurs en ont tiré l’éribuline, un traitement qui prolonge la durée de vie des femmes atteintes d’un cancer du sein localement avancé ou métastatique. Enfin, n’oublions pas l’intérêt du mollusque Dolabella auricularia : il fabrique un anticancéreux pouvant agir sur le lymphome hodgkinien.

Et aussi…

L’huile de foie de morue, autrefois prescrite pour son action contre le rachitisme, reste un trésor de la mer. C’est l’une des sources alimentaires les plus riches en vitamine A. N’oublions pas, également, que les sulfates de chondroïtine, extraits du cartilage de requin, et la glucosamine, tirée de la carapace de crustacés, prescrits pour soulager l’arthrose, proviennent du monde marin.

Tous les espoirs sont permis

Les travaux sur les richesses des océans devraient révolutionner la prise en charge de maladies qui ne disposent pas encore de traitements efficaces. Actuellement, vingt-six molécules marines font l’objet d’essais cliniques dans le monde. Illustrations.

Traiter l’acné La microalgue marine Skeletonema marinoi, commune sur les côtes de l’Atlantique, a la particularité de contenir des pigments photoactivables. Exposés quelques minutes à la lumière, ils agissent contre les bactéries responsables de l’acné. D’où l’idée des chercheurs (Ifremer, CNRS, universités de La Rochelle et de Limoges, CHU de Nantes) de mettre au point un extrait naturel de cette microalgue (Skeletonema), puis de l’intégrer dans une crème ou un gel. Il suffirait ensuite de l’appliquer sur son visage et d’exposer celui-ci à la lumière, naturelle ou artificielle, pour éliminer les bactéries responsables de l’acné et limiter la sécrétion de sébum. Ces premiers résultats brevetés, prometteurs, devront être confirmés par des études cliniques.

Anéantir des bactéries résistantes Découverte en 2013 dans des sédiments marins au large de la Californie, l’anthracimycine pourrait tuer un staphylocoque doré résistant ou encore la bactérie responsable de l’anthrax, qui forme des sortes de gros abcès cutanés. « Il a fallu sept ans pour réussir à synthétiser la molécule, en vingt phases, une étape nécessaire pour pouvoir passer aux essais cliniques chez l’animal », note Philippe Goulletquer.

Diminuer les troubles d’Alzheimer Issue d’une éponge calcaire du Pacifique (Leucetta microraphis), la leucettamine présente l’avantage de pouvoir réguler certaines fonctions cognitives, en agissant sur une protéine du cerveau, la kinase DYRK1A. Trop active, celle-ci provoque des troubles de l’apprentissage, de la localisation spatiale… « Nous avons mis au point des dérivés de cette molécule et synthétisé un candidat médicament (Leucettinib-21). En laboratoire, ce dernier peut inhiber l’activité de cette protéine et corriger, sur des modèles souris et rats, les déficits cognitifs de trisomie 21 et de la maladie d’Alzheimer », explique Laurent Meijer, directeur scientifique de ManRos Therapeutics et de Perha Pharmaceuticals. L’étude clinique chez l’homme devrait débuter en 2023.

Combattre la mucoviscidose La roscovitine a été identifiée par des chercheurs de Roscoff (d’où son nom) à partir d’une protéine des ovocytes de l’étoile de mer glaciaire (Marthasterias glacialis). Elle est en développement contre la maladie de Cushing et la polyarthrite rhumatoïde. « Les premiers essais sur la mucoviscidose n’ont pas été convaincants, mais de nouvelles études sont en cours avec un dérivé de cette molécule, l’enitivocsor, qui améliore l’efficacité des meilleurs produits déjà sur le marché pharmaceutique », se réjouit Laurent Meijer. A suivre…

Source: version femina