Une vague bleue dans une chapelle

Exposition «Current water» de Feryelle Zouari

Feryelle Zouari tire son fil d’Ariane, et en tisseuse obsessionnelle, cette Pénélope du plastique intègre ces objets, ces déchets, ces pièces détachées de leurs origines…, ces morceaux de rien, pour en faire des tentures somptueuses de couleurs, des étendards baroques et insolites, des bannières complexes et sophistiquées.
La présence de cette frêle jeune fille au milieu de l’espace imposant de la chapelle Sainte-Monique de l’Ihec aurait pu étonner et détonner. Mais quand Fatma Kilani, l’inspirante animatrice artistique de ces lieux dédiés au savoir, lui proposa de l’investir, Feryelle Zouari ne se laissa pas intimider.
Elle s’attacha à en apprivoiser l’espace, ses familiers, passants ou habitués, sa lumière, ses échos, avant de découvrir que c’était à l’extérieur que se trouvait le déclic qui allait orienter son travail : la mer, somptueuse étendue de bleu qui bordait le parc et envahissait tout le paysage. C’était par là qu’il fallait commencer et terminer.
A partir de ce déclic, tout pouvait commencer.
Feryelle Zouari vient du monde du textile, celui des tissages, des trames, des chaînes, des fils et des mailles. Mais elle appartient aussi à un monde de consommation effrénée, celui des marchés de plein air qui la fascinent en Amérique latine, où elle a vécu un temps, des souks hebdomadaires croulant sous le made in China, de l’oppression des accumulations, de l’éphémère, des marchandises à quatre sous. Elle ramasse, accumule, collecte, se laisse envahir par des montagnes de choses inutiles, périmées, obsolètes, jusqu’à saturation. Alors, elle tire son fil d’Ariane, et en tisseuse obsessionnelle, cette Pénélope du plastique intègre ces objets, ces déchets, ces pièces détachées de leurs origines, ces morceaux de rien, pour en faire des tentures somptueuses de couleurs, des étendards baroques et insolites, des bannières complexes et sophistiquées. C’est peut-être pour elle une façon de dompter, de réorganiser ce monde de la production et de la consommation intensive propre à notre temps, et plus particulièrement à nos pays «émergents».
Pour apprivoiser la chapelle, l’habiter sans heurts, elle commença par installer son atelier sur la mezzanine, et y laissa passer les étudiants que son travail intriguait et intéressait. Elle choisit, comme matériau, un tube de plastique cannelé, de ceux utilisés pour faire passer les fils électriques, parce que leur couleur bleue faisait écho au paysage marin. Mais aussi parce qu’il fait référence à l’industrie du plastique de plus en plus envahissante et destructrice.
«Dans ce lieu saint et intemporel, j’ai souhaité installer une vague de plastique à contre- courant de la mer. Une vague qui vient d’un autre imaginaire démesuré et actuel. L’installation peut être lue comme une métaphore du combat entre la profusion industrielle et la générosité de l’élément naturel».
Aujourd’hui, la vague bleue se déploie, sabrant l’espace blanc immaculé de la chapelle, esthétiquement séduisante à première vue, mais sourdement angoissante par son foisonnement envahissant dès qu’on y regarde de plus près.

 

Publié le 02
Par ALYA