Un Tunisien ressuscite la pourpre, prestigieux pigment extrait d’un coquillage
9 septembre 2020
9 septembre 2020
Sa passion pour l’histoire antique, Mohammad Ghassen Nouira la vit dans sa cuisine : c’est là que ce Tunisien redécouvre peu à peu, après des années de tâtonnements, les secrets millénaires pour fabriquer la pourpre, prestigieux pigment extrait d’un coquillage, le murex.
Un marteau, une pincette et un petit mortier en pierre sont ses principaux outils de travail : la première étape pour cette couleur typique des dignitaires phéniciens, carthaginois et romains, c’est d’ouvrir les murex, sorte de bulots à la coquille ornée de pointes. La suite est un secret jalousement gardé au point qu’il avait disparu depuis presque 600 ans – mais après treize ans d’essais, Mohammad Ghassen Nouira en maîtrise une partie.
En août 2007, il a trouvé sur une plage un murex mort dégageant une couleur rouge violacée, lui rappelant un cours d’histoire qui l’avait marqué à l’école, sur la pourpre. Il en a alors acheté quelques spécimens à des pêcheurs, et s’est mis à explorer ce « trésor marin » dans une petite cuisine dans le jardin de son père – son atelier de travail encore aujourd’hui. « Au début, je ne savais pas par où commencer. J’écrasais toute la coquille et j’essayais de comprendre comment ce petit animal marin dégageait une couleur aussi précieuse », explique ce directeur d’une société de consulting. Il lui a fallu surmonter de nombreux échecs, parfois démoralisants, mais aussi s’habituer à l’odeur pestilentielle. « Des experts en teinture, en archéologie et en histoire, ainsi que des chimistes, m’ont aidé et encouragé, mais aucun ne connaissait la technique », raconte-t-il.
L’industrie de la pourpre, utilisée pour teindre les vêtements des puissants, fut parmi les principales sources de richesse des Phéniciens et des empires carthaginois puis romains, explique le professeur Ali Drine, directeur de la division de recherche à l’Institut national du patrimoine. Symbole de pouvoir, de prestige et de beauté, la pourpre était « sous la coupe des empereurs, parce qu’elle rapportait beaucoup d’argent à la caisse impériale », dit-il. En conséquence, aucun document historique ne détaille clairement les méthodes de la production de ce pigment, explique encore le professeur Ali Drine. « Peut-être parce que les artisans ne voulaient pas divulguer les secrets de leur savoir-faire, ou bien ils avaient peur, car les activités de la pourpre étaient rattachées directement aux empereurs, qui refusaient toute rivalité », précise-t-il.
Seules pistes pour en exhumer les techniques : des éléments archéologiques en Méditerranée – cuves, coquillages traités et traces de feu surtout à Tyr, dans le sud du Liban, et dans le site de Meninx, sur les rivages de l’île tunisienne de Djerba. Ce sont en effet des Phéniciens venus de Tyr, haut lieu de la pourpre, qui ont posé les bases de ce qui allait devenir l’empire carthaginois, sur les côtes tunisiennes. Mohammad Ghassen Nouira se dit « satisfait et fier » d’avoir fait « revivre quelque chose en relation avec nos ancêtres les Carthaginois ! »
Même de nos jours, le pigment est un luxe : il peut atteindre 2 800 dollars le gramme chez certains revendeurs européens, voire 4 000 dollars selon Mohammad Ghassen Nouira, qui le vend à des prix plus modestes.
Ils sont une poignée dans le monde à produire de la pourpre, parmi lesquels une peintre allemande et un passionné japonais – chacun avec ses techniques secrètes. Lorsque Mohammad Ghassen Nouira leur a demandé de l’aide, l’un d’eux a rétorqué : « Ce n’est pas une recette de cuisine à faire passer », se souvient-il. « Cela m’a rendu plus déterminé encore, ça m’a poussé à lire plus et multiplier mes expériences », affirme-t-il, notamment sur deux types de murex, le Rankulus et le Bolinus Brandaris. Dans la mallette en bois où il conserve son stock, qui va du bleu indigo au rouge violet, il garde précieusement son premier échantillon obtenu en 2009, « cher souvenir de ma première réussite ». « J’ai alors amélioré mes méthodes jusqu’à trouver la bonne technique et la maîtriser à partir de 2013-2014 », dit-il.
Pour obtenir un gramme de pourpre pure, il doit décortiquer cent kilos de murex, ce qui lui prend deux week-ends. Il faut ensuite laver, trier les coquillages par espèces puis par tailles, et casser délicatement la partie supérieure de la coquille dans le petit mortier, afin d’en extraire la glande, qu’il fait sécher avec du sel. C’est elle qui produit la couleur, après oxydation.
Mohammad Ghassen Nouira a produit en tout quelques dizaines de grammes de pourpre pure, qu’il vend dans le monde entier. Mais ce qu’il espère avant tout, c’est voir son travail exposé dans des musées tunisiens, et il regrette le manque d’intérêt des autorités pour son travail. « La pourpre a un grand potentiel touristique », estime Mohammad Ghassen Nouira, qui rêve d’animer un jour des ateliers dans un lieu inspiré de ceux de l’Antiquité. En attendant, il garde ses secrets de fabrication, qu’il espère transmettre à ses enfants. « Mohammad Ghassen Nouira a voulu, a essayé et a réussi », souligne, pour conclure, le professeur Ali Drine.
Source : AFP